Europe

Trois mois après le début de la Présidence Française du conseil de l’Union Européenne, quel bilan pour le climat ?

La guerre lancée par la Russie en Ukraine a forcé l’Union européenne à mettre en question sa dépendance aux énergies fossiles. La Présidence française a fait adopter des positions, (sur les sanctions, l’énergie), tout en avançant, plus ou moins vite, sur les dossiers du Green Deal Européen.

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©Alexandros Michailidis

Depuis le premier janvier 2022, la France préside les discussions au Conseil de l’Union européenne. La PFUE est une opportunité pour la France de porter des mesures ambitieuses pour le climat, en particulier concernant les textes du paquet européen sur le climat appelé « Fit for 55 » : 14 propositions de loi européennes visant à s’attaquer aux émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs (taxe carbone aux frontières, rénovation des bâtiments, fin de vente des véhicules essence, diesels et hybrides, réforme du marché carbone, etc).

L’arrivée de la guerre sur le continent a modifié les priorités de la présidence française, l’urgence de la question de la dépendance aux énergies fossiles russes remplaçant celle de la transition écologique. Pourtant les textes sur la table des négociations sont essentiels pour l’indépendance énergétique de l’Union. Il reste donc beaucoup à faire pour faire avancer le paquet climat « Fit for 55 » avant la fin de la PFUE. 

Guerre en Ukraine : l’indépendance énergétique de l’UE en question

L’invasion russe de l’Ukraine et la guerre qui s’enlise sur le continent européen est une étape majeure de l’histoire de l’Europe, dont toutes les répercussions ne sont pas encore visibles. La guerre a bouleversé les agendas et les discussions menées depuis plus d’un mois en Europe et a souligné l’extrême vulnérabilité de l’Union européenne en raison de sa dépendance aux énergies fossiles. Les conséquences sont lourdes. En se fournissant en gaz fossile, pétrole et charbon en Russie, l’Union européenne contribue à financer à hauteur de plusieurs milliards d’euros la guerre menée en Ukraine. Une position de plus en plus délicate pour l’Europe qui découvre progressivement les horreurs de la guerre.

La répercussion la plus visible pour les Européens concerne les prix de l’énergie qui continuent d’exploser, alors même qu’ils étaient déjà élevés avant le début de la guerre et qui risquent de faire basculer 80 millions d’Européens dans la précarité énergétique.

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Données de la Commission européenne pour 2019

Face à la vulnérabilité énergétique de l’UE, quelle est la réponse de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne ?

La taxonomie européenne : un début de Présidence française qui sent le gaz fossile

Avant même la guerre en Ukraine, la question de la place du gaz fossile en Europe faisait l’objet de débats en Europe. En janvier dernier, la Commission européenne a proposé, contre l’avis des experts de la finance durable, de labelliser le gaz fossile et le nucléaire comme « énergies de transition » dans la taxonomie européenne, autrement dit des énergies pour lesquelles les investissements seraient les bienvenus. La France a activement milité en faveur de cette proposition à travers une alliance avec la Pologne, la Hongrie ou encore la Roumanie. Résultat ? Les investissements dédiés à la transition écologique risquent d’être détournés en faveur du gaz fossile et du nucléaire… renforçant donc la dépendance de l’Union européenne et en contradiction totale avec nos objectifs climatiques.

De nouvelles routes du gaz et du pétrole, plutôt que la transition énergétique

Les chefs d’État et de gouvernement, réunis d’abord à Versailles les 10 et 11 mars pour un Sommet exceptionnel puis à Bruxelles deux semaines plus tard pour le Conseil européen, ont indiqué vouloir réduire la dépendance énergétique de l’Union européenne en achetant du gaz fossile à d’autres puissances étrangères. La priorité semble être désormais donnée à la création de nouvelles routes pour le gaz et le pétrole plutôt qu’à la réduction de notre consommation d’énergies fossiles. 

Elle est matérialisée notamment par le récent accord d’importation de 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié supplémentaires entre l’Union européenne et les États-Unis dès 2022 et jusqu’à 50 milliards d’ici à 2030, ou par les négociations avec le Qatar. La diversification de l’approvisionnement et la potentielle construction de nouvelles infrastructures de gaz fossile comme des terminaux de gaz naturel liquéfié éloignent l’Europe de la voie de son indépendance énergétique et de ses objectifs climatiques. La France, elle-même, réfléchit à développer de nouvelles infrastructures gazières au Havre. Remplacer une énergie fossile par une autre ne règle pas le problème central : la dépendance aux énergies fossiles. L’Agence internationale de l’énergie estime pourtant que les pays développés devraient sortir du charbon en 2030 et du gaz en 2035 et donc développer massivement les énergies renouvelables et les économies d’énergies sur le court-terme.

Électrochoc en faveur de la transition énergétique ? La France toujours attendue

La seule voie qui permettrait l’indépendance énergétique à moyen terme de l’Union européenne est de rompre avec l’usage des énergies fossiles en accélérant le déploiement des énergies renouvelables, en massifiant la rénovation énergétique performante des bâtiments et en faisant des économies d’énergies. Le paquet climat « Fit for 55 » pose toutes les solutions sur la table des négociations : directive énergies renouvelables, directives efficacité énergétique et performance énergétique du bâtiment.

Depuis le début de la guerre le 24 février, les pays de l’Union européenne ont pris conscience de la nécessité de réduire leur dépendance aux énergies fossiles (russes), et un certain nombre de pays ont décidé, au niveau national, d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables sur leur sol. C’est notamment le cas de la Pologne qui a mis en place un plan pour sortir des énergies fossiles russes, de la Lituanie qui a cessé ses importations de gaz russe, ou des Pays-Bas qui renforcent leurs efforts dans les énergies renouvelables. Les Députés européens débattent de l’accélération du développement des énergies renouvelables en Europe pour qu’elles atteignent entre 45 % et 56 % du mix énergétique en 2030.

Au Conseil de l’UE, malgré les déclarations de Barbara Pompili, la Présidence française a pour le moment fait l’impasse sur la hausse des objectifs de transition énergétique européens. La France n’a pas encore ouvert ce débat entre les État membres alors que la guerre en Ukraine devait être un électrochoc. De la même manière, la France continue de s’opposer à la date de fin de vente des véhicules essence, diesel et hybrides neufs d’ici à 2035, alors que d’autres États comme la Suède, la Belgique ou le Danemark voient la crise énergétique comme une incitation à accélérer et ramener la date vers 2030. La France devra donc aller plus loin pour la seconde partie de la PFUE. 

Un choix difficile à porter pour la France qui, nationalement, n’est pas au rendez-vous. Elle est d’ailleurs le seul État membre de l’Union européenne à n’avoir pas rempli ses objectifs en matière de déploiement des énergies renouvelables pour 2020.

La crise alimentaire comme prétexte pour mettre en cause les objectifs environnementaux pour l’agriculture

La guerre en Ukraine a également des conséquences sur les prix de certaines denrées alimentaires. En effet, le gaz (russe) est nécessaire pour la production d’engrais azotés, la Russie fournit à l’Union européenne 25 % des engrais azotés qu’elle utilise. La Russie est également un gros exportateur de céréales et d’huiles. L’Ukraine fournit plus de la moitié du maïs importé par l’Europe, 47 % de tourteaux de tournesol et 30 % du blé à l’Europe (utilisé pour nourrir l’élevage).

Au début de l’année 2022, 10 % de la population européenne se trouvait en situation d’insécurité alimentaire, un pourcentage qui risque de grimper à cause de la guerre. Sur le plan international, avant le début de la guerre en Ukraine, 70 % des personnes en insécurité alimentaire vivaient dans des pays dépendants des marchés internationaux pour se nourrir. Un renforcement accru des situations d’insécurité alimentaire voire de famine est attendu du fait des perturbations sur les marchés internationaux. La guerre faisant grimper les prix de l’alimentation, les denrées vont à l’acheteur capable de payer les prix les plus hauts. 

Emmanuel Macron a prononcé son souhait d’une révision de la stratégie « de la ferme à la fourchette », qui prévoyait une diminution de 20% des engrais et de 50% des pesticides, afin de produire plus. En réalité, la France utilise la crise comme prétexte pour remettre en cause le verdissement de l’agriculture européenne, alors même que l’agriculture en Europe est déjà très intensive. Pourtant, le risque de pénurie de céréales est principalement dû à l’élevage intensif et aux agrocarburants qui captent une très grande partie des céréales produites en Europe. C’est donc le modèle d’agriculture intensive qui doit être questionné. 

Pour davantage de résilience, il est urgent de bifurquer vers l’agroécologie. La stratégie « de la ferme à la fourchette » est donc déterminante. Il reste beaucoup à faire durant la PFUE pour concilier souveraineté alimentaire et ambition écologique. Les prochains mois seront déterminants.

Taxe carbone aux frontières : victoire politique pour la France, coquille vide pour le climat

Si la dépendance énergétique de l’Union européenne a été un sujet majeur ces dernières semaines, d’autres discussions ont eu lieu sur les textes du « Fit for 55 ». On peut noter en particulier la victoire revendiquée par Emmanuel Macron et ses ministres sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Cette taxe carbone aux frontières de l’Union européenne est la fin d’une attente de plus de 10 ans pour la France. 

Depuis 2005 et l’instauration du marché carbone sur les industries les plus polluantes, les industries qui produisent sur le sol européen doivent payer un prix du CO2 pour chaque tonne de CO2 émise. Seulement, jusqu’à présent aucun prix du CO2 n’était ajouté aux importations de produits hors-UE provoquant donc une concurrence déloyale avec les industries européennes. Pour faire face à cette situation, de nombreuses industries européennes bénéficient de « permis à polluer gratuits » qui couvrent près de 100 % de leurs émissions (soit une perte pour les finances publiques en Europe estimée à 138 milliards d’euros depuis 2005). 

La taxe carbone aux frontières devait remplacer ces permis à polluer gratuits pour l’acier, le ciment, l’aluminium et les engrais chimiques : industries européennes comme étrangères seraient soumises au même prix. Malheureusement, l’accord trouvé par la France fait l’impasse sur la fin des permis à polluer gratuits, toujours prévus à 2035. S’ils sont maintenus en plus de la taxe carbone aux frontières, ils formeraient une double protection pour l’industrie européenne. Un cadeau (de plus) aux industries qui n’ont pas à s’engager dans la transition écologique. Le MACF n’est intéressant que s’il permet de faire payer le prix du carbone à toutes les industries. En ne touchant pas à la date de fin des permis à polluer gratuits, la PFUE risque de transformer cette mesure en une coquille vide pour le climat. Sans y toucher, le MACF ne fera baisser les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne que de 1 % ! Reste donc à la France de s’attaquer au vrai sujet, la fin des permis à polluer pour les industriels européens, si elle veut vraiment faire de la taxe carbone aux frontières une mesure pour le climat.

Le risque des Gilets jaunes européens toujours pas levé : ETS 2

Dans le paquet « Fit for 55 », la Commission européenne propose la création d’un marché carbone commun aux pays membres de l’Union européenne pour les carburants et le chauffage. Cela reviendrait à faire payer à tous les ménages de l’Union européenne le prix du CO2 généré par le chauffage et les carburants. La théorie voudrait que, comme pour les quotas d’émission pour les industries les plus polluantes, ce coût amène progressivement les acteurs à s’engager dans la transition énergétique, en achetant des voitures électriques, en assurant une rénovation performante du logement, ou en changeant son système de chauffage. 

Seulement, la théorie s’applique difficilement dans les faits. Les ménages les plus précaires n’ont pas les capacités de changer de voiture, les bailleurs ne vont pas être amenés à faire les démarches pour des rénovations puisque ce sont les locataires qui paient les prix du chauffage. Un piège social qui risque de reproduire à l’échelle européenne le cocktail qui a conduit au mouvement des gilets jaunes en France. Même si un fonds social pour le climat est créé pour compenser une partie de l’impact sur les ménages, les conditions ne sont pas réunies pour que le mécanisme soit juste socialement et efficace d’un point de vue climatique. 

De nombreux États membres sont opposés à ce marché carbone, quand une poignée, l’Allemagne en tête, souhaiterait le voir à l’échelle européenne. La Présidence française a tenté de déminer le terrain en organisant une discussion dédiée lors du Conseil informel des ministres de l’environnement les 20-22 janvier 2022. Pour le moment, le sujet patine et menace l’ensemble du paquet climat « Fit for 55 ». La France devrait tirer les leçons des gilets jaunes pour proposer des compromis permettant une sortie par le haut : repousser la date de mise en oeuvre du marché carbone pour les carburants et le chauffage à après 2030, faire monter les alternatives à faible émission pour les ménages les plus précaires grâce au Fonds social pour le climat et des réglementations fortes, et définir un prix plafond pour éviter une explosion des prix. Sans ces conditions, le marché carbone risque d’être un piège social et une impasse climatique.  

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