Un plan de reconquête de la souveraineté de l’élevage à contrario de l’urgence climatique
Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, a présenté dimanche aux filières d'élevage le plan gouvernemental pour la reconquête de notre souveraineté sur l'élevage. Réaction du Réseau Action Climat et de Greenpeace France.
Pour Ronan Groussier, responsable agriculture du Réseau Action Climat :
“Le plan proposé est une occasion manquée, il ne comprend pas de mesures structurantes et concrètes pour enrayer la crise subie par les éleveurs, et fait abstraction de la nécessaire transition de l’élevage. Alors que la trajectoire de cette transition est définie dans les travaux gouvernementaux sur la planification écologique, ce plan conserve une vision productiviste de l’élevage. Les leviers d’actions pour accompagner les éleveurs vers l’agroécologie, modèle le plus résilient aux chocs climatiques et économiques, sont attendus de toute urgence”.
Une occasion ratée pour l’indispensable transition de l’élevage et un manque de cohérence avec la planification écologique
Le plan ne dit rien de la trajectoire de transition de l’élevage qui doit pourtant être inscrite dans la prochaine Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC)[1], en faveur des élevages herbagers et sous sigle d’origine et de qualité. Pourtant, à ce jour aucun levier d’action en ce sens n’a été identifié ni discuté par le gouvernement, alors même que la tendance actuelle est justement à l’agrandissement, la concentration et l’intensification des élevages, et à la disparition des élevages durables[2]. Ce sont pourtant ces élevages durables qui sont les plus résilients face aux chocs climatiques et économiques (voir encadré ci-dessous), et qui assurent pleinement notre souveraineté alimentaire. Pour le Réseau Action Climat, il s’agit d’un manque majeur, car ce plan constituait l’occasion d’annoncer les mesures permettant d’amorcer cette trajectoire.
Des élevages durables plus résilients économiquement :
En minimisant leurs besoins d’achat d’aliments (maïs ensilage/concentrés) et d’intrants, les élevages durables, autonomes et économes réduisent leurs dépendances envers l’extérieur et leurs charges. Ils présentent donc des « taux de valeur ajoutée brute à la fois plus élevés et plus stables, moins dépendant des variations conjoncturelles » [3]. Ce point s’illustre dans les résultats d’une étude menée sur les fermes laitières par le réseau CIVAM en 2022 [4] :
Fermes étudiées | En systèmes herbagers et durables | En systèmes conventionnels |
Résultat courant moyen | 41 479 € | 23 676 € |
Dépenses en phytos / ha | 13€/ha | 49€/ha |
Le constat est similaire pour les élevages bovins allaitants : les systèmes durables dégagent plus de valeur et génèrent davantage d’emplois que les systèmes conventionnels. [5]
Le risque d’enfermer l’élevage dans une vision productiviste
L’enjeu des volumes de production ne doit pas être l’unique boussole. Se pose aussi la question des conditions de production et de leur durabilité. Or, ce plan ne mentionne pas l’inévitable question du choix du modèle.
A ce titre, le Réseau Action Climat déplore fortement le projet de décret visant à réhausser les seuils au-delà desquels une évaluation environnementale est nécessaire pour la construction d’élevage porcin ou avicole. Pour la volaille, ce seuil va plus que doubler, passant de 40 000 à 85 000. Cette action va favoriser la construction d’élevages intensifs et industriels, ne permettant pas d’enrayer la disparition des élevages durables et à taille humaine. Au contraire, ce choix d’intensification de nos filières d’élevage empêche le développement d’élevage durable et va accélérer leur disparition.
La vision de reconquête de la souveraineté mise en avant est d’ailleurs parcellaire, car celle-ci ne se fera pas sans une réduction importante de la dépendance aux intrants des élevages intensifs. En effet, leur modèle repose sur des importations massives, que ce soit d’engrais de synthèse pour produire l’alimentation des animaux ou d’aliments directement.
Un manque d’articulation avec la politique alimentaire
L’objectif de réduire les importations de produits animaux (30% de la viande consommée en France est importée) et de tendre au maximum vers la souveraineté alimentaire est louable. Nous déplorons que le gouvernement fasse l’impasse sur une donnée clé dans ce plan : la réduction de la consommation de viande. Pourtant, comme nous l’indiquions dans une lettre ouverte adressée à Marc Fesneau, pour concilier engagements climatiques et souveraineté alimentaire, il est nécessaire d’articuler la transition de l’élevage et l’évolution des régimes alimentaires, vers moins de viande mais de meilleure qualité et produite en France. En dirigeant cette baisse vers les produits importés, elle serait bonne pour notre balance commerciale et les éleveurs français, tout en réduisant l’impact environnemental de notre alimentation.
Ce point est mis en avant dans les différents scénarios visant l’atteinte de nos engagements climatiques, et dans le rapport du Haut Conseil pour le Climat notamment.
Ce dernier invite également le gouvernement à « revoir les recommandations nutritionnelles pour y intégrer les enjeux climatiques » . L’étude du Réseau Action Climat et de la Société Française de Nutrition parue le 20 février va dans le même sens. Les recommandations du Programme National Nutrition Santé indiquent des quantités maximales de consommation de viande rouge et de charcuterie trop élevées (2 fois plus élevées que chez ses voisins européens) et n’établissent aucune limite pour la volaille.
Nos organisations regrettent donc que le plan proposé n’engage pas un accompagnement véritable des éleveurs dans et vers la transition agroécologique qui est la trajectoire à adopter pour assurer notre souveraineté alimentaire. Un tel plan passerait notamment par :
- Le “renforcement des critères des aides couplées bovines pour les orienter en priorité vers les exploitations d’élevage bas carbone les plus vulnérables” (Haut Conseil pour le Climat), notamment via l’ajout d’un critère de pâturage ;
- Une revalorisation des paiements pour le maintien des prairies ;
- Une aide spécifique pour les élevages bio en difficulté économique ;
- La bonification des aides à l’installation pour les élevages durables (et non simplement des prêts garantis à l’installation) ;
- La mise en place d’aides pour les élevages s’engageant dans une démarche de transition ;
- Accroître le soutien aux organismes locaux d’accompagnement type Onvar et pôle InPact.
Notes et références
[1] Voici les hypothèses retenues à date dans les travaux d’élaboration de la prochaine version de la SNBC, qui doit être adoptée courant 2024 :
2020 | 2030 | 2050 | |
Bovin herbager | 28% | 45% | 64% |
Bovin mixte | 28% | 28% | 20% |
Bovin maïs majoritaire | 44% | 27% | 16% |
Porcin sous label et AB | 4% | 7% | 16% |
Volaille sous label et AB | 32% | 39% | 60% |
[2] Sur la filière bovine par exemple, le nombre d’exploitations est en recul de 27,8 % par rapport à 2011. Cette baisse s’accompagne d’un accroissement de la taille des cheptels. En 2021, un élevage bovin compte 118 animaux en moyenne, contre 94 en 2011. Parmi les exploitations bovines, 13 % élèvent aujourd’hui plus de 100 vaches, concentrant 38 % du cheptel, des proportions deux fois supérieures à celles connues dix ans auparavant. (Source : Graph’Agri 2022 – bovin.)
[3] Les exploitations d’élevage économes et autonomes en intrants créatrices de valeur ajoutée – Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire
[4] Réseau CIVAM (2022). Observatoire technico économique bovins lait
[5] Réseau CIVAM (2023), Observatoire technico économique bovins viande
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