Passage du PLF 2021 au Sénat : pour la transition écologique, le compte n’y est toujours pas

Hier le Projet de loi de finances pour 2021 a été voté en première lecture au Sénat alors que la France s'apprête à célébrer l'anniversaire de l'Accord de Paris, se posant en leader international de la lutte contre le dérèglement climatique.

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Décryptage des amendements ambitieux déposés et débattus mais pas adoptés

Hier le Projet de loi de finances pour 2021 a été voté en première lecture au Sénat alors que la France s’apprête à célébrer l’anniversaire de l’Accord de Paris, se posant en leader international de la lutte contre le dérèglement climatique. Pourtant, elle est en retard sur des nombreux points :

  • La France va rater son objectif en termes de développement des énergies renouvelables car la part des renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie est passée de 15,1 % en 2015 à seulement 17,2 % en 2019. L’objectif 2020 fixé par l’Union européenne de 23 % ne sera pas respecté.
  • Dans le secteur des transports, qui représente plus de 30 % des émissions de gaz à effet de serre françaises, les émissions n’ont baissé que de 1,5 %, alors que les objectifs de 2015 prévoyaient une baisse de 15,1 % entre 2015 et 2019.
  • Entre 2015 et 2019, les émissions sectorielles de la France (total des émissions des différents secteurs sans les puits carbone) ont baissé de 3,7 %. Elles auraient dû baisser de 9 %, pour respecter les budgets carbone de la France fixés en 2015.

Ce vote au Sénat s’inscrit aussi alors que les derniers arbitrages du Gouvernement sont en cours pour déterminer le périmètre du Projet de loi Climat qui devait garantir une transmission “sans filtre » des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat aux parlementaires. Bien que le texte du Projet de loi ne soit pas encore connu dans son intégralité, les arbitrages dont le Réseau Action Climat a pris connaissance montrent que la promesse présidentielle ne sera pas tenue. Parmi la majorité des 51 mesures que le Gouvernement considère comme partiellement ou complètement mises en oeuvre, l’application est très insuffisante par rapport au niveau d’ambition proposé initialement par les citoyens.

Alors que cette semaine marque les 5 ans de l’Accord de Paris, le Réseau Action Climat souligne l’importance des mesures les plus structurantes de la Convention Citoyenne pour le Climat dans le PLF 2021.

Evaluation du texte qui sera voté au Sénat à l’aune des priorités du Réseau Action Climat pour ce Projet de loi de finances

Par rapport au texte voté à l’Assemblée nationale le 17 novembre en première lecture, le Réseau Action Climat constate un nombre limité d’avancées ainsi que des reculs et regrette que le Sénat n’ait pas saisi l’opportunité de verdir la Loi de finances à venir ainsi que le Plan de relance de la France.

Le Réseau Action Climat interpelle la Commission mixte paritaire (CMP)  qui siège ce mercredi  afin qu’elle fasse le tri entre les reculs et les avancées.

À garder en Commission Mixte Paritaire

Baisse de la TVA sur les billets de train

Une seule mesure additionnelle de la Convention citoyenne a été adoptée : la réduction de la TVA sur les billets de train de 10% à 5,5%.

La demande du Réseau Action Climat d’élargir ce taux réduit aux services publics de transport terrestre régulier de personnes n’a toutefois pas été reprise.

Sur le site du Gouvernement consacré au suivi des mesures de la Convention climat, la mesure est déjà affichée dans la catégorie “mise en œuvre » bien que l’examen du Projet de loi de finances n’est pas encore terminé. Par ailleurs, l’amendement a été adopté avec un avis défavorable du Gouvernement. Où est la cohérence?

Mise en place d’une dotation climat pour les collectivités

Les collectivités font face à une situation difficile : si leurs compétences ne cessent d’augmenter, les moyens qui leurs sont alloués ne cessent de diminuer. La crise sanitaire et économique va ainsi engendrer des pertes de recettes significatives pour les collectivités en 2020 et 2021, et sans doute au-delà, avec une baisse des recettes fiscales d’au moins 7,4 milliards d’euros pour 2020 et 10 milliards pour 2021.

Le Réseau Action Climat avait fait un certain nombre de propositions pour augmenter les ressources des collectivités pour assurer une mise en œuvre ambitieuse des politiques de la transition écologique. La proposition retenue et les amendements votés portent sur une proposition adoptée depuis plusieurs années au Sénat qui consiste à utiliser une partie des recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques TICPE aux intercommunalités qui ont adopté un plan climat-air-énergie territorial (10 euros par habitant) ou aux Régions qui ont adopté un SRADDET (5 euros par habitant). Bien qu’il ne s’agit pas de la même proposition, le Réseau Action plaide en faveur de ce dispositif afin de soutenir les collectivités dans leur rôle charnière pour accélérer les processus de transition écologique. Il est nécessaire d’allier à la fois un changement structurel dans les mécanismes de financements pour la transition pour les collectivités et une aide d’urgence pour soutenir les collectivités dans cette période si particulière.

À rectifier en Commission Mixte Paritaire

La suppression du malus poids

Le malus poids a été intégré dans le PLF par voie d’amendement gouvernemental en première lecture du PLF. Déjà peu ambitieux par rapport à la proposition de la Convention Citoyenne pour le Climat qui proposait de l’appliquer à toutes les voitures pesant plus de 1400 kg, la proposition gouvernementale se limitait aux seules voitures de plus de 1800 kg, qui représentent moins de 2% des ventes de voitures neuves en France. La majorité au Sénat, a voté, sur proposition du rapporteur Jean-François Husson, la suppression de l’article 45 undecies qui créait une première ébauche de malus au poids. La décision du Sénat laisserait donc à ce jour la proposition des citoyens sans transcription législative, même partielle.

Un ralentissement supplémentaire pour le renforcement du malus automobile

La proposition de renforcer le barème du malus automobile a été successivement retardée par le gouvernement dans son projet de loi (renforcement lissé sur 2 ans, malus 3 fois inférieur au montant proposé par la Convention, pas de déplafonnement), par les députés en première lecture (trajectoire de renforcement retardée d’1 an pour n’aboutir qu’en 2023) et par le Sénat en première lecture. La majorité au Sénat, sur proposition du rapporteur Jean-François Husson, a retardé de 2 années supplémentaires la hausse du malus automobile. La décision du Sénat prévoit donc de ralentir l’évolution du barème du malus automobile, pour n’aboutir qu’en 2025 à un barème bien moins ambitieux que celui proposé par la Convention citoyenne.

Renforcement des mécanismes de soutien aux agrocarburants (première génération) pour le fioul domestique et l’aviation

3 amendements visant à renforcer les dispositifs de soutien aux agrocarburants (première génération) ont été adoptés, alors qu’ils présentent un bilan moyen d’émissions de gaz à effet de serre plus néfaste que les carburants fossiles . Ainsi, un amendement a introduit un tarif réduit de taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) pour les biocarburants incorporés au fioul domestique, sans distinction en ce qui concerne le type de biocarburant utilisé. Deux autres amendements étendent le champ de la taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants (TIRIB) aux carburéacteurs afin de favoriser l’utilisation de biocarburants dans l’aviation, sans faire non plus de distinction sur le type et la génération des carburants utilisés.

Des nombreuses opportunités manquées pour verdir le texte

Plusieurs mesures phares du Réseau Action Climat ont été débattues par les Sénateurs sans cependant être adoptées.

Entreprises : empêcher une baisse aveugle des impôts de production et mettre en place une véritable éco-conditionnalités climat des aides publiques

Concernant la mise en place d’une éco-conditionnalité des aides publiques aux grandes entreprises : celle-ci doit prendre la forme d’engagements climat concrets (bilan d’émission de gaz à effet de serre, trajectoire de réduction encadrée et plan d’investissements) et sanctionnables en cas de non-respect. Plusieurs amendements ont été débattus en première (sur la baisse des impôts de production) et deuxième partie du PLF à l’Assemblée nationale et au Sénat mais n’ont pas été adopté.

Mettre en place une socio-conditionnalité avec l’encadrement des dividendes : toute entreprise qui bénéficie d’aides publiques, y compris le chômage partiel, doit être contrainte de ne pas verser de dividendes en 2021. Il s’agit notamment de transposer la position de la Commission européenne en date du 8 mai 2020 portant sur l’encadrement temporaire des mesures d’aides d’État.

Agriculture et alimentation : Accélérer la transition agroécologique

Un soutien ambitieux au développement des filières protéines végétales, dont les financements doivent être prioritairement fléchés vers les cultures en agriculture biologique et vers les acteurs locaux.

La mise en place d’une taxation des engrais azotés.

L’élargissement d’une prime à l’investissement pour la transformation de la restauration collective prévu par le Plan de relance. En l’état, elle ne vise que les cantines scolaires des écoles maternelles et primaires des petites communes. De même, le montant de 50 millions d’euros est insuffisant alors que 330 millions d’euros par an pendant trois ans sont nécessaires.

Suppression des aides fiscales néfastes pour le climat et soutien public à l’exportation des secteurs les plus polluants

Suppression des dépenses fiscales qui favorisent la consommation des énergies fossiles.

Augmentation de l’écotaxe sur les billets d’avion et allocation d’une partie des ressources à l’accompagnement du secteur.

Mettre fin dès 2021 à toutes les aides à l’exportation dans le secteur des énergies fossiles.

Restriction des importations de biocarburants contribuant à la déforestation : exclusion de l’huile de soja des incitations fiscales et clarification du statut des PFAD (Palm Fatty Acid Distillate), l’un des principaux produits à base d’huile de palme.

Revenir sur la suppression de la taxe hydrofluorocarbures (HFC).

Rénovation des logements privés : Plus de performance et de justice sociale

Augmenter et pérenniser les investissements publics : selon l’étude publiée par l’Initiative Rénovons, il faudrait en effet 3,2 milliards d’euros, ciblés uniquement sur les passoires, pour les rénover au niveau Bâtiment Basse Consommation (BBC), et ce chaque année jusqu’en 2040.

Collectivités : Création d’un dispositif de financement pour les collectivités pour soutenir la mise en œuvre de politiques ambitieuses pour la transition écologique

Une hausse de 1,7 milliard d’euros de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) au profit des projets de rénovation thermique, transition énergétique et développement des énergies renouvelables.

Une augmentation de 700 millions d’euros de la dotation globale de fonctionnement (DGF) afin de permettre aux collectivités territoriales de se doter de moyens supplémentaires en ingénierie indispensables pour accompagner les investissements à réaliser en matière de transition écologique.

Un rapport d’informations concernant l’état des lieux des finances pour la transition pour les collectivités afin  d’étudier les conséquences concrètes et directes de ces diminutions de dotations sur nos concitoyens, bénéficiaires ou employés de ces services publics.

Transport alternatifs : Assurer que le développement des alternatives à la voiture devienne une réelle priorité

Proposer un plan d’investissement ambitieux en faveur du transport ferroviaire.

Abaisser la TVA à 5,5% pour les services publics de transport terrestre régulier de personnes. L’amendement voté au Sénat concerne uniquement les billets de train.

Rendre obligatoire le forfait mobilités durables.

Soutenir le développement du vélo sur tous les territoires en portant le fonds vélo à 500M€ par an.

Automobile : Soutenir l’achat des véhicules “véritablement” à faibles émissions

Renforcer le barème du malus fondé sur les émissions de CO2.

Intégrer un complémentaire du poids des véhicules dans le Malus.

Analyse des 12 mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat que le Gouvernement considère mises en oeuvre partiellement ou complètement dans le cadre du Projet de loi de finances pour 2021

12 des 51 mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat que le gouvernement considère partiellement ou complètement mises en oeuvre concernent le Projet de loi de finances pour 2021.

Notre analyse montre que l’application de ces mesures est insuffisante par rapport au niveau d’ambition proposé ou simplement renvoyée à une date ultérieure.

Il y a par ailleurs d’autres propositions dans le rapport de la Convention Climat qui auraient pu être débattues dans le cadre du Projet de loi de finances pour 2021 car elles touchent au périmètre du budget de l’Etat. Cela concerne des propositions comme la mise en place d’une taxe sur les engrais azotés ou la suppression de l’avantage fiscal pour les transporteurs routiers. Mais à la place du Gouvernement ce sont des députés et sénateurs qui ont déposé des amendements qui reprennent des propositions des citoyens.

Même si ces mesures devront être adoptées dans le cadre du “Projet de loi Climat” il y aura au moins une année de retard dans la mise en œuvre.

Bien que le texte du Projet de loi n’est pas encore connu, le Réseau Action Climat peut d’ores et déjà affirmer que la promesse présidentielle ne sera pas tenue car pour un bon nombre des 51 mesures que le gouvernement considère partiellement ou complètement mis en oeuvre l’application est insuffisante par rapport au niveau d’ambition proposé ou simplement renvoyée à une date ultérieure.

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