Stratégie climat pour la France : que propose-t-elle pour relever le défi des emplois ?
Dans ses documents de planification climat-énergie (PPE et SNBC) actuellement soumis à consultation publique, la France se fixe un double objectif : décarbonation de l’économie française et création d’emploi. Décryptage de ce que contiennent ces deux documents de planification pour accompagner la transition juste des travailleurs.
SNBC et PPE : un cap collectif indispensable pour guider les décisions en matière d’emploi et de formation
La stratégie française pour l’énergie et le climat est actuellement en cours de révision. Avec près d’un an de retard, deux documents clé sont (enfin !) soumis à consultation publique jusqu’à mi-décembre : la nouvelle Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC-3) et la Programmation Pluriannuelle de l’Energie visant la période 2025-2030 (la PPE-3). Ces documents -certes d’abord technique- vont directement impacter les réorientations du tissu économique français et l’avenir des travailleurs. Ils donnent un cap collectif pour tous les acteurs qui définissent les politiques d’emploi, les parcours de formation mais aussi ceux qui accompagnent ces mutations et les travailleurs au quotidien.
Ces cadres permettent de tracer la feuille de route pluriannuelle que les acteurs des filières stratégiques pour la transition et de l’écosystème emploi-formation appellent de leurs vœux. Ce cadre pluriannuel est une nécessité, comme l’évoquaient de manière unanime les acteurs des enjeux marchés & emplois de la transition, lors de l’événement organisé par le Réseau Action Climat et l’Ademe le 24 septembre dernier (voir ici sa synthèse).
La SNBC et la PPE constituent donc des documents essentiels. C’est la raison pour laquelle le Réseau Action Climat regrette le retard pris par ces démarches, et l’absence d’un débat parlementaire digne de ce nom, ainsi que d’un texte faisant force de loi sur un sujet aussi essentiel.
La SNBC : un cadre utile pour accompagner les mutations d’emplois dans chaque secteur
La SNBC en consultation1 annonce ainsi que la planification écologique se donne pour ambition de « créer des emplois en France ». Elle « porte une attention particulière aux nombreux co-bénéfices potentiels de la transition écologique », notamment à travers les « leviers de baisse des émissions qui ont des retombées positives en termes d’emplois locaux ». Le caractère globalement bénéfique pour l’emploi de la transition est ainsi reconnu -et c’est bienvenu.
Sur les principes d’action, la SNBC pose également quelques bases intéressantes, en particulier sur le besoin d’accompagner les territoires, les secteurs et salariés les plus impactés par la transition écologique. Cela concerne les secteurs à reconversion nécessaire (enjeu de transition juste), mais aussi les secteurs à développement nécessaire pour la transition. La nécessité de combiner écologie et justice sociale est également un axe fort qui ressort des premières phases de concertation.
Le projet de SNBC balaye ensuite les enjeux sectoriels de décarbonation, et l’impact anticipé pour l’emploi. Mobilités, agriculture, industrie, bâtiment : la SNBC précise les évolutions nécessaires en tenant compte des enjeux de transition juste.
- Le défi du bâtiment est par exemple bien identifié : « la filière économique de la rénovation énergétique devra évoluer rapidement et se renforcer fortement pour répondre aux besoins croissants, estimés à environ 210 000 emplois d’ici 2030 ».
- Sur l’industrie, « les évolutions industrielles en matière d’emplois et de compétences par bassin d’activité seront anticipées pour permettre l’émergence d’activités alternatives dans les zones possiblement touchées par des disparitions d’activités économiques, maintenir le dynamisme économique local et donner de la visibilité aux individus sur leur emploi ».
Des orientations à préciser, des potentiels d’emplois à valoriser
Comme la précédente, la SNBC 3 doit être complétée d’une projection emplois, pour préciser l’impact socio-économique attendu ; mais elle aurait gagné à reprendre, pour être plus précise, les éléments connus sur les projections, en particulier dans la continuité des travaux du SGPE.
La transition écologique se double d’une transition démographique des actifs, avec de nombreux départs à la retraite à venir, dans plusieurs secteurs clés. Le défi de la disponibilité des compétences est majeur. Le SGPE a chiffré le besoin à près de 3 millions de personnes à former. Il indique par ailleurs que “les analyses proposées se focalisent sur les métiers « manuels » pour la transition écologique (technicien, ouvrier qualifié…), qui totalisent environ 90% des besoins d’ici 2030”2. On ne retrouve pas ces éléments essentiels dans la SNBC.
Certains secteurs pourtant pourvoyeurs d’emplois et d’impact positifs sont encore sous-estimés, dans les projets de SNBC/PPE, comme les filières vélos, train et transport en commun pour les mobilités : les enjeux sous-jacents de ces filières doivent également faire l’objet de débat.
Il s’agit également de décliner cette approche et cette mobilisation à l’échelle des territoires (Région, bassin de vie) car les enjeux diffèrent suivant les spécificités économiques locales, les initiatives et les opportunités offertes par la transition. La SNBC énonce des principes sans réellement préciser le modus operandi, dans une phase (à l’issue des “COP” régionales de la planification) où celui-ci est pourtant attendu.
En matière de formation, « la transformation des systèmes éducatif et de la formation continue déjà engagée sera poursuivie », ce qui est tout à fait nécessaire mais demeure à renforcer et, surtout, à opérationnaliser : l’ensemble des formations -à commencer par les filières identifiées en priorité par le SGPE- doivent évoluer à l’aune des enjeux de la planification écologique. Le mouvement engagé demeure timide.
Pour la fonction publique, « l’objectif est de former tous les agents publics d’ici 2027 ». Cet objectif est louable, l’enjeu est essentiel. Au-delà de la sensibilisation des fonctionnaires aux enjeux de transition, il s’agit de les accompagner dans une logique d’encapacitation, adaptée à chaque métier. Le mouvement engagé doit se renforcer, dans un contexte inquiétant.
Sur la transition écologique juste : le besoin d’accompagner les reconversions est identifié, mais les principes d’action manquent de clarté. Le dispositif clé qu’est le Fonds de transition juste n’est pas mentionné. Il est écrit que « l’accompagnement des ménages, entreprises, salariés et territoires dans cette transition doit être un axe fort de la future Stratégie française pour l’énergie et le climat ». Nous partageons, mais la force de cet axe doit apparaître plus nettement !
Nos propositions pour une transition écologique juste des emplois
- Ne pas accuser la transition écologique quand elle n’est pas responsable des suppressions d’emplois ;
- Travailler en anticipation, à différentes échelles (en entreprise3, dans le cadre convenu par la loi climat et résilience, mais aussi par filière, et ce, aux plans national ou territorial), les scénarios d’impact en emploi de la planification écologique pour les mettre en débat et aiguiller les politiques économiques et emploi-compétences, en recherchant l’articulation systématique entre bénéfices en emplois et bénéfices pour la transition (voir l’exemple de l’automobile) ;
- Définir une politique coordonnée pour un accompagnement renforcé à destination des salariés et territoires prioritaires dont la transition impacte l’emploi ou les compétences en poste ;
- Renforcer la gouvernance du dossier de la transition des emplois dans la planification écologique, en créant les espaces collectifs pour piloter, de manière agile et dans le temps, ce dossier fondamental.
Pour aller plus loin, voir nos réflexions sectorielles, territoriales et d’analyse des dispositifs.
La mobilisation sur le champ travail-emploi-compétences doit donc être large, comme nous y invite le Conseil économique social et environnemental. Pourvoir les emplois de la transition écologique, répondre au défi des compétences, implique également de s’attacher à l’analyse de la qualité des emplois proposés. A ce sujet, la SNBC propose de « renforcer l’attractivité des filières et métiers d’avenir, par le biais de la négociation des partenaires sociaux, la reconnaissance et la valorisation des compétences, la mise en débat des conditions de travail et de salaires ». Un axe bienvenu, dont on attend là encore les déploiements concrets.
La PPE veut accompagner les métiers en diminution et les filières créatrices d’emploi
A l’instar de la SNBC, la nouvelle feuille de route énergie française (la PPE) soumise à consultation a notamment pour but de « faire de la transition une opportunité de développement des filières et des emplois correspondants ». Sur la dimension transition juste, là aussi, les principes sont fixés : « il sera fondamental d’accompagner vers de nouveaux emplois les personnels des métiers en diminution ». Ils semblent plus détaillés dans la PPE que dans la SNBC4.
Sur plusieurs secteurs, la nouvelle PPE pose des principes intéressants :
- Centrales à charbon : il faut « arrêter la production d’électricité à partir de charbon d’ici 2027, en étudiant, le cas échéant, les opportunités de conversion à des combustibles décarbonés (biomasse par exemple) ».
- Raffineries : il faut « anticiper les fermetures des sites de raffinage dans une perspective […] de transition juste pour faciliter la reconversion des salariés et proposer des alternatives aux territoires concernés (ex. conversion en bio-raffineries, nouveaux sites industriels…) ».
Ces précisions sont plutôt bienvenues et correspondent aux principes que nous portons en matière de transition juste, sous réserve d’une pleine cohérence entre les activités proposées à l’issue de la reconversion des sites et la politique énergétique. Dans tous les cas, ces projets doivent être accompagnés (c’est notamment l’objet du FTJ qui n’est pas mentionné alors qu’il est conçu pour résoudre ce défi5).
A l’inverse, la transition du secteur gazier en matière d’emplois semble cependant moins balisée. La trajectoire d’emplois semble ici incertaine. Côté dispositifs, la PPE renvoie certes à l’accord du secteur des IEG. Mais une stratégie d’ensemble est à construire pour les activités et emplois associés.
… Mais doit relever le défi des compétences pour combler le manque de main d’oeuvre
Le défi des compétences évoqué pour la SNBC est également au cœur des enjeux des filières de l’énergie. La PPE souligne ainsi que « le secteur de l’énergie ressort en tension et en manque de main d’œuvre ». Plusieurs défis sont à souligner et les modalités à préciser dans la PPE :
- Comme la SNBC, la PPE reste trop peu chiffrée sur le front de l’emploi. Ces chiffrages sont pourtant indispensables pour articuler dans chaque secteur opportunités d’emploi et transition. Des études sont citées, nous en suivrons attentivement les résultats (sur les secteurs ENR en particulier).
- En matière d’énergies renouvelables, la PPE est ambitieuse sur le développement des filières et des emplois sur certains secteurs (exemple des pompes à chaleurs ou sur l’hydrogène, dont le développement est doté de 9 Mds€), mais moins sur les énergies renouvelables électriques. Il est prévu d’« accompagner les projets de relocalisation des filières industrielles clés de la transition énergétique via un système de pacte de filière ». Le principe est intéressant, et déjà en œuvre sur le solaire photovoltaïque et sur l’éolien en mer, mais reste à préciser pour les autres filières ENR.
- Pour pourvoir aux besoins à venir, la PPE évoque notamment « la nécessité de lever les obstacles des métiers « genrés » ». Le principe est louable ; le mode d’action gagnera à être détaillé.
- Dans un contexte où les métiers de l’énergie sont en tension, plusieurs secteurs clés de la mise en œuvre de la PPE risquent fort de se retrouver en concurrence pour le recrutement de profils rares et similaires. Une action résolue, coordonnée entre filières “alliées objectives dans la transition écologique”, impliquant l’écosystème emploi-formation et une dimension territoriale est indispensable pour l’éviter.
Ces défis mériteraient d’être plus clairement relevés dans un futur Plan de programmation des emplois et des compétences (PPEC), censé accompagner la stratégie climatique française mais, étrangement, il n’en est fait mention ni dans la SNBC, ni dans la PPE.
Au regard des enjeux analysés ici, ce « PPEC » semble pourtant indispensable. Au-delà de la forme, il y a donc un besoin de préciser le propos et de passer à l’opérationnel, tout comme celui d’afficher une ambition et une cohérence d’ensemble pour une politique emploi-compétences à la hauteur du rendez-vous.
[1] https://concertation-strategie-energie-climat.gouv.fr
[2] Voir la stratégie emploi-compétences du SGPE : https://www.info.gouv.fr/upload/media/content/0001/10/df0f4182ce4d0e71f75a915e68ed32f233c82b35.pdf
[3] La SNBC renvoie pour ce niveau à la loi Climat et résilience : « Le dialogue social au sein des entreprises entre directions et syndicats est également un levier à mobiliser pour améliorer leurs ambitions environnementales. Cet enjeu a été pris en compte par la loi climat et résilience ». Certes, mais sa mise en œuvre n’est pas encore au rendez-vous et l’anticipation collective est encore trop rare. On ne peut ainsi se contenter de ce constat.
[4] Ainsi, d’après le projet de PPE : « l’approche par bassin d’emploi / secteur en extinction et personnels à redéployer est nécessaire compte tenu de réels freins à la mobilité géographique (exemple des 4 « pactes territoriaux » qui accompagnent les fermetures de centrales à charbon) ».
[5] À noter, contrairement à la SNBC, la PPE évoque ici des dispositifs utiles comme les EDEC ou GPEC-T. Et précise : « La dynamique nationale et le dialogue social (filière EDEC qui associe organisations professionnelles d’employeurs et organisations syndicales avec OPCO2i) sont à articuler avec une approche territoriale (méthode GPEC T / gouvernance territoriale) et par filière ».
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