Grand oral des Commissaires européens : premier test pour le climat
Les commissaires et vice-présidents de la nouvelle Commission européenne sont auditionnés du 4 au 12 novembre par les parlementaires européens. Il s’agit d’un moment clé de la démocratie de l’UE, notamment pour s’assurer des compétences des candidats. Comment prévoient-ils de défendre l’Europe face à la crise climatique ?
Plusieurs commissaires investis sur le climat
Pour ce nouveau mandat, la présidente de la Commission européenne renouvelée Ursula Von der Leyen a distribué les enjeux climatiques et de transition juste entre de nombreux portefeuilles. Climat, Industrie propre, Transition juste et compétitive, Environnement, Energie et logement, Fonds de cohésion, Budget (avec l’enjeu de l’investissement dans la transition écologique), Agriculture, Pêche et Océans, Transport durable sont autant de postes de Commissaires et de Vices-présidents qui auront un rôle clé à jouer sur le climat et la transition juste.
Parmi eux, le candidat français Stéphane Séjourné, ancien eurodéputé et Ministre des Affaires Étrangères, aurait le rôle clé d’assurer que l’objectif de neutralité climatique est bien mis au centre du nouveau “Pacte industriel propre” qui doit être publié d’ici janvier 2025.
Les auditions : moment crucial pour la prise en compte des enjeux climatiques
Pour entrer en fonction, les commissaires et vice-présidents doivent être évalués et validés par les parlementaires européens du 4 au 12 novembre. Chaque commission parlementaire a donc soumis aux 27 commissaires une liste de questions écrites et orales pour tester leurs compétences et potentiels conflits d’intérêt. Les questions des commissions parlementaires sur l’environnement, l’industrie et l’emploi, permettent en particulier de tester la prise en compte des enjeux climatiques et de transition juste par les candidats. Si ces auditions se déroulent sans heurt, le collège des commissaires devrait être validé par le Parlement européen lors d’un vote en plénière d’ici la fin novembre, et entrer en fonction le 1er décembre. Dans le cas contraire, un candidat peut être amené à poursuivre les évaluations, ou bien carrément à être retoqué par le Parlement. Il s’agit donc d’un moment clé de la démocratie européenne.
Mais que valent donc les futurs commissaires et vice-présidents sur le climat et la transition juste?
Wopke Hoekstra : va-t-il ralentir ou accélérer la sortie des énergies fossiles ?
Wopke Hoekstra, candidat commissaire néerlandais, issu du Parti populaire européen (chrétien-démocrate) est de nouveau désigné pour rester à la tête du portefeuille du “Climat, de la neutralité climatique et de la croissance propre”. Dans ses réponses écrites, W. Hoekstra identifie la sortie des combustibles fossiles comme un chantier prioritaire, ce qui est positif. Cependant, il ne propose pas de plan et de calendrier de sortie pour l’instant, et sa position sur la capture, le stockage et l’utilisation du carbone (CCUS) pourrait faire dévier l’Union européenne de sa trajectoire climatique.
En savoir plus sur les réponses de Wopke Hoekstra
Wopke Hoekstra a identifié plusieurs chantiers qui vont dans le bon sens. Il inclut dans sa vision des politiques climatiques l’amélioration du niveau de vie des citoyens.nnes, en prévoyant notamment l’augmentation des financements pour la transition juste (“pour les travailleurs vulnérables, les entreprises et les territoires qui font face aux défis climatiques les plus difficiles”), ce qui est indispensable pour garantir la réalisation de la transition écologique. Autre élément positif, il considère que la finance privée doit faire sa part dans le financement de la transition écologique, alors que les financements publics seuls ne suffiront pas. Toujours sur le financement, il incite à ce que les exonérations dont bénéficient les carburants de l’aviation et du secteur maritime soient supprimées, ce qui va dans le sens de l’application du principe de pollueur-payeur. Enfin, il indique clairement la priorité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’éliminer les combustibles fossiles. Cependant les moyens qu’il met en avant pour atteindre ces objectifs pourraient ralentir la transition écologique.
Wopke Hoekstra met l’accent sur le déploiement des technologies de l’élimination du carbone, de sa capture et de son utilisation (CCU, CCUS), ce qui est une fausse solution pour le climat car ces technologies ne doivent pas être déployées à grande échelle. En effet, certaines ne sont pas suffisamment avancées et présentent d’importants risques de pollution, notamment liés au transport du CO2. Mettre l’accent sur le déploiement des fausses solutions pour le climat diminue la possibilité d’investir dans des solutions efficaces et rapides comme le déploiement des énergies renouvelables.
Il propose également que les absorptions de CO2 par ces technologies soient prises en compte dans le système d’échange de quotas d’émission (le marché carbone européen), sans aucune limite ou garantie sur le maintien des besoins en CCUS à un niveau minimum.
Enfin, Wopke Hoekstra ne propose pas d’échéances pour l’élimination des subventions aux combustibles fossiles, ce qui est indispensable pour réduire efficacement nos émissions de gaz à effet de serre.
Stéphane Séjourné : fer de lance de la décarbonation de l’Industrie ?
Le portefeuille de Stéphane Séjourné, candidat français (Renew) au poste de “Vice-président exécutif pour la prospérité et l’industrie” est amené à jouer un rôle central sur le climat dans cette mandature. A la différence de 2019, où le Pacte vert européen, feuille de route pour atteindre la neutralité climatique en 2050, était au centre du travail de la Commission, la compétitivité et l’industrie européenne sont désormais identifiées comme primordiales. L’enjeu sera donc de garantir que la stratégie industrielle européenne (Pacte industriel propre) est bien mise au service de la neutralité climatique et construite dans le respect des limites planétaires, sans accepter aucun recul sur l’acquis environnemental européen. À ce stade, dans ses réponses écrites, Stéphane Séjourné se positionne globalement positivement en plaçant la décarbonation au cœur de la stratégie industrielle européenne. Cependant, l’accent qu’il met sur la simplification au service de la compétitivité pourrait conduire à des reculs sur les législations environnementales européennes.
En savoir plus sur les réponses de Stéphane Séjourné
A ce stade Stéphane Séjourné s’est positionné de manière plutôt positive sur le climat en plaçant la décarbonation au centre de la stratégie industrielle européenne et en reconnaissant le besoin de respecter les limites planétaires dans le renforcement de la compétitivité. Il avance également des propositions sur l’économie circulaire qui visent à réduire l’empreinte matérielle européenne, ce qui est rassurant. Le candidat commissaire a aussi en tête l’enjeu de ne pas faire augmenter les prix de l’énergie pour les citoyens et citoyennes, ce qui est crucial pour que la transition écologique ne pèse pas sur les ménages les plus pauvres.
En revanche, ses positions sur le besoin de simplification inquiètent. La simplification concernerait à la fois les programmes de financement, les permis, les appels à projets et présente le risque de reculs sur les lois, normes européennes qui protègent l’environnement. Il définit également les “technologies stratégiques” de manière très large (biotechnologies, espace, technologies “propres” et non “renouvelables”) ce qui peut laisser la porte ouverte au déploiement de fausses solutions pour le climat, comme par exemple la capture et le stockage du carbone.
Teresa Ribera : gardienne de la transition juste ?
Teresa Ribera, ancienne ministre de la transition écologique espagnole et issue du parti socialiste, a été choisie pour le poste de Vice-présidente pour une transition compétitive, propre et juste. Son rôle au sein de la Commission européenne sera central, à la fois pour assurer le déploiement du paquet “Fit for 55” (soit les politiques visant à réduire de 55% les émissions de GES de l’Union européenne d’ici 2030), et pour préparer les politiques climatiques pour l’après 2030 sans faire porter le coût de la transition sur les ménages pauvres. Dans ses réponses écrites en amont des auditions, ses positions sont plutôt encourageantes sur la transition écologique et juste, notamment concernant son financement, le déploiement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, et l’accompagnement des ménages les plus pauvres. Des clarifications devraient toutefois être apportées sur la place à accorder à la sobriété dans la transition climatique. Elle ne s’est pas non plus positionnée clairement en faveur du renouvellement et du renforcement du Fonds de Transition Juste.
Pour en savoir plus sur les réponses de Teresa Ribera
La définition de la simplification administrative de la candidate va plutôt dans le bon sens, puisqu’elle la conçoit comme un outil visant à améliorer les politiques européennes et l’atteinte de leurs objectifs. Cependant, la candidate devrait expliciter que la simplification ne doit en aucun cas justifier des détricotages de législations existantes, notamment de celles visant à protéger l’environnement. Teresa Ribera propose une vision large du Pacte industriel propre qui doit, outre renforcer la compétitivité des entreprises, également contribuer à créer des bénéfices pour la population et garantir la qualité des emplois. Sa vision de l’économie circulaire est également encourageante, pour conduire l’UE à découpler la croissance de l’utilisation des matières premières, et donc à réduire son empreinte matérielle. Teresa Ribera insiste aussi sur les leviers les plus efficaces pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, à savoir le déploiement des énergies renouvelables et des mesures d’efficacité énergétique. Elle souligne également le besoin d’éliminer les subventions aux combustibles fossiles, sans quoi la sortie des énergies fossiles en Europe n’aura pas lieu. Elle propose également d’intégrer davantage les travailleurs dans la programmation et la mise en œuvre du Fonds de transition juste, une mesure qui va dans le sens souhaitable d’une gouvernance élargie intégrant les syndicats dans une logique de dialogue social et environnemental.
La candidate doit cependant clarifier la place qu’elle souhaite accorder aux politiques et mesures de sobriété dans la transition climatique, qui ne sont pas pas évoquées. Sa vision de la sortie des énergies fossiles semble également limitée aux énergies fossiles importées, notamment russes, ce qui est bien sûr indispensable mais pas suffisant. Enfin, la candidate n’a pas confirmé pour le moment un renouvellement du Fonds de transition juste, financement européen permettant la décarbonation des territoires les plus dépendants des énergies fossiles. Cet outil est pourtant nécessaire pour atteindre nos objectifs de manière juste.
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