Un projet de loi climat insuffisant pour atteindre les objectifs sur le climat

Le projet de loi ne permettra pas de combler l’écart entre la trajectoire climatique actuelle et l'objectif national de baisse des émissions de gaz à effet de serre pour 2030.

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Le projet de loi “portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets” ainsi que son étude d’impact confirment les craintes du Réseau Action Climat. Les dispositifs retenus dans le texte sont largement amoindris en quantité et qualité par rapport aux mesures proposées par la Convention Citoyenne pour le Climat et insuffisants par rapport aux exigences de l’urgence climatique et sociale.

Ainsi, l’étude d’impact montre que les réductions des émissions de gaz à effet de serre attendues grâce au projet de loi sont insuffisantes pour respecter l’objectif actuel de -40 % en 2030, alors même que ce dernier appelle à être rehaussé.

Selon l’administration, le projet de loi, additionné aux mesures déjà en place, permettra seulement d’assurer entre la moitié et les deux tiers des réductions nécessaires pour respecter l’objectif national actuel. Par ailleurs, des voix s’élèvent pour remettre en cause ce calcul, qui serait lui-même surévalué.

Cela signifie que le texte qui est présenté comme une grande loi sur le climat reporte en fait à plus tard  le changement de trajectoire nécessaire. C’est en complète inadéquation avec l’urgence climatique et le besoin des acteurs économiques de devoir anticiper des changements à venir.

Pas de prise en compte de l’impact de la hausse de l’objectif européen sur la trajectoire française

Si, comme le montre l’étude d’impact, le projet de loi ne permet pas d’atteindre l’objectif national de baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030, il sera d’autant plus insuffisant dans un contexte où – l’objectif climatique européen voté en décembre dernier est passé de -40% à -55% en 2030.

Cette hausse de l’objectif européen aura une incidence sur l’objectif national qui devra être revu également pour y contribuer. Si une grande part de l’effort supplémentaire sera allouée au niveau européen à la production d’électricité et à l’industrie dans le cadre de l’ETS,  le système d’échange des quotas CO2 européen ne pourra à lui seul absorber cette hausse, qui reposera en particulier sur des efforts à faire dans les pays encore largement dépendants du charbon (notamment les pays de l’Europe de l’est) pour leur production d’électricité. L’ensemble des secteurs devra modifier sa trajectoire pour accélérer la baisse des émissions de gaz à effet de serre.

Du sans filtre aux cent filtres : des stratégies de détricotage aux visages multiples

L’engagement du Président de la République à transmettre “sans filtre”  les 149 propositions votées par la Convention Citoyenne pour le Climat soit au référendum, soit au Parlement, soit de les soumettre à application réglementaire directe, n’a pas été respecté.

Les annonces et arbitrages lors du Projet de loi de finances ainsi que l’affectation des financements dans le cadre Plan de relance avaient déjà acté l’abandon de la promesse du “sans filtre”.

Plusieurs stratégies déployées par le Gouvernement tendent à affaiblir la portée du projet de loi et amoindrir plus largement l’ambition climatique des propositions de la Convention.

La disparition de certaines mesures

Certaines mesures proposées par la Convention Climat, essentielles pour l’accélération de la transition écologique, sont complètement absentes du projet de loi :

  • L’interdiction du financement de nouveaux élevages les plus néfastes pour l’environnement : Le mesure consiste à stopper le financement de l’implantation de nouveaux élevages qui ne respectent pas les conditions écologiques et à accompagner les éleveurs vers une restructuration de leurs cheptels pour améliorer la qualité de la production.
  • Les chèques alimentaires : Emmanuel Macron a annoncé vouloir mettre en place des chèques alimentaires destinés aux plus précaires à utiliser pour des produits bio ou dans des circuits courts. Il paraît prioritaire vu l’emballement de la hausse de la demande alimentaire (8 millions de personnes auront eu recours à l’aide alimentaire en 2020, soit 12 % de la population française, contre 5,5 en 2018 et 2,6 en 2009).
  • Un plan d’investissement massif dans le transport ferroviaire : Bien qu’étant un allié essentiel pour mener à bien la décarbonation du secteur des transports, le train fait figure de grand oublié de ce projet de loi Climat.
  • La mise en place une éco-conditionnalité climat pour les entreprises concernant les aides publiques : le projet de loi n’aborde à aucun moment le sujet des éco-conditionnalités aux aides publiques ou la volonté d’obliger les entreprises à baisser leurs émissions en fonction d’une trajectoire climatique.
  • Un prêt à taux zéro, avec la garantie de l’état, pour l’achat d’un véhicule peu émetteur : Le Gouvernement préfère lui substituer un dispositif existant : le microcrédit, trop faiblement doté pour réduire le reste à charge des ménages modestes et inadapté pour lever les obstacles qui freinent l’achat de véhicules propres.
  • Le renforcement de la fiscalité automobile alors que les mesures intégrées en loi de finances ne sont pas suffisantes (renforcement du malus automobile et création d’un malus poids ambitieux, modulation de la taxe sur les assurances et de l’indemnité kilométrique selon les mêmes critères d’émissions et de poids, prêt à taux zéro garanti par l’Etat pour accompagner les plus modestes, généralisation du forfait mobilité durable…)
  • Le moratoire sur les zones commerciales mis en place l’été dernier exclut les entrepôts de e-commerce, alors qu’ils ont un lourd impact sur l’artificialisation, la surproduction, le transport de marchandises. Aussi le projet de loi fixe un seuil beaucoup trop important de 10 000m2 en dessous duquel les surfaces commerciales peuvent être autorisées sous conditions.

Le décalage de la prise de décision et de la mise en oeuvre des contraintes à plus tard (après ce quinquennat)

Bien que les citoyens de la Convention Climat aient généralement proposé des dates rapprochées pour une mise en oeuvre rapide de leurs mesures, on constate dans le projet de loi une volonté généralisée de décaler les décisions à plus tard, ce qui pose deux problèmes majeurs : l’urgence climatique nécessite des actions rapides ; et la parenthèse des élections présidentielles, qui risque de ralentir, voire de laisser de côté, certains mesures.

  • Un redevance sur les engrais azotés dès le PLF 2021 : le texte demande un engagement volontaire des acteurs économiques pour baisser leur consommation d’engrais. Mais une redevance sur les engrais azotés sera mise en place seulement en 2024, si la trajectoire n’est pas respectée.
  • Obligation de rénovation : contrairement à la proposition des citoyens, le texte n’instaure pas d’obligation de rénovation globale des logements pour tous les propriétaires, mais seulement une obligation d’audit énergétique et l’interdiction de louer des passoires énergétiques à partir de 2028.
  • Un système de consigne pour réemploi sur les emballages en verre en vue d’une généralisation d’ici à 2025 : la mise en place d’une consigne sur le verre “pourra” notamment être généralisée à partir de 2025.
  • Régulation du secteur aérien : le projet de loi renvoie la décision sur l’augmentation de l’éco-contribution à plus tard, en fonction de scénario de trafic (reprise du niveau de l’activité en 2019) et du résultat de futures négociations européennes.
  • Fin aux avantages fiscaux sur le gazole pour les poids lourds d’ici à 2030 dès le PLF 2021 : le Gouvernement renvoie le débat au Projet de loi de finances pour 2023 et la proposition d’un futur Gouvernement.
  • Fin de vente de véhicules neufs émettant plus de 110 gCO2/km (2025) et plus de 90 gCO2/km (2030) : le seuil pour 2025 n’a pas été transcrit dans le projet de loi, ne fixant aucun jalon intermédiaire pour la filière avant 10 ans.

Auto-régulation et incitations versus interdictions et obligations

Là où la Convention Citoyenne pour le Climat a clairement proposé des obligations et interdictions, des engagements volontaires et l’autorégulation dominent le projet de loi. Cette approche parait en inadéquation avec l’urgence climatique et le besoin de pouvoir agir vite. Elle laisse la porte ouverte au green-washing sans contrôle et sanction et donc – sans impact en termes d’émissions. C’est le cas pour les mesures suivantes :

  • Redevance sur les engrais azotés : le texte demande un engagement volontaire des acteurs économiques pour baisser leur consommation d’engrais.
  • Choix végétarien quotidien dans la restauration collective publique : En l’état, le texte évite l’obligation et met en place une expérimentation de deux ans basée seulement sur le volontariat des collectivités locales. En outre, tel qu’il est rédigé, l’article ne concerne pas l’ensemble de la restauration collective mais uniquement « les collectivités territoriales », ce qui exclut a minima les resto U, les hôpitaux et les prisons.
  • Interdire sur tous les supports publicitaires les produits ayant un fort impact sur l’environnement et notamment la publicité des véhicules : l’interdiction de publicité pour les produits polluants est remplacée par une interdiction de promotion des énergies fossiles, qui sont en fait rares dans les publicités. Le dispositif retenu consiste à consacrer le principe de souscription des acteurs à des engagements volontaires ambitieux (des « Contrat climat »), dont la mise en œuvre sera contrôlée par le CSA dans une logique de co-régulation. De même, en lieu et place de la mesure concernant l’interdiction de la publicité pour les produits mauvais pour la santé (“proscrits par le PNNS”), rien n’est inscrit dans le projet de loi, le gouvernement s’en remettant aux engagements volontaires des annonceurs.
  • Obligation de rénovation : contrairement à la proposition des citoyens, le texte n’instaure pas d’obligation de rénovation globale des logements pour tous les propriétaires. Il prévoit uniquement des dispositions pour les passoires énergétiques en location : une interdiction de hausse des loyers d’abord, puis l’atteinte d’un niveau de performance énergétique en 2028 pour avoir le droit de mettre en location son logement. En ce qui concerne les propriétaires occupants, le texte rend uniquement obligatoire un audit énergétique avec des préconisations de travaux obligatoires, lors de la vente des biens et à partir de 2024. Pour les copropriétés le texte prévoit la mise en place d’un plan pluriannuel de travaux qui n’est cependant pas accompagné d’une obligation de réaliser ces travaux.

Le Réseau Action Climat appelle le Gouvernement et les Parlementaires à remettre l’objectif climatique au centre du débat et d’assurer non seulement le respect de -40 % des émissions de gaz à effet de serre via le projet de loi mais un dépassement pour anticiper son renforcement. Cette accélération de l’action sera bénéfique pour l’emploi, mais aussi pour la santé, en particulier avec un air et une alimentation plus sains et pour le pouvoir d’achat des plus modestes.

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