Jean Jouzel : limiter le réchauffement climatique à 1,5°C pour réduire les injustices climatiques
Alors que le réchauffement actuel est de 1°C, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié un rapport en octobre 2018 sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C. Jean Jouzel nous précise l’injustice de ses impacts et comment le limiter à 1,5°C réduirait les inégalités qu’il provoque.
Rapport du GIEC – Interview de Jean Jouzel
Que nous apprend le récent rapport du GIEC, publié en octobre dernier ?Jean Jouzel nous a répondu 🎥
Publiée par Réseau Action Climat sur Mardi 11 décembre 2018
Jean Jouzel est membre de l’Académie des sciences et a été vice-président de 2002 à 2015 du groupe de travail 1 du GIEC.
Pourquoi le GIEC a publié un rapport sur 1,5°C de réchauffement climatique ?
Le réchauffement actuel est déjà de 1°C si on regarde les dernières années par rapport au préindustriel. Suite à l’Accord de Paris, la convention climat invite le GIEC à préparer un rapport sur un monde avec un réchauffement d’1,5°C [1] [2]: c’est pratiquement 0,5°C de plus qu’aujourd’hui en moyenne.
Les événements extrêmes sont-ils déjà modifiés par le réchauffement climatique ?
Ce que nous envisagions il y a une trentaine d’années comme évolution climatique, c’est le climat dans lequel nous sommes, c’est à dire un réchauffement moyen de l’ordre de 1°C sur lequel se superpose un dérèglement climatique. Cette modification des événements extrêmes est déjà assez perceptible et elle va s’intensifier.
Quels événements extrêmes seront plus intenses entre 1,5°C ou 2°C de réchauffement climatique ?
Si on regarde les vagues de chaleur, les canicules : eh bien, les records de température augmentent deux fois plus vite que la valeur moyenne. C’est vrai aussi pour les précipitations qui risquent de devenir plus intenses. Tous les risques sont plus importants à 2°C que si nous maintenions le réchauffement climatique à 1,5°C. C’est vrai aussi pour l’intensification des cyclones.
Les populations pauvres sont-elles plus touchées par le réchauffement climatique ?
Si on regarde les conséquences du réchauffement climatique non pas une par une mais dans leur ensemble, le premier risque du réchauffement climatique est l’accroissement des inégalités [3] [4] [5].
Les couches les moins aisées de la population sont les plus directement frappées par le réchauffement climatique. Cela a été le cas dans les périodes de canicules. Quand on regarde ce qui se passe à Saint-Martin, par exemple actuellement, ce sont effectivement les couches les moins aisées de la population qui ont été les premières victimes, les plus frappées par le cyclone Irma. Ce sont aussi ces couches pauvres de la population qui ont le plus de mal à s’en remettre.
Quels pays seraient moins affectés par 1,5°C de réchauffement climatique plutôt que 2°C?
Quand on va parler de coût pour un pays, le coût de l’adaptation est beaucoup moins important si on réussit à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C plutôt que de le laisser aller vers 2°C. On voit bien que les pays qui seront touchés et qui n’ont pas beaucoup de moyens, les pays en voie de développement, les pays les plus pauvres, bénéficieraient largement, en termes de lutte contre la pauvreté, d’un réchauffement climatique le plus limité possible.
Est-on sur la bonne voie pour limiter le réchauffement global à 1,5°C d’ici à 2100 ?
On ne fait qu’un tiers du chemin qu’il faudra faire pour avoir des chances de rester sur une trajectoire qui à l’horizon de la fin du siècle respecte l’objectif de 2°C voire 1,5°C. Nous sommes plutôt parti dans le meilleur des cas vers 3-3,5°C à la fin du siècle.
Alors, comment limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici à 2100 ?
En terme d’émissions de gaz à effet de serre, nous sommes un peu au-delà de 50 milliards de tonnes d’équivalent CO2. Avec l’accord de Paris, s’il était complètement respecté à l’horizon 2030, on est plutôt dans une zone vers 55 milliards de tonnes d’équivalent CO2. Pour avoir des chances de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport au préindustriel, il faudrait passer entre 25-30 milliards de tonnes.
Pour avoir plus de deux chances sur trois de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, on a plus qu’entre 10 et 15 ans d’utilisation des combustibles fossiles au rythme actuel.
Comment limiter de manière juste le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici à 2100?
Il faut absolument accompagner les transitions. Quand on regarde la transition énergétique en France, cela peut être 600 000 à 900 000 créations d’emplois nets. Il y a aussi des disparitions d’emplois. Il faut avoir ce regard sur l’accompagnement des personnes dont les emplois seront effectivement modifiés.
Références
[1] Special Report: Global Warming of 1.5 ºC IPCC –GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), 8 octobre 2018
[2] COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU GIEC du 8 octobre 2018
Approbation par les gouvernements du Résumé à l’intention des décideurs relatif au Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C (voir note à la fin de l’article)
[3] Sans justice climatique, 120 millions de pauvres supplémentaires d’ici 2030 Réseau Action Climat 27-10-2017
https://reseauactionclimat.org/sans-justice-climatique-120-millions-pauvres-supplementaires-2030/
[4] Hallegatte et al. 2016. “Shock Waves : Managing the Impacts of Climate Change on Poverty. Climate Change and Development.” Washington, DC: World Bank
https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/22787/9781464806735.pdf
[5] Jouzel Jean et Michelot Agnès, “La Justice climatique : enjeux et perspectives pour la France », Avis du CESE adopté le 27/09/2016.
http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2016/2016_10_justice_climatique.pdf
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