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Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat : l’appel des associations environnementales et de santé

Un collectif de 11 associations, dont fait partie le Réseau Action Climat, se réunit pour interpeller le gouvernement sur la mise en place d’objectif chiffré de réduction de la consommation de produits issus de l’élevage dans la future Stratégie Nationale Alimentation Nutrition Climat.

Votre texte de paragraphe (6)

Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les ministres,

La Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC), prévue par la loi dite “Climat et Résilience” de 2021, est attendue depuis plusieurs années par les organisations de la société civile. Cette stratégie est cruciale pour accompagner au mieux l’évolution de nos systèmes alimentaires vers le “moins et mieux de produits animaux”, en proposant des solutions concrètes des consommateurs au monde agricole, en passant par l’aval des filières, afin de mener une transition agroécologique permettant de réduire les impacts de notre modèle conventionnel sur l’environnement, notre santé publique et les éleveurs mis sous pression par une demande de viande élevée et stable dans l’ensemble. Nous sommes donc extrêmement inquiets à l’idée que les objectifs chiffrés de réduction de la consommation de viande puissent disparaître de ce texte.

Un tel arbitrage ne nous semblerait pas acceptable, à l’heure où le consensus scientifique, les scénarios de prospective agricole les plus débattus en France (Afterres 2050 de Solagro, TYFA de l’IDDRI, Transition(s) 2050 de l’Ademe, etc), mais aussi la Stratégie nationale bas carbone française, le Conseil national de l’alimentation, le Haut Conseil pour le Climat, le Haut Conseil de la Santé Publique ou encore France Stratégie montrent tous que la baisse de consommation de produits d’origine animale est une nécessité pour adopter des pratiques agroécologiques dans les exploitations agricoles, se munir d’une planification écologique ambitieuse dans le secteur agricole et pour mettre en adéquation notre production alimentaire avec des objectifs d’intérêt général (pour l’environnement, la santé publique et une plus grande résilience face aux aléas environnementaux, sanitaires et géopolitiques).

Cette orientation est également largement soutenue dans l’opinion publique. Dans un sondage Harris Interactive mené pour le Réseau Action Climat et paru le 18 mars, plus des trois quarts des sondés affirment qu’ils pourraient limiter leur consommation de viande si cela permettait d’acheter de la viande de meilleure qualité qui rémunère mieux les éleveurs (79%), si cela permettait de réduire les importations de viande (77%) et si cela permettait de soutenir la production de viande issue d’élevages aux pratiques durables (77%). Par ailleurs, 85% des Français sont favorables à des campagnes de sensibilisation sur l’alimentation durable, encourageant à consommer moins de viande et à avoir une alimentation plus végétale. Enfin, 59 % considèrent que l’Etat n’en fait pas assez pour encourager les Français à diminuer leur consommation de viande et 63% à en consommer de meilleure qualité !

Rappelons dans le détail les enjeux en présence :

Concernant la santé publique : respectivement 33% et 66% de la population française adulte dépassent les quantités maximales recommandées par Santé Publique France pour la charcuterie (maximum 150 grammes par semaine) et la viande rouge – agneau, bœuf, porc, veau, etc. – (maximum 500 grammes par semaine), tandis que 72 % des Français ne mangent pas assez de fruits et légumes, et seulement 48 % mangent des légumes secs chaque semaine (MASAF). Dans son rapport de 2017, l’IGAS indique qu’une végétalisation de notre alimentation permettrait une diminution de 20 % des décès prématurés (IGAS, 2017). Chaque année en France, 28 000 décès sont imputés à une consommation excessive de viande rouge et de produits laitiers, et 57 000 à une consommation trop faible d’aliments d’origine végétale (Lancet, 2024). Dans cette logique, l’OMS rapporte qu’il est nécessaire, dans un pays comme la France, de diminuer la consommation de viande au profit d’aliments végétaux (OMS 2021, OMS, 2023). Le PNNS4, paru en 2019, recommande également d’aller vers une diminution de la consommation de viande et vers une augmentation des apports notamment en légumineuses, fruits, légumes, oléagineux. Par ailleurs, alors que les Etats-Unis font en ce moment face à une forte circulation du virus influenza aviaire H5N1 et H7N9, il apparaît stratégique de réduire notre sur-dépendance aux production animales à bas coût faisant peser un risque important sur la santé animale comme humaine.

Concernant les impacts environnementaux et le bien-être animal : les émissions du système alimentaire représentent 22 % de l’empreinte carbone globale de la France et les produits d’origine animale sont responsables de 61 % de l’empreinte carbone alimentaire (HCC, 2024). La réduction de la consommation de produits d’origine animale et le report vers d’autres sources de protéines est ainsi une condition sine qua non pour respecter les engagements internationaux de la France en matière de climat et de biodiversité, les grandes orientations nationales de la planification écologique pour le secteur agricole ainsi que pour répondre aux attentes citoyennes en matière de respect du bien-être animal et de l’environnement. En particulier, elles sont nécessaires pour répondre aux objectifs fixés par la SNBC en termes d’évolution du cheptel et d’évolution des modes de production vers des systèmes extensifs pour les bovins, les poulets et les porcs. L’évolution des modes de production en élevage vers le moins et mieux est enfin une nécessité en matière de biodiversité afin de réduire la pression sur les écosystèmes.

La SNANC doit donc fixer des objectifs chiffrés de réduction de la consommation de produits d’origine animale et proposer des mesures ambitieuses pour orienter les régimes alimentaires vers de la viande produite de façon plus écologique et vers la consommation d’une proportion plus grande de protéines végétales, tout en proposant des leviers pour accompagner les éleveurs dans la transition et leur assurer une juste rémunération (au travers de mesures assurant un plus juste partage de la valeur et plus d’équité entre agriculteurs et au sein des filières).

Pourtant, dans sa version actuelle, la stratégie nous semble manquer d’une vision cohérente et systémique pour l’ensemble du système alimentaire. C’est d’autant plus regrettable que cet objectif de transformation des régimes alimentaires constituerait un levier déterminant pour :

Répondre aux difficultés du monde agricole : la baisse de la consommation permettrait de réduire la pression exercée sur les éleveurs français, contraints d’augmenter leur volume de production en intensifiant leurs systèmes pour essayer de rester compétitifs. En plus d’être socialement coûteuse (réduction du nombre d’éleveurs, réduction du nombre d’exploitations, endettement important, moindre capacité à transmettre étant la valeur des actifs immobilisés sur les exploitations, temps de travail conséquent, etc), cette stratégie est vouée à l’échec pour des raisons structurelles : différences de coût de main d’œuvre avec d’autres pays européens qui rendent difficile le fait de se positionner sur de la compétitivité prix, impacts environnementaux locaux trop importants d’une intensification de la production avec le non-respect régulier de la directive nitrates et des pollutions locales ayant des impacts pour la santé publique et la qualité de vie sur les territoires, une démographie agricole qui induit mécaniquement aujourd’hui une baisse des volumes de production déjà en cours, etc.

Améliorer la souveraineté alimentaire : la réduction de la consommation de produits d’origine animale est un des leviers structurants pour améliorer notre souveraineté alimentaire, comme l’indiquent des rapports récents de la Direction générale du Trésor du ministère de l’Economie et du Réseau Action Climat. D’une part, les productions animales sont largement dépendantes des importations d’intrants (dont le soja et les engrais de synthèse pour produire l’alimentation des animaux). Ces importations créent des dépendances critiques et stratégiques vis-à-vis de l’étranger. À titre d’exemple, malgré le contexte géopolitique, la France a presque doublé ses importations d’engrais russes entre 2021 et 2022 (passant de 402 000 tonnes à 750 000 tonnes). D’autre part, 30 % de la viande consommée en France est importée, dont plus de la moitié en raison de l’explosion de la consommation de viande de poulet (FranceAgriMer, 2022). Les politiques publiques doivent ainsi se saisir de la SNANC pour réfléchir aux postes de consommation de viande importée (concentrés dans la restauration commerciale et les plats préparés et à emporter) et pour les réduire en mobilisant toutes les parties prenantes sur une stratégie « moins et mieux ». Pourtant, à ce jour, aucune politique publique n’encadre la flambée de la consommation de volaille (+15% en 5 ans) ou de saumon, les produits animaux dont les modes de productions suscitent pourtant le plus de questionnement sociétal. En parallèle, la part des importations de volaille est, elle, en augmentation constante : 48 % du poulet consommé en France n’est pas produit en France, et les importations de poulet ont augmenté de 36,9 % en 5 ans ! Concernant d’autres filières, c’est par exemple 30% de la viande bovine qui est importée dans les plats préparés et 55% dans la restauration commerciale (voire 62% dans la restauration rapide).

Soyons clairs, diminuer notre consommation moyenne de produits issus de l’élevage n’implique absolument pas un arrêt de la consommation de produits animaux ou un arrêt de l’activité d’élevage ; il s’agit simplement d’un rééquilibrage entre la consommation de protéines animales et de protéines végétales dont les proportions respectives se sont historiquement inversées en faveur des produits animaux, en dépit des impacts d’une production et d’une consommation dépassant nos limites planétaires et les recommandations de santé publique. Cette évolution des régimes alimentaires doit également permettre de maintenir puis créer des débouchés à des modes de production français plus écologiques, que ce soit en matière d’élevage ou de développement de la production de légumineuses conformément aux objectifs de nos politiques publiques. Le rôle de la SNANC serait selon nous de soutenir la structuration des filières de l’amont agricole à la commercialisation, comme l’ont fait plusieurs pays européens comme le Danemark et les Pays-Bas par exemple.

Compte tenu de toutes ces considérations, par soucis de cohérence des politiques publiques entre elles et d’adéquation entre l’action publique et les conclusions scientifiques existantes, nous vous prions par avance de faire mention dans la SNANC d’objectifs chiffrés de baisse de la consommation de viande rouge et de volaille correspondant, a minima, à ceux de la Stratégie Nationale Bas Carbone.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, l’expression de notre très haute considération.

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