COP25 : le décryptage détaillé des enjeux
Les enjeux de la COP25 : poser les bases d’une augmentation drastique des objectifs de réductions d’émissions de gaz à effet de serre en 2020 ; fournir une réponse sérieuse aux populations affectées de manière irréversible par le dérèglement climatique ; préserver la robustesse de l’Accord de Paris ; s’assurer de l’équité entre les pays.
L’année 2019 a été marquée en France comme dans le monde par une succession sans précédent de mobilisations citoyennes. Elles ont appelé les gouvernements à répondre à la crise climatique, mais aussi à adopter des mesures pour améliorer les conditions sociales et lutter contre la pauvreté. Alors que la COP25 a dû être déplacée du Chili vers l’Espagne, les 196 pays membres de l’Accord de Paris ne peuvent pas fermer les yeux devant l’évidence : lutte contre les inégalités sociales et lutte contre le dérèglement climatique sont profondément liées, et appellent des réponses politiques communes.
Dans le même temps, les scientifiques du GIEC et de l’IPBES ont continué à alerter sur la crise climatique et la crise de la biodiversité. Pourtant, le sursaut indispensable des grands pays émetteurs n’est toujours pas visible : la planète se dirige vers un réchauffement de +3° C à la fin du siècle, dans le meilleur des cas. À la COP25, les pays doivent reconnaître leur responsabilité dans l’inaction climatique, et préparer l’année 2020, au cours de laquelle ils devront adopter des objectifs de réductions d’émissions de gaz à effet de serre bien plus ambitieux d’ici à 2030, pour limiter le réchauffement à 1,5°C.
La COP25 a lieu à la veille d’une année décisive pour le climat comme pour la biodiversité. Les gouvernements ne peuvent pas se permettre de rater la dernière marche qui y mène. Pour cela, ils devront donner des réponses concrètes sur 4 chantiers.
I – Poser les bases d’une augmentation drastique des objectifs de réductions d’émissions de gaz à effet de serre en 2020
Soixante-huit pays se sont d’ores et déjà engagés à revoir à la hausse leur contribution national (NDC) pour 2030, avant la fin de l’année 2020 (Source : WRI 2020 NDC Tracker, 2019). Mais cet élan commun cache une réalité bien moins ambitieuse : ces 68 pays sont en très grande majorité des pays insulaires ou en développement, représentant une part minime des émissions globales de gaz à effet de serre. Alors que les États-Unis ont confirmé leur intention de se retirer de l’Accord de Paris, il est urgent et impératif que les grands pays émetteurs comme ceux de l’Union européenne, la Chine ou l’Inde s’engagent clairement à rejoindre cette dynamique, dès la COP25. La priorité doit être l’action sur le court-terme, car il reste moins de 10 ans pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Pour cela, il est indispensable de concilier des politiques climatiques ambitieuses et des mesures socialement justes et équitables, afin d’accélérer la transition tout en accompagnant les populations les plus vulnérables.
Ainsi, les pays devront soumettre, en amont de la COP26, des plans climatiques avec des objectifs relevés pour 2030, mais doivent aussi adopter les politiques nécessaires pour les atteindre. C’est urgent : l’inaction actuelle conduirait le monde à produire 120 % d’énergie fossiles (charbon, gaz, pétrole) de plus que ce qu’il faudrait pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Ce besoin de cohérence nationale vaut aussi pour la France, qui a dépassé son budget carbone de 4,5 % en 2018.
La COP25, un test pour l’Union européenne
L’incapacité de l’Union à acter la rehausse de son objectif climatique pour 2030 soulignent une fracture profonde entre les gouvernements européens sur le climat. La nouvelle tête de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen, qui entrera en fonctions à la veille de la COP25 de Madrid, aura la lourde tâche de recréer un consensus européen sur le climat.
Pour cela le Green Deal européen devra acter un nouvel objectif climatique européen pour 2030 de -65 % d’émissions de gaz à effet de serre, au lieu de l’objectif actuel de 40 %, tout en instaurant une solidarité financière européenne sur le climat afin d’accompagner tous les territoires dans la transition écologique, en particulier les régions dépendantes des industries fossiles. Dans ce contexte, les négociations du Budget européen – une enveloppe de 1300 milliards d’euros entre 2021-2027 – est l’occasion de réorienter les investissements vers une transition écologique socialement juste (7 propositions du Réseau Action Climat)
Le Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement européens qui se tiendra les 12 et 13 décembre, soit quelques heures avant la fin de la COP25, doit être l’occasion d’acter ce compromis entre ambition climatique et solidarité européenne, afin de réellement mettre l’Union européenne sur les rails de la neutralité climatique bien avant 2050. La France devra pousser dans ce sens pour convaincre les autres pays européens de la rejoindre sur l’augmentation des objectifs climatiques européens.
Les 7 propositions du Réseau Action Climat pour le budget européenII- Fournir une réponse sérieuse aux populations affectées de manière irréversible par le dérèglement climatique
L’année 2019 a été marquée par son lot de catastrophes naturelles, comme les cyclones Kenneth et Idai en Afrique Australe, qui a fait plus de 1000 victimes. Les pays en développement, qui font face aux évènements climatiques extrêmes ou sont victimes de dérèglements plus lents comme les déplacements, attendent que la spécificité de leur situation soit enfin reconnue. En particulier, des soutiens financiers bien plus importants sont nécessaires pour faire face aux pertes et dommages, ces conséquences qui n’ont pas pu être évitées et auxquelles les populations ne peuvent pas s’adapter. D’ici à 2022, les financements pour faire face aux pertes et dommages devraient ainsi atteindre au moins 50 milliards de dollars, en plus des financements déjà alloués pour l’adaptation et pour réduire les émissions.
La COP25 est l’occasion de progresser sur ce plan, car les activités du mécanisme dédié aux pertes et dommages (le mécanisme de Varsovie) doivent être réactualisées. Concrètement, il existe déjà des options pour mobiliser les ressources financières nécessaires sans peser sur les budgets nationaux. Par exemple, en créant des financements dits “innovants” : une taxe sur sur les émissions des transports aérien et maritime, une taxe sur les transactions financières ou sur l’extraction des énergies fossiles. Les pays pourraient aussi envisager de geler le paiement de la dette des pays du Sud dès lors qu’ils sont touchés par une catastrophe climatique. Cela permettrait aux gouvernements de ces pays de libérer rapidement des fonds pour soutenir les efforts de réponse humanitaire et de reconstruction.
Malheureusement, la volonté politique manque aujourd’hui. Les pays développés, y-compris de l’Union européenne et la France, sont pourtant les plus responsables des coûts subis par les pays du Sud. Ils doivent donc reconnaître leurs besoins croissants et accepter de créer un dialogue constructif et continu pour soutenir au mieux les populations affectées, dès la COP25.
III – Préserver la robustesse de l’Accord de Paris en achevant la définition de ses règles de fonctionnement pour les marchés carbone
En 2018, à la COP24, les pays ont adopté le manuel d’application de l’Accord de Paris (le “rulebook”). Cependant, un élément majeur n’avait pas abouti à un accord : les règles concernant les marchés carbone[1]. Des marchés carbone existaient déjà dans le cadre du Protocole de Kyoto (par exemple le mécanisme de développement propre). Problème : ils ont plus brillé par leurs défaillances que par leur efficacité.
À la COP25, la définition de nouvelles règles pour les marchés carbone est un enjeu majeur : mal définies, elles créeraient une brèche irréparable dans l’Accord de Paris et mettrait en péril l’atteinte de ses objectifs. Les pays devront donc être intransigeant sur la qualité des règles à adopter. Même en présence d’opposants de taille comme le Brésil, l’ambition de l’Accord de Paris et le respect des droits humains ne sont pas négociables.
Ainsi, des principes clés devront être définis. D’abord, les nouveaux marchés carbone devront exclure des échanges les réductions d’émissions effectuées avant 2020 et encore échangeables dans les marchés du Protocole de Kyoto. Elles représentent 4 milliards de tonnes de CO2, soit presque autant que les émissions totales de l’Union européenne en 2016. Injecter ces réductions d’émissions dans l’Accord de Paris reviendrait à l’inonder de produits périmés, défectueux, voire toxiques. Ensuite, le nouveau marché devra protéger les droits humains et les écosystèmes en incluant des garde-fous stricts et en créant une instance indépendante pour déposer des plaintes, en cas de problème. Dans le passé, trop de projets ont porté atteintes aux populations locales et à la biodiversité (voir encadré ci-dessous). Enfin, il faudra interdire aux pays de compter les réductions d’émissions échangées plusieurs fois et s’assurer que les marchés créés permettent une véritable réduction des émissions : la crise climatique ne peut pas se contenter de trucages comptables, ni de jeux à somme nulle en déplaçant les efforts d’un pays à l’autre.
Note
[1] En effet, l’Article 6 de l’Accord de Paris prévoit que des réductions d’émissions puissent être échangées entre pays de manière volontaire, ou via un “mécanisme de marché” mettant en relation un acheteur (pays ou entreprise) et un porteur de projet. Ainsi, une entité A ayant réduit ses émissions de 10 tonnes de CO2 supplémentaires à son objectif peut vendre ce résultat à une entité B qui a besoin de cette réduction d’émission pour atteindre son propre objectif climatique. C’est une sorte de “compensation”.
Barro Blanco, la bavure de trop
Illustration même des dérives de certains projets approuvés dans le cadre du mécanisme de développement propre sous le protocole de Kyoto : le cas du projet de barrage hydraulique de Barro Blanco, au Panama. Initié en 2007, le projet a durement affecté les droits fondamentaux (accès à l’eau, sécurité alimentaire, droits culturels) de la communauté autochtone Ngäbe, en inondant une grande partie de son territoire. Malgré le manque d’information sur le projet et ses impacts, l’absence de consultation des communautés locales, et de nombreuses protestations marquées par la répression (3 personnes tuées et de nombreuses arrêtées), le barrage a vu le jour en 2015. Aujourd’hui, la communauté Ngäbe subit des inondations fréquentes, et des impacts économiques et sanitaires considérables. Un rapport de l’ONU a depuis reconnu les failles liées au respect des droits humains dans le processus de développement du projet.
Plus d’informations (vidéo en anglais) : “Barro Blanco – not an exceptional case”, Carbon Market Watch, juin 2019IV- S’assurer de l’équité entre les pays développés et les pays en développement
Enfin, la COP25 doit continuer à apporter des réponses, sur tous les fronts, aux pays qui sont le moins responsables du dérèglement climatique. C’est indispensable pour préserver la confiance entre pays développés et pays en développement, et s’assurer que chaque pays a une capacité d’agir et des objectifs équitables, que ce soit en matière de financements climat ou d’agriculture.
En novembre, le Fonds vert sur le climat a reçu de nouvelles promesses financières, à hauteur de 9,78 milliards de dollars pour la période 2020-2023. Plusieurs pays, dont la France, ont doublé leur contribution initiale, mais de nombreux pays ont fait des promesses bien en deçà des attentes, comme le Japon, le Canada, la Suisse ou l’Autriche. La COP25 doit être l’occasion de rectifier le tir pour ces pays, alors que l’objectif des 100 milliards de dollars pour 2020 est toujours loin d’être atteint.
Enfin, après la publication du rapport du GIEC sur les terres en 2019, la COP25 devra apporter des réponses en faveur d’un changement de modèle agricole, moins émetteur de gaz à effet de serre, plus soutenable et qui bénéficie aux petits agriculteurs notamment dans les pays du Sud. Cela passe par la promotion d’approches agroécologiques, à l’inverse des logiques d’agriculture industrielle très dépendantes aux engrais de synthèse azotés.
Cet article a été réalisée grâce à l’appui financier de l’Agence française de développement. Les contenus présentés et les opinions exprimées sont celles du Réseau Action Climat-France. Elles n’engagent ni la responsabilité ni les positions de ses partenaires et services associés.
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