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Élections européennes : 6 mois avant, quel bilan tirer de l’action européenne sur le climat ?

Dans 6 mois, plusieurs centaines de millions d’Européens seront appelés aux urnes pour les élections européennes. Alors que la composition du futur Parlement européen sera déterminante pour l’ambition climatique de l’Europe et de la France, le Réseau Action Climat fait le bilan de l'action européenne de ces 5 dernières années.

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Une ambition climatique européenne inédite

Ces 5 dernières années, l’Union européenne a enclenché un virage sans précédent dans la lutte contre le dérèglement climatique. Il s’est matérialisé par le “Green Deal” ou le Pacte vert européen : un ensemble de 75 lois devant permettre à l’Europe de devenir le “premier continent neutre en carbone au plus tard en 2050”. Plus de 40 textes ont été adoptés depuis 2019 pour faire diminuer les émissions de l’Union européenne de 55% d’ici 2030. Le mandat a ainsi permis d’obtenir plusieurs avancées marquantes face à la crise climatique :

Neutralité carbone au plus tard en 2050

Dans sa Loi Climat, l’Union européenne a acté qu’elle atteindrait la neutralité carbone en 2050 au plus tard et qu’elle réduirait ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. 

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Ces objectifs sont un pas en avant par rapport à ce à quoi l’UE s’était engagée avant la mise en place du Pacte vert, soit une réduction de 40% des émissions d’ici 2030. Pour la France, cela implique par ailleurs une réhausse de son objectif national de réduction de GES de 10 points (-37% à -47,5%) d’ici à 2030, dans les secteurs du transport, du bâtiment, de l’agriculture ou encore de la gestion des déchets.

Fin de vente des voitures à moteur thermique actée pour 2035

A partir de 2035, la vente de voitures essence, diesel et hybrides neuves sera interdite dans l’UE, une victoire de taille pour la décarbonation des transports.

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L’Europe a gagné une victoire de taille pour la décarbonation des transports. A partir de 2035, la vente de voitures essence, diesel et hybrides neuves sera proscrite dans l’UE, une décision qui permettra de faire bifurquer l’industrie automobile et de protéger les emplois. Le secteur des transports, qui représente 27% des émissions de gaz à effet de serre européennes, est clé pour diminuer nos émissions.

42,5% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique pour 2030

D’ici 2030, la part des énergies renouvelables dans le mix de consommation énergétique final devra avoir doublé par rapport à aujourd’hui. C’est 10% plus élevé que l’objectif européen précédent.

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En réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, guerre qui a révélé les vulnérabilités de l’Europe causées par sa dépendance historique aux combustibles fossiles, l’Union européenne a renforcé son ambition en ce qui concerne le déploiement des énergies renouvelables avec son plan d’action RepowerEU. D’ici 2030, la part des énergies renouvelables dans le mix de consommation énergétique final devra avoir doublé par rapport à aujourd’hui pour atteindre 42,5% du mix (contre un objectif de 32% avant cette réforme). Cet objectif est malheureusement toujours insuffisant pour contenir un réchauffement climatique à +1,5°C et respecter l’Accord de Paris, mais bien plus élevé que ce que l’on pouvait espérer (32%). 

250 milliards d’euros pour le climat

L’Europe a fléché près de 40% de son plan de relance post-COVID sur la lutte contre les changements climatiques. C’est loin d’être parfait et pérenne, mais un investissement inédit dans la transition écologique.

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L’Union européenne a mis en place un emprunt commun pour financer un plan de relance massif en réaction à la crise du COVID en 2020. Il s’agit de NextGenerationEU, d’un montant de 750 milliards d’euros, dont 37% est prévue d’être fléchée à la lutte contre le changement climatique, soit 250 milliards d’euros, un montant conséquent. Il s’agit d’une victoire pour l’investissement dans la transition écologique puisque c’est la première fois que l’Union européenne prévoit une enveloppe financière aussi importante pour la transition écologique. Il s’agit désormais d’aller encore plus loin : mettre un terme à tout financement de projets fossiles actuellement permis sous certaines conditions, renforcer l’allocation aux projets climatiques, et pérenniser les financements qui s’arrêteront en 2027.

Restauration de la nature et lutte contre la déforestation importée

Pour la première fois, les Etats seront juridiquement contraints d’interdire des produits responsables de la déforestation et de restaurer des écosystèmes terrestres et marins dégradés.  

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L’Europe a légiféré dans deux secteurs nouveaux et essentiels dans la lutte contre le réchauffement climatique, alors que les crises climatique et l’effondrement de la biodiversité sont jumelles : la restauration de la nature et la lutte contre la déforestation importée. 

Bien que la loi ait été sensiblement édulcorée par rapport à la proposition initiale de la Commission européenne, et qu’elle doit encore être formellement adoptée au Parlement début 2024, pour la première fois, les Etats seraient juridiquement contraints d’avoir mis sous mesures de restauration 20% des écosystèmes terrestres et marins dégradés d’ici 2030

De plus, et c’est une première également, plusieurs produits liés à la destruction des forêts dont le soja, l’huile de palme, le bœuf, le café, les produits du bois comme les produits imprimés, ainsi que le caoutchouc seront interdits à la vente dans l’UE. La loi sur la déforestation importée fait cependant cruellement défaut en ce qui concerne la reconnaissance des droits humains, en particulier des peuples autochtones et des communautés locales et exclut des écosystèmes essentiels comme les savanes.

L’enjeu pour les élections européennes : renforcer l’ambition climatique

Il faut désormais aller plus loin : non seulement, ces victoires d’étape sont désormais à préserver et à mettre en œuvre, mais elles ne suffisent pas à aligner l’Europe avec les objectifs climat de  l’Accord de Paris. Beaucoup reste à faire pour relever le défi de la transition écologique et juste : le financement de sa mise en oeuvre, la réforme de la Politique agricole commune, l’accompagnement et la protection des ménages modestes face à ces transformations, la mise en cohérence des politiques commerciales et de la sortie des énergies fossiles avec les objectifs du Pacte vert. Le prochain mandat européen doit permettre de renforcer ces trous dans la raquette du Green Deal. 

Sortir définitivement des fossiles

Actuellement, l’Europe investit encore massivement dans les énergies fossiles, en contradiction avec ses objectifs climat et incompatibles avec un budget carbone permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. En outre, elle n’a pas de plan de sortie des énergies fossiles. 

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Alors que l’Union européenne s’est fixé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, elle s’engage en parallèle dans des projets d’infrastructures fossiles. La Commission européenne a par exemple acté l’importation de 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié supplémentaires entre l’Union européenne et les États-Unis dès 2022. Plusieurs États dont la France ont également lancé des projets de construction d’infrastructures de GNL, comme le terminal gazier du Havre. S’ils voient le jour, ces projets contribueront à l’émission de 950 millions de tonnes d’équivalent CO2 additionnels par an. La construction de nouvelles infrastructures de gaz fossile éloignent l’Europe de son indépendance énergétique et contredisent ses objectifs climatiques qu’elle s’est fixée. L’enjeu pour le prochain mandat sera de mettre un terme au développement de tout nouveau projet fossile. Suite aux déclarations faites lors de la COP 28 à Dubaï, l’Union européenne doit maintenant passer des paroles aux actes et adopter un plan de sortie contraignant du charbon pour 2030, du gaz pour 2035 et du pétrole pour 2040.   

Contraindre les industriels les plus pollueurs à réduire leurs émissions

Actuellement et jusqu’en 2034, les industriels les plus pollueurs bénéficieront encore de permis à polluer gratuits. Résultat, ils ne diminuent pas leurs émissions assez vite. 

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Le Green Deal a conduit à la réforme du marché carbone, principal outil de l’UE qui est censé pousser les industries les plus intensives en carbone (dont acier, ciment, aluminium, engrais chimiques) à réduire leurs émissions de CO2 en faisant augmenter son prix. Si l’ambition globale du marché carbone à été renforcée grâce au Green Deal, le Parlement européen et les Etats ont échoué à acter la suppression des permis à polluer gratuits, ce qui nuit à l’efficacité climatique du marché carbone. En effet, depuis 2005, ces industries ont reçu l’équivalent de 138 milliards d’euros d’allocations gratuites pour prévenir les risques de délocalisation, ce qui contribue à dissuader ces dernières de baisser leurs émissions de CO2. Ces titres gratuits resteront encore en vigueur jusqu’en 2034. C’est d’autant plus problématique qu’une taxe carbone aux frontières (MCAF) va être mise en œuvre pour assurer une concurrence équitable entre les entreprises européennes et les entreprises importatrices étrangères, qui viendra ajouter une protection supplémentaire aux industries européennes. Sous le prochain mandat européen, il sera impératif de mettre fin aux allocations gratuites des industries intensives.

Ne pas faire payer le coût de la transition aux ménages

L’UE a créé un Fonds social climat pour compenser l’impact des politiques climatiques pour les ménages les plus précaires. Le problème, c’est que son montant est insuffisant et interviendra trop tardivement pour réellement compenser et accompagner les ménages dans la transition. 

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A partir de 2027, l’Union européenne va déployer un nouveau marché carbone pour les bâtiments et les transports. Cette mesure va exposer les ménages à un prix du carbone plus élevé, et est censée les inciter à rechercher des solutions moins polluantes. Ca n’est pas évident pour tout le monde : les ménages les plus précaires ne peuvent par exemple pas changer de voiture, tandis que les locataires ne contrôlent pas les démarches de rénovations thermiques. Il s’agit d’un piège social qui risque de reproduire à l’échelle européenne le cocktail qui a conduit au mouvement des gilets jaunes en France. Même si un Fonds social pour le climat a été créé pour compenser une partie de l’impact sur les ménages, son montant (86 milliards d’euros à partir de 2026) est trop faible pour compenser à la fois le coût de la hausse du prix du carbone, et l’investissement dans des solutions décarbonées. Son démarrage est par ailleurs trop tardif : un an seulement avant la mise en place du marché carbone 2. Il est impératif de réformer ce fonds pour qu’il soit à la hauteur des enjeux. 

Faire bifurquer notre modèle agricole vers l’agroécologie

La Politique agricole de l’Europe et les aides versées aux agriculteurs continuent d’avoir un impact particulièrement néfaste sur le climat. 

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Le Green Deal n’aura pas permis la transformation en profondeur de la Politique agricole commune, qui octroie 55 milliards d’euros de  financements par an aux agriculteurs en Europe. En effet, les aides de la PAC restent majoritairement allouées à l’hectare, ce qui défavorise les productions qui se font sur de petites surfaces. Les aides de la PAC sont également majoritairement néfastes pour la biodiversité. Lors de la réforme de 2023-2027, les négociations n’ont pas abouti à un alignement contraignant des Plans stratégiques nationaux avec les objectifs du Pacte vert. S’ajoutent à cet échec la réautorisation du glyphosate pour 10 ans au niveau européen, et l’abandon des négociations sur le règlement européen pour réduire l’utilisation  des pesticides de 50%. Le règlement a été rejeté par la droite, les eurodéputés conservateurs et l’extrême droite. 

Mettre sur la table un financement européen pérenne pour le climat

Alors qu’il faudrait mobiliser chaque année 620 milliards d’euros pour la mise en œuvre du Green Deal selon la Banque Européenne d’Investissement,  l’Union européenne n’a à ce jour pas mis sur la table de solution de financement pérenne. 

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L’Union européenne n’a à ce jour pas mis sur la table de solution de financement pérenne pour garantir le déploiement des transformations majeures que le Green Deal implique. La Banque européenne d’investissement estime qu’il manque environ 620 milliards d’euros publics, privés par an jusqu’en 2030 pour mettre en œuvre le paquet Fit for 55. Le projet avorté du Fonds de souveraineté européen, le manque d’ambition de la réforme en cours des règles budgétaires européennes qui risquent de nouveau de sensiblement contraindre les déficits et les dettes des Etats, et la fin du plan de relance en 2026 aggravent cette situation de sous-investissement. Il reviendra aux prochains décideurs européens de débloquer les montants suffisants pour garantir la mise en œuvre du Green Deal. 

Ces élections européennes seront déterminantes pour le climat

Ce mandat aura démontré que l’échelon européen est critique et stratégique pour faire avancer les politiques climatiques. Seule une action européenne coordonnée permettra de préserver la transition écologique, la cohésion, la solidarité et la résilience des 27 Etats dans ce défi qui dépasse les frontières nationales. A ce titre, les élections européennes du 9 juin 2024 sont cruciales : elles détermineront la capacité du Parlement européen à continuer ou non à adopter des textes ambitieux sur le climat et à protéger les acquis du Green Deal. En priorité, le prochain mandat devra acter la sortie des énergies fossiles, investir dans  l’agroécologie, ou encore débloquer un financement pérenne européen pour déployer le Green Deal.

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