Budget vert : le Gouverne-ment
Alors que la France publie la 1ère application de la méthodologie “budget vert”, le Réseau Action Climat regrette qu’un outil initialement de transparence et d’information de débats parlementaires se transforme en outil de dissimulation, qui masque les dépenses néfastes pour le climat.
Alors que la France publie la 1ère application de la méthodologie “budget vert”, le Réseau Action Climat regrette qu’un outil initialement de transparence et d’information de débats parlementaires se transforme en outil de dissimulation, qui masque les dépenses néfastes pour le climat.
Nous proposons de passer au crible les éléments de communication du Gouvernement, pour démêler le vrai du faux, et faire toute la lumière sur les non-dits de ce “budget vert”.
Lors du One Planet Summit de décembre 2017, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) a lancé, avec le soutien de la France, le « Paris Collaborative on Green Budgeting », une initiative visant à promouvoir le verdissement des budgets. La France s’est engagée à produire un état des lieux de son budget et à évaluer son adéquation avec les objectifs nationaux, européens et internationaux de transition énergétique et de protection de la biodiversité. Cela a abouti à la publication d’un premier document budgétaire en 2019 qui établissait :
– Une liste non exhaustive des dépenses favorables et défavorables au climat.
– Une première évaluation limitée de l’impact social de la fiscalité écologique concentrée sur des taxes sur l’énergie.
– La création d’une mission partagée entre le Ministère de la Transition Écologique’ et le Trésor pour développer une méthodologie “budget vert”.
La France vient de publier la première application de sa méthodologie “budget vert” sur le budget de la France et les 100 milliards d’euros du plan de relance. Cependant, entre les lignes, on peut déceler que les dépenses néfastes pour le climat ont été masquées.
Fact-check
La France prétend qu’il est enfin possible d’avoir une vision claire et transparente des niches fiscales néfastes pour le climat et des subventions aux énergies fossiles.
C’est faux !
Concernant le coût des niches fiscales, il y a une nette différence entre le chiffre avancé par le rapport du Gouvernement et celui avancé par un panel d’autres acteurs dont le Réseau Action Climat. Le rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État publié début octobre cite les dépenses fiscales défavorables pour l’environnement et chiffre les exonérations ou taux réduits sur les taxes intérieures de consommation (TIC) des produits énergétiques relatifs aux carburants à 5,1 milliards d’euros. Le rapport de l’année dernière les chiffrait encore à 6,6 milliards d’euros.
Cependant le Réseau Action Climat (17,7 milliards d’euros), I4CE (14,2 milliards d’euros), mais également le rapport de la commission du Trésor et du Ministère de la Transition écologique de l’année dernière “Green budgeting (12,2 milliards d’euros) et la Commission européenne (9,7 milliards d’euros) arrivent à des montants bien supérieurs. La différence s’explique par le choix du périmètre. Pour avoir une vision globale, il est impératif de choisir un périmètre large, qui inclut toutes les formes de subvention aux énergies fossiles, y compris l’exonération du kérosène pour les avions, la différence de taxation entre diesel et essence ou encore les garanties à l’export en faveur des projets fossiles (sujet largement sous-représenté dans les rapports sur les subventions néfastes pour le climat).
C’est seulement avec cette vision complète qu’il sera possible enfin d’engager une trajectoire de suppression tout en accompagnant les secteurs concernés.
A l’inverse d’un travail de transparence, on peut même déplorer qu’un certain nombre de dépenses fiscales qui étaient recensées ont disparu, depuis deux ans, de tous les documents budgétaires, y compris le Voies et Moyens Tome II qui permettait de les référencer, à défaut de les prendre en compte dans les comptes globaux.
S’agit-il d’une volonté délibérée du Gouvernement de brouiller les pistes pour masquer des résultats peu reluisants en matière de lutte contre les niches fiscales climaticides ?
Pour le Gouvernement, adopter un “budget vert” selon cette nouvelle méthodologie signifie qu’il s’engage sur une trajectoire de suppression des aides néfastes pour le climat!
C’est faux !
Évaluer ne suffit pas. Il faut agir dès maintenant. Le Gouvernement semble se satisfaire d’avoir mené une évaluation des dépenses vertes de son budget sans s’engager sur un chemin de verdissement en supprimant les dépenses défavorables. La totalité des amendements dans le cadre du débat sur le projet de loi de finances pour 2021, qui portaient sur la suppression d’une dépense fiscale, ont été rejetés avec avis défavorable du Gouvernement.
Et les annonces de Bruno Le Maire du 12 octobre concernant un éventuelle fin au soutien à des projets d’exploitation de gaz seulement en 2035, riment plutôt avec un monde à +4°C, voire +5°C de réchauffement, autrement dit un monde invivable pour la majeure partie de la population mondiale.
L’année dernière, la Commission des finances de l’Assemblée Nationale avait adopté un amendement de la députée Bénédicte Peyrol visant à supprimer d’ici à 10 ans les principales niches sur les énergies fossiles. Si cet amendement a été retiré en séance plénière, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire s’était engagé dans la foulée à lancer des discussions dans le cadre du Pacte productif. Aucune suite n’a été donnée à cet engagement. Pire, cet été, la baisse de la trajectoire de réduction de la dépense fiscale en faveur du gazole non routier a été repoussée d’une année supplémentaire.
“Le Plan de relance ne contient aucune dépense défavorable à l’environnement !”
C’est faux !
Ici, grand travail de dissimulation à la manoeuvre : outre la cotation des crédits inscrits en PLF 2021 sur la mission « Plan de relance », l’impact environnemental de l’ensemble du plan « France Relance » a été analysé selon la méthodologie du budget vert. Le résultat est fabuleux : le Plan de relance de 100 milliards d’euros n’inclut aucune dépense défavorable à l’environnement. Bravo pour ce travail de dissimulation !
Rectification : le Plan de relance inclut donc :
-32 milliards d’euros sont estampillés “favorables à l’environnement”. Problème : une partie reste clairement ambiguë car englobe des technologies comme l’agriculture de précision, la 5G et le nucléaire.
-5,2 milliards d’euros sont dits “mixtes”. Problème : si pour les dépenses favorables à l’environnement il suffit d’être “vert” sur 1 des 6 critères analysés, concernant les dépenses mixtes, même si une dépense est défavorable sur un critère elle ne devient pas défavorable à l’environnement mais demeure “mixte”. Ici, le deux poids deux mesures règne, et le Gouvernement donne dans la duplicité.
-68 Milliards d’euros sont dits “neutres” (à savoir 68 % du plan de relance). Problème : dans ces dépenses, il y a notamment la baisse des impôts de production qui financent en grande partie des secteurs d’activités polluants car adossés à aucune contrepartie sociale et environnementale. Sans parler des milliards d‘euros d’aides pour l’industrie automobile et le secteur aérien qui ont été votés en grande partie dans les lois de finances rectificatives. Cette évaluation est grandement problématique, et ne ressemble ni plus ni moins à un grand jeu de dupes. Il faut faire une remise à plat importante de la méthodologie utilisée pour cette analyse qui n’est ni neutre, voire pire, mensongère, et ne contribue pas à éclairer le débat – pourtant un des objectifs phares de la méthode “Budget vert”. L’absence de données détaillées, enlève la capacité de déconstruire et critiquer des choix partisans.
Le comité de suivi du Plan de relance, qui devra se réunir bientôt pour la première fois, devra avoir à sa disposition d’autres outils de suivi plus détaillés concernant l’impact écologique et social de ce plan.
La méthodologie “budget vert” permet “d’évaluer la compatibilité du budget avec les engagements de la France, en particulier l’Accord de Paris”.
C’est faux !
Rapport du GouvernementComme le précise le think tank I4CE : dans l’exercice “budget vert”, toute dépense permettant une amélioration par rapport à l’existant est considérée comme favorable au climat, même si cette amélioration est insuffisante pour atteindre la SNBC (Stratégie nationale bas carbone). Ceci est particulièrement saillant dans le cas de la prime à la conversion automobile, considérée comme favorable à l’environnement dans le budget vert de la France même si ce dispositif finance en grande partie l’achat de véhicules thermiques. Le rapport gouvernemental inclut aussi des dépenses, comme les tarifs réduits aux électro-intensifs qui vont à l’encontre d’une incitation à l’efficacité énergétique.
Le Gouvernement affirme que “la France est le premier pays au monde à mesurer l’impact du budget de l’État sur l’environnement”.
C’est faux !
Communication du GouvernementMême si c’est un bon signal que la France évalue son budget d’un point de vue écologique, elle n’est pas le seul pays à le faire, comme le montre un article d’I4CE. D’autres pays ont déjà engagé les mêmes types de démarches, notamment les pays en dehors des pays industrialisés. Même s’il y a des éléments qui rendent cet exercice français unique et pionnier (inclusion – au moins en partie – des dépenses défavorables, la publication avant le vote du budget, inclusion des opérateurs, une évaluation multi-dimension…), il ne paraît pas honnête d’effacer dix ans d’expérience mondiale sur le sujet.
Finalement, au pays du double langage, “budget vert” signifie budget “pas si vert” ou “pas vert du tout”. Le Réseau Action Climat en appelle à la responsabilité des parlementaires pour soulever les points abordés ci-dessus dans le cadre des débats sur le Plan de relance qui débutent mardi 20 octobre soir en commission des finances du projet de loi de finances pour 2021.
Ce n’est qu’un premier exercice comme le Gouvernement le signale lui-même. Une deuxième version plus complète et sincère serait possible vu le travail d’envergure qui a été effectué par la mission partagée entre le Ministère de la Transition Écologique et le Trésor pour passer la totalité du budget par un filtre écologique. Surtout, l’évaluation du budget doit être accompagnée par une vraie volonté politique pour honorer l’engagement de la France auprès du G7 de supprimer les subventions aux énergies fossiles d’ici à 2025, en mettant en place des trajectoires de suppression des aides néfastes pour le climat et l’environnement dès ce projet de loi de finances.
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