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6 mois après la COP26 : déception pour la coopération internationale à Bonn

Tous les pays se sont retrouvés à Bonn, du 6 au 16 juin, pour avancer sur la mise en œuvre des différentes décisions prises à Glasgow lors de la COP26. Résultat ? Ils ne sont pas parvenus à avancer concrètement sur les différents sujets à l’ordre du jour des négociations, une déception pour la société civile.

Des activistes présents aux intersessions de Bonn, 2022
Des activistes présents aux intersessions de Bonn, 2022

A l’ordre du jour de ces intersessions qui rassemblaient tous les pays signataires de l’Accord de Paris, figuraient des points majeurs pour le climat tels que l’accélération de la réduction des émissions, l’adaptation et les pertes et dommages. Le manque de progrès concrets pourrait compromettre les chances d’aboutir à des accords et à des décisions politiques pour accélérer l’action climatique à la COP27 qui aura lieu en novembre prochain à Sharm el-Sheikh sous présidence égyptienne.

Toujours plus de bla-bla et pas de finance supplémentaire pour les communautés les plus durement touchées par le changement climatique

Six mois après la COP26 qui avait vu l’enjeu des pertes et dommages, conséquences irréversibles du changement climatique, se hisser pour la première fois en haut de l’agenda politique des négociations climat, les attentes étaient fortes pour cette intersession. Or l’ouverture du dialogue de Glasgow, décidé à la COP26 afin d’échanger entre Etats, agences onusiennes, institutions financières et organisations de la société civile,sur les réponses à apporter aux pertes et dommages, a souligné de fortes divergences. 

Entre pays du Nord et pays du Sud, un dialogue de sourds

Les pays développés commencent doucement à reconnaître le besoin d’apporter une réponse financière spécifique pour les pertes et dommages, allant au-delà de la finance déjà consacrée à la réduction des émissions et à l’adaptation au changement climatique. 

😑 Les pays du Nord restent toutefois opposés à la mise en place d’un mécanisme financier dédié aux pertes et dommages d’ici à la COP27 et à son rajout dans l’agenda de la prochaine COP.

La mise en place d’une institution pour mettre en oeuvre ces financements  était pourtant l’unique condition à laquelle les pays vulnérables avaient consenti au dialogue de Glasgow. De plus, les pays riches et institutions financières (Banque mondiale, Fonds vert pour le Climat) ont voulu démontrer qu’ils étaient déjà mobilisés sur le sujet en mettant l’accent sur le renforcement des systèmes d’alerte précoce pour les événements météorologiques extrêmes et les mécanismes d’assurances pour couvrir ces éventualités. 

Or, comme l’ont rappelé les pays vulnérables, ces solutions ne répondent qu’à une partie infime des besoins en se concentrant sur la prévention et réduction des impacts mais sont inadéquates pour répondre aux conséquences irréversibles du changement climatique qui sont déjà une réalité (terres devenues inhabitables, mouvements migratoires forcés, phénomènes à occurrence lente comme la montée du niveau des mers, etc).

A Bonn, un autre sujet majeur était de pouvoir fournir une assistance technique aux pays touchés par les pertes et dommages à travers la mise en place du réseau de Santiago, décidé à la COP25. Alors que les négociations étaient plutôt partie du bon pied avec beaucoup de suggestions proposées par les différents Etats en amont de Bonn, le dialogue s’est embourbé autour de la structure pour assurer une bonne gouvernance du réseau et a abouti à une impasse. Il reste fort à faire pour que la COP27 voit atterrir ses discussions et que les premiers pays qui le souhaitent puissent effectivement bénéficier d’un premier appui technique début 2023.

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A Bonn, la société civile réclame le financement des pertes et dommages, 2022

Pas d’avancées concrète sur la réduction des émissions ni la définition d’un objectif global d’adaptation au changement climatique

Les intersessions de Bonn ont vu le lancement de plusieurs programmes de travail décidés à Glasgow, visant à terme à rendre le régime international plus efficace pour accélérer la mise en œuvre de l’action climatique. 

😑 Certains pays souhaitaient que le terme de “pays les plus émetteurs” n’apparaissent pas dans la première version des discussions, tout en refusant de rajouter des objectifs de réduction sectoriels. 

Résultat ? Les différentes options évoquées pour le contenu du programme de travail ne figurent pas dans le texte final, qui évoque seulement l’organisation d’un atelier pour avancer sur le sujet avant la COP27.

😑 Sur la réduction des émissions, les pays ne sont pas parvenus à accorder leurs points de vue sur le contenu et la durée du programme de travail qui a été décidé à Glasgow.

Sur l’adaptation, les pays ont lancé le programme de travail Glasgow-Sharm el-Sheikh sur la définition d’un objectif global d’adaptation, qui durera deux ans. L’adaptation est en effet le deuxième pilier de l’Accord de Paris mais a historiquement bénéficié d’une moins grande attention que la réduction des émissions dans les discussions internationales. Les pays ont donc eu l’opportunité de discuter de la méthodologie (comment quantifier l’adaptation ?) pour la définition d’un objectif global, tout en rappelant la nécessité de prendre en compte les initiatives d’adaptation déjà en cours des communautés au niveau local. 

Il reste encore beaucoup à faire pour que ces discussions aboutissent à la définition d’un objectif global d’adaptation, alors que le financement de l’adaptation reste largement insuffisant.

Un début enthousiaste mais un peu creux pour le Bilan Mondial

L’Accord de Paris avait tout prévu : afin de vérifier que les pays mettent bien tout  en place pour atteindre leurs objectifs, il existe un mécanisme d’évaluation qui doit être organisé tous les 5 ans: le Bilan Mondial. Il s’agit de montrer avec une approche collective où les Etats ont fait des progrès, où ils sont en retard, pourquoi et surtout comment accélérer la transition écologique et être plus ambitieux pour les prochains objectifs climatiques nationaux. 

Le Bilan Mondial a donc une nouvelle dimension qui est de donner des solutions concrètes et des bonnes pratiques aux Etats afin de faire mieux et plus vite. Ces solutions sont collectées grâce à des contributions écrites de la part de nombreux acteurs non-étatiques (ONG, entreprises, villes et régions, représentant.es de peuples autochtones  etc) ainsi que des dialogues entre Etats et acteurs non-étatiques organisés en présentiel jusqu’à la date butoir du bilan : novembre 2023, à la COP28.

Le premier dialogue s’est tenu à Bonn justement et il y a des points positifs: c’était un dialogue très inclusif, avec des formats assez nouveaux qui permettent aux Etats et aux acteurs non-étatiques d’avoir de vraies conversations. En revanche, par manque de temps mais aussi de structure, beaucoup de sujets clés pour la transition écologique n’ont pas été abordés en profondeur, comme la sortie des énergies fossiles, le respect des droits humains et des peuples autochtones ou encore la question de l’équité entre les pays développés et les pays en développement (en somme: qui peut et doit faire le plus d’effort dans les années à venir?).

Un deuxième dialogue de la sorte se tiendra en Egypte à la COP27: alors que le secrétariat de la CCNUCC (Convention cadre des nations unies sur les changements climatiques) va continuer à récolter des données et informations pour une évaluation en profondeur de l’action des Etats, il est important que la présidence égyptienne de la COP27 donne le ton dès le mois de novembre prochain : le Bilan Mondial a beau rendre son verdict sur les efforts des Etats pour la COP28 en 2023, il faut que dès cette année les Etats lui dédient une attention politique importante et acceptent de parler des sujets qui fâchent, afin de trouver les meilleurs solutions possibles à recommander pour les humains, la nature et le climat.

Une occasion manquée de reconnaître l’agroécologie

Pour ces intersessions visant à préparer une décision pour la COP27 sur  le programme sur l’agriculture appelé Koronivia, les États devaient négocier trois points : le rapport d’un atelier passé sur la Gestion durable des terres et de l’eau, élaborer les conclusions du programme de Koronivia (qui visait à créer un espace de discussion entre les pays sur les liens entre agriculture, sécurité alimentaire et changement climatique) qui touchait à sa fin après plusieurs années et réfléchir au futur du programme. 

Pour la société civile présente dans ce programme depuis de nombreuses années, la présence du terme “agroécologie” dans la première version du rapport de l’atelier sur les terres et l’eau était un signe positif qu’il nous fallait confirmer. Cependant, très tôt à Bonn, l’agroécologie à suscité de grandes tensions. L’Union européenne souhaitait qu’elle soit prise en compte ou tout au moins mentionnée en précisant que les observateurs dont la société civile internationale et le Rapporteur spécial sur le Droit à l’alimentation, la préconisent.

😑 D’autres Etats ont insisté sur le fait que l’agroécologie est une approche comme beaucoup d’autres et qu’elle ne doit pas être distinguée ou mentionnée. 

La recherche du consensus fait que le terme n’apparaît pas dans les documents finaux de ces sessions même si certains des principes de l’agroécologie sont reconnus. 

Des amorces timides et périlleuses sur le fonctionnement des marchés carbone

A la COP26, les Etats avaient décidé de mettre en œuvre des mécanismes de marché carbone. Les négociations à Bonn portaient donc sur les règles de fonctionnement de ces mécanismes de marché, ainsi que sur le mécanisme non-marchand prévu dans l’Article 6.

Zoom Sur… l’article 6 de l’Accord de Paris

Deux nouveaux marchés du carbone, c’est -à -dire des marchés permettant d’échanger des unités de réduction de CO2, ont été instaurés sous l’Accord de Paris. L’accord trouvé à la COP 26 permet d’engranger quelques garanties sur l’intégrité environnementale (notamment en interdisant le double comptage) mais annonce également des lacunes dangereuses pour l’ambition climatique. De même, les marchés carbone s’appuyant pour beaucoup sur les méthodes de compensation comme un levier d’action mettent ainsi en péril l’objectif premier de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.

Or, il est assez préoccupant d’observer d’ores et déjà  que certains Etats souhaitent inclure les “émissions évitées”, c’est à dire qui ne sont pas issus de réduction d’émissions directes, dans les mécanismes de marché. En effet, les émissions évitées ne constituent pas des réductions réelles d’émission et nous éloignent de l’objectif de maintenir le réchauffement à 1,5°C. Aussi, il faut noter que certains groupes poussent pour que des projets soumis au mécanisme de réductions des émissions dues à la déforestation et la dégradation forestière (REDD+) soient incluses dans le mécanisme marché de l’article 6.2 et cela de manière automatique, s’échappant ainsi aux règles prévues pour les crédits échangés entre Etats. 

Les négociations s’annoncent longues et potentiellement mouvementées avant que les activités de l’article 6 ne se mettent en place. 

Quelles attentes pour la COP27 ?

La présidence égyptienne a déjà annoncé que la COP27 serait la « Implementation COP », c’est-à-dire la COP de la mise en œuvre. Mais la définition de la mise en œuvre et son interprétation peuvent varier selon les pays : comment par exemple mettre en œuvre les objectifs de réduction d’émissions sans financement et sans ressources ? Comment mettre en œuvre lorsqu’un pays est occupé à gérer la réponse d’urgence à des ouragans et tempêtes qui affectent ses communautés ? Comment mettre en œuvre tout en continuant d’investir dans les énergies fossiles ? Comment mettre en œuvre sans transparence et redevabilité ? 

Si la présidence égyptienne devra clarifier sa vision dans les prochains mois, les rapports du GIEC sortis cette année sont clairs et constituent un « code rouge » pour l’humanité. Les pays doivent apporter une réponse aux conclusions du GIEC lors de la COP27 et comprendre qu’une action climatique ambitieuse est critique pour assurer la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique et la santé de leurs populations.

Plusieurs événements internationaux climatiques, comme le sommet du G7 en Allemagne les 26, 27 et 28 juin, ainsi que le dialogue de Petersberg en juillet, puis l’Assemblée Générale des Nations-Unies en septembre sont des moments clés pour avancer l’ambition climatique. La France doit investir ces espaces avec un agenda climatique clair et ambitieux pour que la COP27 puisse se traduire en de véritables avancées dans la mise en œuvre des objectifs climatiques.

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Cet article est réalisé grâce à l’appui financier de l’Agence française de développement. Les contenus présentés et les opinions exprimées sont celles du Réseau Action Climat-France. Elles n’engagent ni la responsabilité ni les positions de ses partenaires et services associés.

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