Alimentation

Lettre ouverte au Ministre de l’Agriculture pour une transition de notre élevage et de notre alimentation

Face à la hausse des importations de viande et la baisse du cheptel en cours, le Réseau Action Climat, Greenpeace France et la Fondation pour la Nature et l’Homme invitent le ministre de l’Agriculture à prendre des mesures pour faire évoluer les régimes alimentaires vers moins & mieux de viande et les élevages vers un modèle plus durable.

Couv CP sondage viande

Face à la hausse des importations de viande et la baisse du cheptel en cours, une réponse cohérente doit être apportée aux enjeux de souveraineté alimentaire, de balance commerciale et de climat. Par une lettre ouverte, le Réseau Action Climat, Greenpeace France et la Fondation pour la Nature et l’Homme invitent le ministre de l’Agriculture à prendre des mesures pour faire évoluer les régimes alimentaires vers moins mais mieux de viande et les élevages vers un modèle plus durable. Cette transition ne doit pas se faire  au détriment des éleveurs.  

Monsieur le Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire,  

L’État français s’est fixé comme objectif de réduire ses émissions agricoles de 46 % d’ici 2050, et de 18% d’ici 2030 – la nouvelle Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) en cours de finalisation devant même rehausser cet objectif. Cette dernière ainsi que les différents scénarios (1) visant l’atteinte de nos engagements climatiques, mettent en avant qu’une diminution globale du cheptel est nécessaire. En effet, les travaux d’élaboration de la SNBC 3 montrent que même si les mesures d’optimisation des pratiques sont indispensables, elles ne seront pas suffisantes et devront s’accompagner d’une diminution de 30% des cheptels bovin et porcin d’ici 2050 a minima.

Dans les faits, la tendance est déjà à la baisse dans les différentes filières depuis une vingtaine d’années (2), particulièrement pour la filière bovine. Cependant, il s’agit d’une baisse non planifiée et subie par les éleveurs, aux conséquences désastreuses, puisque le nombre d’exploitations baisse beaucoup plus rapidement que le nombre de têtes (3). Elle touche en priorité les petites et moyennes fermes, et nourrit l’intensification accrue de l’élevage (4). Les éleveurs voient leur situation se dégrader dans un contexte de rapport de force extrêmement déséquilibré dans les négociations avec la grande distribution et les industries agroalimentaires, et de succession des traités de libre-échange qui les exposent à une concurrence accrue et souvent déloyale.

Face à ces difficultés, il est crucial de dépassionner le sujet et de le regarder en face. Cette baisse du cheptel nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques français doit être pilotée et accompagnée par l’Etat dans le cadre d’une transition de l’élevage, pour éviter que la crise subie par les éleveurs français ne s’aggrave davantage. Cette transition doit revaloriser le métier d’éleveur, et suppose de passer d’un modèle intensif en crise vers des modes d’élevages paysans et durables plus résilients. Ainsi, en ne dessinant pas de trajectoire politique en faveur d’une baisse maîtrisée et pilotée du cheptel, le ministère de l’Agriculture n’apporte pas de perspectives d’avenir souhaitables aux éleveurs, malgré un plan récemment annoncé (5)

Selon votre ministère, une “réduction de l’élevage sans évolution des régimes alimentaires n’apporterait aucun bénéfice net pour le climat, car les émissions seraient déplacées(6). En effet, la consommation de viande est en légère hausse, participant à la croissance des importations de viande déjà importantes (7). Cela est particulièrement flagrant pour les volailles, dont la part importée est de 45,2% sur les six premiers mois de 2023 (8). Néanmoins, une solution conciliant engagements climatiques et souveraineté alimentaire existe : enclencher la transition de l’élevage ET l’évolution des régimes alimentaires vers moins de viande, mais de meilleure qualité et produite en France. Ce point est d’ailleurs mentionné dans le document de planification écologique (9) du Gouvernement, qui doit maintenant être mis en œuvre. 

Nous nous interrogeons donc sur votre position sur la réduction de la consommation de viande, actuellement discutée dans le cadre de la planification écologique et de l’élaboration de la Stratégie Nationale pour l’Alimentation, la Nutrition et le Climat. Cette orientation serait pourtant doublement gagnante. En dirigeant cette baisse vers les produits importés, elle serait bonne pour notre balance commerciale et les éleveurs français, tout en réduisant l’impact environnemental de notre alimentation. En outre, elle serait bénéfique pour la santé de nos concitoyens (10)

Brandir la menace des importations pour ne pas initier la transition de l’élevage, et dans le même temps, ne pas agir sur la demande alimentaire, en particulier sur la consommation de viande, reviendrait à préserver un statu quo mauvais pour les éleveurs et le climat. Cet immobilisme empêcherait d’atteindre nos objectifs de réduction des émissions, sans résoudre les difficultés rencontrées par le secteur.

Ainsi, et tel que le préconise le Haut Conseil pour le Climat (11), il est urgent et nécessaire d’articuler les politiques agricoles et alimentaires pour répondre de concert aux enjeux climatiques, de santé publique, et socio-économiques des filières d’élevage. En somme, nous vous demandons, Monsieur le Ministre : 

  • de fixer une trajectoire claire et quantifiée de transition de l’élevage, basée sur une réduction du cheptel ciblée sur les élevages industriels et intensifs, et un soutien massif aux éleveurs et candidats à l’installation pour évoluer, s’installer ou se maintenir dans des modes d’élevages durables ; 
  • de soutenir une politique alimentaire volontariste visant à réduire la demande de viande, tout en privilégiant la consommation de viande de qualité et produite en France
  • tout cela devra se compléter de mesures de protection des éleveurs vis-à -vis des importations aux normes moins-disantes.

Nous serions ravis de convenir d’un rendez-vous pour discuter avec vous de la position de votre ministère sur ces sujets, et de nos recommandations pour la Stratégie Nationale pour l’Alimentation, la Nutrition et le Climat et pour le Pacte et la Loi d’Orientation Agricole en cours d’élaboration.

Signataires

  • Réseau Action Climat
  • Fondation pour la Nature et l’Homme
  • Greenpeace France

[1] Scénarios TYFA (IDDRI) et Afterres2050 (Solagro) et Quels systèmes alimentaires durables demain ? (ADEME, 2021).

[2] I4CE, Transition de l’élevage : gérer les investissements passés et repenser ceux à venir, p9 (2023). D’après des données Agreste et FranceAgriMer.

[3] Agreste, Graph’agri 2022 : entre 2000 et 2020, le nombre d’exploitations avec un cheptel laitier a baissé de 42%, et de 27% pour les bovins allaitants. En parallèle, le nombre de têtes par exploitation a progressé de 27% pour les vaches allaitantes et de 39% pour les laitières.

[4] 60% des animaux sont concentrés dans 3% des élevages en France.Greenpeace, Élevage en France, des fermes pas des usines!, Mai 2023.

[5]  Plan de reconquête de la souveraineté de l’élevage annoncé le 7 octobre 2023. 

[6] Courrier de réponse de la DGPE (ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire) adressé à la Cour des Comptes.

[7] Augmentation des importations de viande de 11,5 % en 2022, représentant plus de 30 % de la consommation totale d’après FranceAgriMer.

[8] ANVOL, Dossier de presse “La filière redémarre et se mobilise pour répondre à la hausse de la demande et résister aux importations”, 7 septembre 2023.

[9] Mieux agir – La planification écologique, France Nation Verte (juillet 2023). (lien)

[10] Voir l’ Appel du 7 juillet signé par 26 organisations et plus de 400 professionnels de santé pour que la végétalisation de l’assiette soit au cœur de la SNANC.

[11] Haut Conseil pour le Climat, Rapport annuel 2023, p14 (juin 2023) : “Les politiques alimentaires, climatiques et nutritionnelles doivent être mieux articulées. Les mesures visant la demande et la baisse de la consommation de viande doivent être accompagnées de mesures sur l’offre afin d’éviter qu’elles ne soient affaiblies par les importations de viande de l’industrie, de la grande distribution et de la restauration hors foyer.”

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