Nos terres valent plus que du carbone
Si certains sujets cruciaux - comme la transition des modèles agricoles - bloquent depuis des années dans les négociations de la Convention Climat, il y en a en revanche qui ont le vent en poupe.
On connaissait depuis plusieurs années l’appétence développée pour le secteur des forêts : celui-ci a en effet permis à de nombreux acteurs responsables des dérèglements climatiques de venir compenser leurs émissions de gaz à effet de serre par des plantations d’arbres mises en avant pour leur capacité à capturer du CO2 présent dans l’atmosphère. C’est le fameux slogan magique : « lorsque vous achetez ce produit, un arbre est replanté à l’autre bout de la Terre ». Et quoi de mieux que de planter cet arbre dans les pays les moins responsables de dérèglements climatiques, quitte à ignorer les impacts sur les modes de vie des populations vivant sur ces territoires.
Avec l’adoption de l’Accord de Paris en 2015, l’ensemble des États – historiquement responsables ou non – doivent désormais s’engager à réduire leurs émissions. Et il est un domaine où les États rechignent tout particulièrement à s’engager : l’agriculture. L’agriculture émet principalement du méthane et du protoxyde d’azote (dont le pouvoir de réchauffement à long terme est respectivement 25 et 298 fois supérieur à celui du CO2). Si l’on considère le système alimentaire dans son ensemble en partant du champs et en allant jusqu’à l’assiette du consommateur, c’est près d’un tiers des émissions mondiales qui sont concernées. Mais relever le défi de réduire les émissions agricoles, c’est questionner nos modes de production et de consommation. C’est aussi et surtout questionner l’industrie agro-alimentaire, voire, in extenso les accords commerciaux qui régissent de nombreuses économies nationales.
le stockage du carbone dans les sols ne peut être l’eldorado tant promis
Alors quoi de mieux que de déplacer le viseur et d’occuper l’attention générale avec un trésor qui pourrait contenir tellement de carbone que cela viendrait compenser nos émissions agricoles ? Car au-delà des forêts, un autre puits de carbone est régulièrement mis en avant par différents acteurs. Il s’agit du potentiel des sols, et plus particulièrement des sols agricoles, pour venir capter du carbone. S’il est largement admis par la science qu’il est important et urgent à la fois de restaurer et de maintenir les sols en bonne santé, le bénéfice carbone est par contre beaucoup plus discuté et discutable. Difficilement quantifiable, réversible et non-permanent, le stockage du carbone dans les sols ne peut être l’eldorado tant promis.
Cette approche centrée sur le carbone sans s’être au préalable emparés de la transition des modèles agricoles fait peser d’importants risques de financiarisation des terres agricoles. Une pression accrue sur celles-ci pourrait mettre en péril la souveraineté alimentaire de communautés déjà menacées par les effets des dérèglements climatiques.
Plébiscitée par l’agrobusiness, l’augmentation du carbone dans les sols agricoles fait l’objet de nombreuses initiatives internationales. Loin d’une véritable conversion de nos modèles agricoles, les pratiques promues continuent de reposer sur des intrants de synthèse comme le glyphosate et sont parfois associées au recours aux organismes génétiquement modifiés (OGM), sacrifiant sur l’hôtel du carbone les enjeux de santé et de biodiversité.
Article rédigé par Anne-Laure Sablé, Chargée de Plaidoyer Souveraineté alimentaire et Climat au CCFD – Terre Solidaire
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