Méthane et changements climatiques : un danger négligé qui s’accroît

Parler du dioxyde de carbone éclipse souvent le méthane. A tort. Car l’augmentation de la concentration atmosphérique de ce gaz s’accélère depuis 2013. Or il a un effet réchauffant bien plus élevé que celui du CO2, en particulier sur 10 ans, ce qui rend critique les décisions prises pour les années à venir.

Copyright : Gary Bembridge
Glacier de Monacobreen, Svalbard, Arctique

Une augmentation rapide de la concentration atmosphérique de CH4 depuis 2013

« Au cours des années 2014 à 2016, la concentration de méthane (CH4) a augmenté à une vitesse inégalée depuis les années 1980, lance Marielle Saunois, enseignant-chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). Cette tendance suit la pente du scénario le plus pessimiste (RCP 8.5 : voir tableau de l’évolution de la température moyenne à la surface du globe pour 2081-2100 suivant les différents scénarios RCP) du rapport de 2013 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 5è rapport (AR5), Groupe de travail 1 (GT 1), « Les éléments scientifiques »). La concentration de méthane dans l’atmosphère est actuellement plus de 2,5 fois celle de 1750, avec 1843 ppb (parties par milliards) en 2016 ».

oservations_estimations_et_emissions_de_ch4

L’augmentation de la concentration atmosphérique de CH4 en 2014 et 2016 correspond à une augmentation annuelle de 10 ppb par an en moyenne soit un peu plus d’un doublement de la tendance observée entre les années 2005 et 2011 d’après le 5è rapport du GIEC de 2013 (voir tableau ci-dessous). Or le méthane a un effet réchauffant nettement supérieur au dioxyde de carbone (CO2) sur une période de 10 ans après son émission, qui diminue par la suite (voir graphique de l’augmentation de la température suite à un an d’émissions de CO2 ou de CH4, source : figure 8.33 de la page 719 du Ch. 8 de l’AR 5, GT 1).

evolution_de_la_concentration_de_ch4_dans_l_atmosphere_-_periode_2005-2016

Sources :
(1) Table 8,2 Ch. 8 GT1 page 678, 5è rapport du GIEC, 2013
(2) Agence américaine des océans et de l’atmosphère (NOAA), 2017

Ces données récentes sur le CH4 proviennent des dernières données atmosphériques de l’Agence américaine des océans et de l’atmosphère (NOAA) et d’articles publiés en 2016 [1] [2] sous l’égide du Global Carbon Project, un projet de recherche qui regroupe de nombreux scientifiques du monde entier pour travailler sur les inventaires du carbone et du méthane [3] [4]. Si ce bilan planétaire des sources et puits de méthane réalisé tous les 2 à 3 ans est essentiel, il reste décalé dans le temps. Les dernières estimations des émissions s’arrêtent en effet fin 2012. Pour les prochains bilans, un minimum de deux ans de décalage avec l’année en cours subsistera puisqu’ils nécessiteront toujours du temps pour récupérer, valider, et analyser les données, puis réaliser les simulations numériques les utilisant. « Nous avons pour objectif de faire cet inventaire tous les deux ans. L’inventaire du CO2 se fait annuellement. Pour le méthane, c’est plus complexe », précise Marielle Saunois. Cela est dû au fait que les puits et les sources de ce gaz sont très diversifiés (voir l’estimation des puits et sources de méthane selon le Global Carbon Project en moyenne sur la période 2003-2012) et moins bien connus que pour le CO2.

A l’avenir, de nouvelles observations permettront d’améliorer aussi les estimations des sources et puits de méthane : « Jusque-là, nous avions des observations à des endroits fixes mais ne couvrant pas uniformément tout le globe », observe Sébastien Payan, enseignant-chercheur au laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (LATMOS). Les missions spatiales comme celle du satellite Merlin [5] (Mission Lidar de télédétection du méthane depuis l’espace), qui sera mis en orbite en 2021, permettront d’obtenir une concentration bien plus précise du méthane dans l’atmosphère et de voir sa distribution sur toute la Terre ».

Les sources des émissions de CH4

Les premières sources de méthane sont liées à des processus microbiens. La dégradation de la matière organique, dans des environnements privés d’oxygène, produit du méthane. 34% des émissions planétaires de CH4 concernent l’agriculture (élevage et culture du riz) et les déchets (voir le rapport entre les émissions annuelles par source et celles annuelles totales notées dans la figure « Cycle global du méthane »). 34% proviennent des zones inondées (marécages et lacs) et des pergélisols (voir Pergélisol, le piège climatique, 2015, CNRS). Les deux autres types de sources de méthane sont pour 27% liés à l’exploitation et l’utilisation des combustibles fossiles et au dégazage naturel de la croûte terrestre, et pour 5% aux feux de forêts et à l’utilisation de biocarburants.

A l’échelle régionale (voir figure régionale ci-dessous et le graphique interactif sur les sources selon les régions géographiques), le méthane est principalement émis dans les tropiques avec des contributions des régions boréales et de régions plus tempérées à forte population (ex. Chine).

carte_regionale_des_emissions_2003-2012

Les solutions pour réduire le CH4

Pour les scientifiques qui ont étudié ces concentrations, leur augmentation met en doute la réalité, ou au moins l’efficacité, des mesures prises pour réduire les émissions de méthane, alors que les contrôler sera vraisemblablement essentiel pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, de contenir le réchauffement bien en-deçà de 2° et de viser à le limiter à 1.5° [6]. Et pourtant une amélioration rapide est possible. « Le méthane ne reste pas longtemps dans l’atmosphère, il a une durée de demi-vie de 10 ans environ. Si des efforts étaient fait, cela se verrait donc assez rapidement comparativement aux effets des mesures pour réduire le CO2 atmosphérique », conclut Marielle Saunois.

« Pour ce qui concerne les réductions d’émissions de méthane nécessaires pour limiter le réchauffement à 1.5°C, il existe des leviers d’action quasi instantanés que l’on n’a pas pour le CO2, pour lequel les mesures sont plus ardues parce qu’elles touchent directement à notre mode de vie. Dans un premier temps, il faudrait supprimer les fuites de méthane dans les stations industrielles qui exploitent le gaz naturel ou le pétrole. Puis, couvrir les décharges à ciel ouvert, notamment dans les pays en développement, et récupérer le biogaz qui s’en échappe. Ce sont là des choses qui peuvent être faites à grande échelle avec un impact immédiat. Ensuite, le plus efficace serait de développer la méthanisation, qui consiste à récupérer et stocker le méthane, pour éviter qu’il ne s’échappe dans l’atmosphère, et ensuite à le transformer en chaleur voire en électricité. Ensuite viennent les mesures plus complexes à mettre en place, car touchant directement à nos modes de vie, comme l’alimentation du bétail. » Philippe Bousquet

En effet, la réduction des émissions de CH4 pourrait faire l’objet de programmes beaucoup plus ambitieux qu’aujourd’hui, ce qui permettrait de diminuer le risque de franchir un cap de réchauffement dangereux dans les 30 années à venir. Il existe en effet de nombreuses opportunités potentiellement ou déjà viables économiquement pour diminuer les émissions de méthane, au Nord comme au Sud.

Pour y parvenir, tout en répondant aux autres enjeux d’alimentation, de maintien de la biodiversité et des ressources en eau, de santé publique, de bien-être animal, de santé économique du secteur agricole et de création d’emploi, le scénario Afterres2050 propose de diminuer la fermentation entérique animale de la manière suivante : réduire la consommation de produits carnés et le cheptel en le recentrant vers des élevages de qualité, davantage à l’herbe pour les ruminants et de plein air pour les monogastriques (poules, poulets et cochons en particulier). Ensuite, pour les déchets ménagers et agricoles fermentescibles, les solutions consistent à mieux les stocker et récupérer et valoriser énergétiquement le CH4 par la méthanisation. La détection et la réparation systématique des fuites de gaz semblent aussi une solution assez directe, au moins pour les fuites des grandes infrastructures localisées ou des anciens réseaux des centres villes.

Il est donc urgent d’agir et de définir, pays par pays, en fonction de leurs spécificités, un programme ambitieux de réduction d’émissions de méthane à l’horizon de 10 ou 15 ans (voir « Climat : omerta sur le méthane », Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Décryptage n°9 de La Fabrique Ecologique, Janvier 2017), en s’appuyant sur des pratiques d’atténuation à l’étude ou déjà existantes, en particulier dans les rapports du GT 3 (« L’Atténuation du Changement Climatique ») du 5è rapport du GIEC de 2013.

Références et notes

Références (revues scientifiques à comité de lecture) :

[1] Saunois M. et al., 2016, The growing role of methane in anthropogenic climate change. Environ. Res. Lett. 11 (2016) 120207 doi:10.1088/1748-9326/11/12/120207

[2] Saunois M. et al., 2016, The global methane budget 2000–2012. Earth Syst. Sci. Data, 8, 697–751, 2016 doi:10.5194/essd-8-697-2016

Nisbet, E. G., et al. (2016), Rising atmospheric methane : 2007–2014 growth and isotopic shift, Global Biogeochem. Cycles, 30, 1356–1370, doi:10.1002/2016GB005406.

Schaefer, H., et al. 2016, A 21st-century shift from fossil-fuel to biogenic methane emissions indicated by 13CH4. Science, VOL 352 ISSUE 6281

McNorton, J., et al. 2016, Role of OH variability in the stalling of the global atmospheric CH4 growth rate from 1999 to 2006. Atmos. Chem. Phys., 16, 7943–7956, 2016. doi:10.5194/acp-16-7943-2016

Hausmann, P., et al. 2016, Contribution of oil and natural gas production to renewed increase in atmospheric methane (2007–2014) : top–down estimate from ethane and methane column observations. Atmos. Chem. Phys., 16, 3227–3244, 2016 doi:10.5194/acp-16-3227-2016

Dalsoren S.B., et al. 2016, Atmospheric methane evolution the last 40 years. Atmos. Chem. Phys., 16, 3099–3126, 2016, doi:10.5194/acp-16-3099-2016

Schwietzke S., et al. 2016, Upward revision of global fossil fuel methane emissions based on isotope database. NATURE, Vol 538 doi:10.1038/nature19797

Informations complémentaires :

[3] Les 10 ans d’avancement des connaissances sur le cycle du Carbone du Global Carbon Project :
http://www.globalcarbonproject.org/global/pdf/GCP_10years_med_res.pdf

[4] Global Carbon Atlas :
http://www.globalcarbonatlas.org/en/content/welcome-carbon-atlas

[5] Mission Merlin, CNES :
https://merlin.cnes.fr/

[6] R.J. Salawitch et al. 2017, Paris Climate Agreement : Beacon of Hope, Springer Climate (page 14)
http://link.springer.com/book/10.1007%2F978-3-319-46939-3

Les légumes secs, Réseau Action Climat :
http://rac-f.org/Les-legumes-secs-Quelles-initiatives-territoriales

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