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La compensation carbone, inefficace pour réduire les émissions du secteur aérien

Le Réseau Action Climat publie en avant-première les résultats d’une étude de la Commission Européenne qui montre que le système de compensation carbone CORSIA sera inefficace pour réduire l’impact climatique du secteur aérien.

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Alors que le Gouvernement souhaite entériner dans la Loi Climat l’obligation de compensation carbone sur les vols intérieurs en France, cette nouvelle étude confirme qu’il s’agit en réalité d’une stratégie de Greenwashing qui détourne l’action publique de réelles mesures.

Le programme de compensation et de réduction des émissions de carbone pour l’aviation internationale (CORSIA), mis en place par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en 2016 et auquel la France et l’Union européenne participent depuis le 1er janvier 2021[1], vise à stabiliser les émissions de CO2 de l’aviation internationale au niveau de 2020 via l’achat par les compagnies aériennes de crédits de compensation carbone.

Les ONG environnementales ont maintes fois rappelé le manque de fondement scientifique des dispositifs de compensation carbone, qui ne peuvent être considérés comme équivalents aux réductions d’émissions préconisées par le GIEC. Cependant, le système CORSIA est unanimement présenté par l’industrie et le Gouvernement français comme une solution majeure de réduction de l’impact climatique du secteur aérien. Lors des débats en Commission spéciale à l’Assemblée Nationale du Projet de Loi Climat, le Gouvernement a notamment justifié le refus d’adoption de réelles mesures de report modal de l’avion sur le train ou d’arrêt des extensions d’aéroports par le recours aux dispositifs de compensation carbone des vols[2].

L’objectif de « croissance neutre en carbone” du secteur aérien via la compensation carbone est un leurre

L’objectif de “croissance neutre en carbone” via l’utilisation du dispositif Corsia est mis en avant par le secteur aérien et notamment Air France, ainsi que par le Ministère de la Transition Écologique, pour justifier des efforts de transition écologique. L’étude montre cependant que cet objectif est un leurre et que son atteinte est “peu probable” car les programmes labellisés comme éligibles pour le Corsia par le Conseil de l’OACI en mars 2020 ne permettront pas de réductions d’émissions réelles et permanentes. Tout d’abord, trois des six programmes labellisés par Corsia ne remplissent pas le critère d’additionnalité c’est-à-dire qu’il s’agit de projets qui se seraient réalisés de toute façon sans l’achat de crédits carbone. De plus, les compagnies aériennes vont également compter deux fois des réductions d’émissions qui seront également déclarées par les entreprises et les Etats au titre des efforts réalisés dans les secteurs économiques ou industriels concernés par les projets; le gain réel pour le climat étant alors nul. Cela concernerait, selon l’étude, jusqu’à 113 millions de crédits sur les 240 millions labellisés à ce jour[3].

Une option à bas coût pour les compagnies

Via CORSIA, les compagnies aériennes bénéficieront d’une offre excédentaire et potentiellement illimitée de crédits de compensation carbone bon marché, à moins de 1€ l’unité. Selon l’étude, cet achat représentera un très faible coût pour les compagnies aériennes et n’affectera ni la demande de voyages en avions ni les décisions d’investissement ou d’exploitation du secteur[4].

Manque de transparence

L’étude rappelle également que l’OACI n’a pas établi d’obligation pour les Etats membres de publier les données transmises par les compagnies aériennes et que beaucoup de données sont considérées comme confidentielles. Il est ainsi peu probable que le nombre et les caractéristiques des crédits qui seront achetés par les compagnies aériennes soient accessibles publiquement[5].

Concluant sur l’utilité générale du dispositif, l’étude de la Commission européenne reconnaît que celui-ci “n’est pas aligné avec le niveau d’ambition requis par l’Accord de Paris”. Le renforcement du marché carbone ETS est une option préférable selon elle, même si les données d’impact présentées montrent que des actions complémentaires, notamment au niveau des Etats membres, seront nécessaires pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien. Reste à savoir si le Gouvernement français entendra le message, alors qu’il a inscrit dans le projet de Loi Climat l’obligation de compensation carbone pour les vols intérieurs en France et qu’il refuse toujours de prendre les réelles mesures de réduction de l’impact climatique de l’aérien proposées par les ONG et la convention citoyenne.

[1] Council Decision (EU) 2020/954. Corsia comporte 2 phases : 1 phase volontaire (2024-2026), suivie d’une phase obligatoire pour les Etats (2027-2035) qui représentent plus de 0,5 % du RTK (Revenu Tonne Kilomètre) mondial

[2] l’étude d’impact de l’article 38 (anciennement 37) du Projet de loi climat mentionne que les programmes éligibles au Corsia et au label bas carbone pourront être utilisés par les compagnies aériennes pour s’acquitter de leurs obligations de compensation sur les vols intérieurs (p297)

[3] p 138 de l’étude

[‘4] p 146 de l’étude

[5] p 17 et 66 de l’étude

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