Industrie

La filière ciment-béton : un mur face à la transition ?

Le ciment, nécessaire à la fabrication du béton, est le deuxième produit le plus consommé au monde après l’eau. Il est l’un des matériaux les plus utilisés dans la construction en France, il représente environ 50% des parts de marché des maisons individuelles et plus de 75% des logements collectifs et bâtiments tertiaires.

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La production de ciment a d’ailleurs été multipliée par 4 depuis le début des années 1990 et elle était évaluée en 2019 par le CEMBUREAU (fédération européenne des industries cimentières) à 4,1 milliards de tonnes. La Chine en est le premier producteur avec 2 300 millions de tonnes, suivie de l’UE avec 182,1 millions de tonnes, puis les Etats-Unis (88,6 Mt) et l’Inde (320 Mt).

Si l’on parle beaucoup de la rénovation énergétique comme solution pour limiter l’impact CO2 des bâtiments, verdir et réduire la consommation des matériaux de construction utilisés pour la rénovation ou la construction neuve est aussi important : leur production est  responsable de 25 à 30% des émissions et la production de ciment uniquement représente entre 7% et 10% des émissions mondiales.

En bref, le ciment est omniprésent, mais il est également très polluant.

La filière ciment en France

La France compte 27 sites de production, historiquement situés à proximité des carrières de calcaire, ce qui s’explique par le coût relativement important du transport du matériau.

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Selon un bilan réalisé par l’INSEE en 2018, le chiffre d’affaires annuel de cette filière est en France de 2,08 milliards d’euros, et il n’est réalisé que par 12 sociétés dont cinq possèdent 95 % du marché et 35 unités de production sur 43 (soit 81,4 %). Ces cinq sociétés sont LafargeHolcim, Ciments Calcia, Eqiom, Vicat et Imerys Aluminates

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5 groupes en France détiennent 95% du marché de production du ciment: LafargeHolcim, Ciments Calcia, EQIOM, Vicat et Imerys Aluminates = 95% du marché

Les émissions de gaz à effet de serre de la filière ciment

Les deux-tiers des émissions de la filière cimentière résultent du processus de « clinkérisation » : il consiste à chauffer à des températures extrêmes le calcaire dans les fours cimentiers, une étape indispensable pour obtenir le ciment.

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Au niveau français, les émissions de la filière s’élevaient à 18,3Mt de CO2eq en 2015, soit le troisième plus gros poste d’émission de l’industrie après la filière Mine métallurgie et la filière chimie. 

En France, la filière a réduit ses émissions de CO2 de de 45% depuis 1990 et 27% depuis 2010, mais cette baisse est essentiellement due à la baisse de l’activité de construction et la crise financière de 2018.

La baisse des émissions par tonne produite est principalement due à l’amélioration des combustibles utilisés, bien plus qu’à celle de l’amélioration du ratio de la part de clinker (calcaire chauffé à très forte température utilisant un procédé très émetteur) qui reste un enjeu essentiel pour la décarbonation de la filière.

Quelles solutions pour un ciment plus durable ?

Pour trouver des solutions à la réduction des émissions de cette filière industrielle, et permettre aux cimentières d’atteindre l’objectif de -81% d’ici 2050 fixé par la Stratégie Nationale Bas Carbone, de nombreuses études ont été publiées, comme le Plan de Transition sectoriel de l’ADEME ou encore le scénario NégaWatt 2022.

Les industriels ont également produit des feuilles de route, à travers leurs fédérations professionnelles aux niveaux français et européen. Le problème, à l’image de la feuille de route présentée par la fédération européenne des cimentiers étant que les efforts se concentrent sur le déploiement du captage de carbone – une solution peu mature, coûteuse et insatisfaisante car ne permet pas une réduction des émissions à la source, comme nous le rappelons dans cette fiche fausse solution – et ne suffisent pas à atteindre la neutralité carbone.

Les recommandations du Réseau Action Climat

Promouvoir la sobriété

Comme le montre l’ADEME dans le plan de transition sectoriel du ciment, l’atteinte des objectifs fixés par la Stratégie Nationale Bas Carbone est inséparable d’une réduction de la production de ciment, induit notamment par les objectifs de la stratégie Zéro artificielle nette et donc la diminution de la construction neuve.

Le scénario Négawatt prévoit quant à lui une baisse de près de moitié de la consommation de béton en 2050 par rapport à 2014.

Dès lors, toute réflexion concernant la décarbonation de la filière ne saurait se faire sans une réflexion autour d’un niveau de production soutenable et nécessaire. La promotion de la sobriété doit passer par une évolution des pratiques et mentalités à toutes les étapes de la chaîne de construction : réduction de la construction de bâtiments neufs, éco-conception des bâtiments pour limiter la quantité de béton et substituer par des éco-matériaux lorsque cela est possible, mais également réduction de la quantité de ciment dans le béton et de clinker dans le ciment.

Développer l’économie circulaire dans la construction

Un second levier essentiel est celui du développement de l’économie circulaire, permis à la fois par un meilleur recyclage des matériaux de construction et par l’utilisation de coproduits industriels (matière résiduelle créée au cours d’un procédé de fabrication) pour produire des ciments à faible teneur en carbone.

Les déchets du BTP représentent 260 millions de tonnes dont 42 millions de tonnes de granulats de béton. Un meilleur recyclage de ces déchets permettrait de facto une réduction de la consommation de matière primaire et une réduction des émissions de gaz à effet de serre

  • Inclure dans le cahier des charges des chantiers publics l’utilisation de produits recyclés
  • Développer la collecte, le tri et le recyclage à travers des objectifs ambitieux 

Faire évoluer les normes

Malgré les efforts déployés par certains industriels en faveur de nouvelles “recettes” de ciment pour substituer les composants (le clinker) les plus émetteurs et développer des ciments faiblement carbonés, de nombreux obstacles normatifs et réglementaires empêchent leur mise sur le marché.

Il est nécessaire de faire rapidement évoluer les normes ciment et béton aux niveaux français européens afin que ces nouveaux ciments, aujourd’hui performants et existants puissent être commercialisés.

L’application de clauses environnementales ambitieuses dans les marchés publics, à travers des taux minimaux de béton recyclé dans la construction mais également des seuils de performance de CO2 via un pourcentage de réduction d’émission pour les bétons sont essentiels à la facilitation de la mise sur le marché.

Soutenir la formation

Finalement, tous ces efforts ne sauraient porter leurs fruits sans une réelle formation et information, tout au long de la chaîne de valeur, autour de ces produits faiblement carbonés. Depuis la maîtrise d’ouvrage dans le cahier des charges, jusqu’aux ouvriers sur les chantiers, les bénéfices environnementaux de ces produits et l’évolution des pratiques – réduction de la part de ciment et de béton dans la construction par exemple – doivent être soutenus et valorisés.

En bref

  • Les matériaux de construction représentent 25-30% de l’empreinte carbone des bâtiments et le ciment est responsable de 7-10% des émissions mondiales
  • La filière est très bien implantée en France et extrêmement centralisée avec 5 groupes industriels qui possèdent 95% des parts de marché
  • Les industriels construisent aujourd’hui des feuilles de route mais leurs efforts restent insuffisants et presque uniquement tourné vers le développement technologique
  • Le Réseau Action Climat appelle à développer 4 leviers principaux :
    • La sobriété, à travers la réduction de la production et consommation
    • Le développement de l’économie circulaire pour favoriser la réutilisation des matériaux
    • L’évolution dans les normes et la réglementation pour permettre la mise sur le marché de nouvelles “recettes” de ciment faiblement carbonées
    • La formation et la sensibilisation tout au long de la chaîne de production à l’utilisation de ces nouveaux produits décarbonés
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