Non, la viande ne peut pas être compatible avec la préservation du climat

Alors que se multiplient des communications sur le mythe d’un élevage climato-compatible, le Réseau Action Climat rappelle ici quelques fondamentaux sur les émissions de gaz à effet de serre liés à l’élevage en France, son importance et les pistes pour les réduire.

Copyright : Benjamin Claverie

Si nous voulons sérieusement lutter contre les changements climatiques, il sera nécessaire de passer par une baisse de notre cheptel, et par une baisse de notre consommation de viande.

L’agriculture représente 20% des émissions territoriales de la France. Autrement dit, si nous voulons atteindre le facteur 4 (division par 4 de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2050, objectif inscrit dans la loi française), il sera nécessaire de passer par une réduction des émissions du secteur agricole, au moins une division par 2 de ses émissions. Et cela ne sera pas simple, car l’agriculture est un secteur diffus, aux émissions liées à des processus biologiques complexes, et que de nombreuses émissions indirectes en cascade sont en jeux.

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Émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’agriculture française

Émissions directes :

  • 46% des émissions présentées dans le graph ci-dessus sont directement dues aux activités d’élevage (fermentation entérique des ruminants et émissions liées aux déjections animales : 28% + 13% + 5%).
  • A cela il faut ajouter les émissions directes liées aux consommations énergétiques des salles de traites, bâtiments d’élevage et autres véhicules utilitaires liés aux activités d’élevage, qui représentent une partie des 8% d’émissions liées à la consommation d’énergie.

Émissions indirectes :

En plus de ces émissions directes, il faut prendre en compte la fabrication et le transport des aliments destinés aux animaux. Une partie de ces aliments est fabriquée en France, et les émissions liées sont comprises dans la partie « 46% – N20 – sols agricoles » du graph. Il est difficile techniquement d’en évaluer la part car les apports d’azote (principal responsable de ces émissions de N20) varient beaucoup d’un type de culture à l’autre. Ce dont on est sûrs en revanche, c’est que la production et le transport d’aliments provoque beaucoup plus d’émissions de GES que la mise à l’herbe des animaux.

Cette partie fabrication des aliments comprend également une petite partie des émissions dues à la consommation d’énergie liée aux passages de tracteurs nécessaires à la production de ces aliments. Il est également nécessaire de comptabiliser les émissions correspondant à la fabrication des engrais azotés (comptabilisé dans le secteur de l’industrie chimique et non dans celui de l’agriculture) et qui n’existeraient pas si il n’y avait pas cette demande en alimentation animale.

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Émissions importées :

Enfin, ce calcul ne saurait être complet sans la prise en compte des GES liés à l’importation en France d’aliments pour les animaux d’élevage et des engrais azotés utilisés en France pour la fabrication des aliments pour animaux. Ces émissions n’apparaissent pas dans les 2 schémas ci-dessus qui ne nous retranscrivent que les émissions émises sur le territoire français.

La France est confrontée à une forte dépendance aux importations pour ces deux postes en particulier. En ce qui concerne l’alimentation animale par exemple, la France a importé en 2011 près de la moitié de protéines végétales pour ses animaux d’élevage, notamment des tourteaux de soja suite à des orientations politiques qui ont amené un déclin continu des surfaces en légumineuses en France (même si une réorientation politique est en route pour l’autonomie de la France vis à vis de son alimentation animale). Ainsi, en 2013, nous avons importé 4,6 millions de tonnes de tourteaux, dont la majorité de soja, venant d’Amérique du sud, ce qui équivaut à environ 7,7 millions de tonnes eqCO2 [1].

Les produits azotés et engrais importés, quant à eux, représentent 9,5 millions de tonnes eqCO2 par an. En plus de cela, les engrais fabriqués et utilisés en France sont issus en quasi totalité de matières premières importées. Ces émissions ne sont pas prises en compte dans le chiffres ci-dessus [2]. Vous trouverez dans cette publication du RAC plus d’info sur les GES importées par la France, tous secteurs confondus.

Des solutions ?

Les émissions de GES liées à l’élevage peuvent être atténuées via les actions suivantes :

  • Mieux gérer la gestion des déjections animales (couvrir les fosses à lisier, méthaniser, etc.)
  • Rechercher une meilleure autonomie pour l’alimentation animale et améliorer les modes de production de cette alimentation, permettant de baisser les émissions de GES liées à leur production en baissant ou supprimant les engrais azotés
  • Améliorer les apports alimentaires permettant une réduction de la fermentation entérique des animaux
  • Néanmoins préférer la mise à l’herbe (qui supprime les émissions liées à la fabrication des aliments et qui permet également une meilleure gestion des déjections)

La mise à l’herbe des ruminants permet également de préserver notre patrimoine en prairies qui jouent un rôle important en terme de séquestration du carbone. Cependant, ceci ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt : les prairies françaises ne pourront pas compenser les émissions liées à l’élevage français. Les prairies françaises sont actuellement en diminution. Il faudrait déjà viser à stabiliser leurs surfaces de façon à bénéficier de leur puits de carbone. Enfin, il est important de garder à l’esprit qu’une fois une prairie en place, son taux de carbone dans le sol augmente légèrement chaque année pour atteindre un équilibre, alors que les émissions liées à l’élevage listées ci-dessus sont annuelles. Donc oui, le rôle de séquestration du carbone des prairies est important, mais il ne doit pas nous désengager de faire des efforts d’atténuation des émissions de GES liées à l’élevage. Et même tout ceci ne suffira pas : il faudra également passer par une baisse du cheptel français.

Une baisse du cheptel ET une augmentation des prairies

D’après le scénario Afterres2050 et le travail de negaWatt, si l’on veut atteindre un facteur 4 pour la France, il faut ambitionner un facteur 2 pour l’agriculture française. Pour atteindre ce facteur 2, il sera nécessaire de passer par une baisse du cheptel français, et notamment des ruminants. Car même en mettant en place les différentes actions d’atténuation listées plus haut, l’élevage émet toujours beaucoup de GES. Pour ce faire, il sera nécessaire de passer par une transition de notre modèle alimentaire, et notamment de nos régimes très (trop !) carnées. L’arrêt de notre consommation de Nutella ne suffira pas à baisser suffisamment nos émissions agricoles !

Et même en atteignant ce facteur 2, il faudra en plus compter sur un rôle de séquestration du carbone dans les sols via une stabilisation du nombre de prairies, une meilleure exploitation des forêts, et surtout de meilleures pratiques agricoles permettant de réintroduire du carbone dans les sols (couvertures végétales, moindre travail du sol, etc.).

Et même en atteignant ce facteur 2, il faudra en plus compter sur un rôle de séquestration du carbone dans les sols via une stabilisation du nombre de prairies, une meilleure exploitation des forêts, et surtout de meilleures pratiques agricoles permettant de réintroduire du carbone dans les sols (couvertures végétales, moindre travail du sol, etc.).

Bref, c’est d’un élevage, certes réduit en volume, mais augmenté en qualité de la viande, en bien-être animal et en intensité d’emplois (nombre d’emploi par volume produits) dont nous avons besoin, avec une massive remise à l’herbe des cheptels.

Notes

  1. Cette valeur est obtenue en prenant un facteur d’émission de 1555 kg eqCO2/t pour le tourteaux de soja, correspondant à la moyenne entre les calcul Diaterre et INRA (Nguyen et al. 2012, 2013, Mosnier et al. 2011 et Garcia-Launay et al.
  2. Etat, perspectives et enjeux du marché des engrais, GCL Développement Durable pour le MAAF, 2010
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