En 2019, la France finance la destruction du climat et de l’environnement à hauteur de 18 milliards d’euros (au minimum)
Le Réseau Action Climat France publie les chiffres concernant les aides publiques qui financent la destruction du climat et de l’environnement. En 2019, les niches fiscales sur les taxes sur les énergies fossiles et les garanties à l’export en faveur des projets gaziers et pétroliers, ont atteint environ 18 milliards d’euros.
Des financements qui détruisent le climat et qui ralentissent la transition écologique
Une des priorités incontournables pour mener la transition écologique est de mettre fin à la totalité des aides financières qui détruisent le climat et l’environnement, notamment les subventions aux énergies fossiles. En 2019, ces subventions notamment les niches fiscales sur les taxes sur les énergies fossiles et les garanties à l’export en faveur des projets gaziers et pétroliers ont atteint environ 18 milliards d’euros en France. 24 milliards d’euros si on y ajoute des aides à la construction neuve qui contribuent à l’artificialisation des sols, la construction de certains infrastructures de transport, les taux réduits sur les taxes sur l’électricité etc.
La France finance la destruction du climat à hauteur de 18 milliards d'euros
Scandaleux ⚠️En 2019, les niches fiscales sur les taxes sur les énergies fossiles et les garanties à l’export en faveur des projets gaziers et pétroliers ont atteint 18 milliards d’euros. Le détail : https://reseauactionclimat.org/subventions-energies-fossiles-2020/
Publiée par Réseau Action Climat sur Lundi 15 juin 2020
Si on ne supprime pas ces financements, les objectifs climatiques (limiter le réchauffement à 1,5°C, atteindre la neutralité carbone, etc.) seront purement et simplement inatteignables.
Même si les investissements dans les solutions augmentent1, le maintien des subventions néfastes à l’environnement ralentit les changements et envoie des signaux contradictoires. L’existence de nombreuses niches fiscales (taux réduits, remboursements etc.) sur les taxes sur les énergies fossiles (TICPE, TICGN, TICC) affaiblit par ailleurs l’efficience de la taxe carbone en France, qui est une composante de ces taxes. Chaque niche qui diminue le niveau global de taxation réduit aussi la tarification carbone et donc les changements de comportements.
Ces subventions maintiennent donc un statu quo dommageable à la transition écologique. Par ailleurs, il manque des milliards d’euros d’investissements par an en France2 pour accélérer cette transition. Supprimer les aides à la pollution permettrait de libérer des recettes pour financer une société plus résiliente.
En France, des nombreuses subventions sont contraires aux principes de la transition écologique
Ce document disponible sur ce lien représente la liste (non exhaustive) des aides défavorables au climat et à l’environnement identifiées par le Réseau Action Climat :
- Des exonérations et des taux réduits sur les taxes sur les produits énergétiques et l’électricité : les dépenses fiscales qui concernent les taxes sur l’énergie et plus précisément sur les produits énergétiques (TICPE …) se chiffrent à 17,7 milliards d’euros par an (sans prendre en compte la parte de TVA qui est perçu sur la TICPE – plusieurs milliards d’euros en plus). Ce périmètre volontairement large inclut la niche fiscale non répertoriée de la différenciation de la taxation diesel-essence (3,5 milliards d’euros) et un niveau de taxation réduit pour une taxation du kérosène (ce qui fait passer la niche de 3,6 à 6,2 milliards d’euros)3. Bien que l’électricité en France soit caractérisée par un contenu carbone moindre par rapport à d’autres pays, des taux réduits sur la Taxe intérieure de consommation sur la fourniture d’électricité (1,3 milliards d’euros par an) diminuent l’incitation aux économies d’électricité.
- Des soutiens financiers à la construction neuve qui entraînent l’artificialisation des sols et renforcent l’étalement urbain : en 2010, on estime à 1,3 milliards d’euros les dépenses fiscales relatives au logement neuf.4
- Des garanties à l’export en faveur de projets fossiles : depuis 2009, plus de 9 milliards d’euros ont permis de financer l’industrie du pétrole et du gaz via les garanties publiques à l’export5. Les limitations votées dans la loi de finances de 2020 sont insuffisantes.
- Des garanties d’États pour des prêts bancaires aux entreprises sans aucune éco-conditionnalité et des participations financières de l’État dans certaines grandes entreprises (considérées stratégiques) dont l’activité dégrade le climat : il convient de compter, parmi les aides dommageables à l’environnement, les soutiens financiers accordés par l’Etat durant la crise du covid-19, via des prêts garantis (300 milliards d’euros) et le renforcement des participations financières de l’État dans les entreprises stratégiques (20 milliards d’euros), pour lesquels aucune éco-conditionnalité n’a été fixée6. Aujourd’hui, nous n’avons aucune méthodologie à disposition pour classer et chiffrer ces flux financier, car l’évaluation dépend de l’ambition de la stratégie climatique de l’entreprise. Le travail sur le verdissement du budget et le nouveau jaune budgétaire “Rapport sur l’impact environnemental du budget” devrait aboutir à une première estimation.
- Un dispositif de péréquation tarifaire qui finance la production d’électricité, notamment à partir d’énergies fossiles7 : la péréquation tarifaire des zones non-interconnectées au réseau métropolitain (qui représente 1,6 milliards d’euros par an) est important socialement, mais elle doit être progressivement remplacée par une stratégie d’électricité 100 % renouvelable.
- Un financement d’infrastructures de transport dommageables à l’environnement : le rapport Green Budgeting : proposition de méthode pour une budgétisation environnementale”8 a identifié 0,7 milliards d’euros de dépenses pour la création de nouvelles infrastructures routières ou de subventions au secteur aérien.
- Des dépenses de fonctionnement de l’État qui constituent une atteinte directe à l’environnement : le rapport Green Budgeting : proposition de méthode pour une budgétisation environnementale”9 a identifié 1,2 milliards d’euro pour l’achat de carburants, de fioul, de véhicules thermiques, etc.
Quels sont les secteurs bénéficiaires de ces aides ?
- Le secteur des transports est celui qui bénéficie le plus des dépenses défavorables à l’environnement : 14 milliards d’euros des dépenses fiscales de la TICPE favorisent des transport polluants (route, aérien, fluviale et maritime). A cela, il faut rajouter les infrastructures de transport qui auront un impact néfaste sur l’environnement (0,7 milliards d’euros), les dépenses de fonctionnement de l’État (achat de voitures et de carburants : 1,2 milliards d’euros), la Prime à la conversion de 600 millions d’euros qui a bénéficié à 98 % à l’achat de véhicules thermiques (bien qu’ils aient remplacé des modèles plus polluants) et les aides financières dans la cadre du plan de sauvetage, qui visent à renflouer les caisses des entreprises stratégiques actives dans le secteur de la mobilité (Air France et Renault notamment), sans aucune éco-conditionnalité précise.
- Au regard des changements concernant la taxation du gazole non routier, le secteur agricole reste largement bénéficiaire de ces aides. La suppression d’ici 2023 du tarif réduit de taxation du gazole non routier a été votée dans la LFI 2020. Les agriculteurs sont exemptés de la suppression. Pour eux la dépense fiscale continue à présenter 1 milliards d’euro par an.
- L’industrie intensive en énergie bénéficie de taux réduits sur les taxes sur l’électricité et l’énergie représentant 2,3 milliards d’euros par an (alors qu’une partie de ces entreprises a également droit à des quotas gratuits du système européen à cause de l’exposition à la concurrence internationale et échappe donc bel et bien à tout signal prix carbone). Par ailleurs, il existe une injustice entre acteurs économiques : d’un côté les installations très émettrices de gaz à effet de serre soumises au système d’échange des quotas européen qui sont exemptées du paiement de la taxe carbone française ; et de l’autre les entreprises moins émettrices, notamment des PME, assujetties à une tarification plus élevée.
- Les 1,3 milliards d’euros qui entraînent l’artificialisation des sols et renforcent ainsi l’étalement urbain bénéficient avant tout aux entreprises de la construction neuve de logements.
Des aides en faveur des énergies fossiles mais indispensables pour la transition juste
Une autre dépense défavorable au climat mais indispensable socialement est le dispositif du chèque énergie (839,7 millions d’euros en 2020). Il sert en partie à payer les factures d’énergie (donc aussi des énergies fossiles) des ménages vulnérables. Ce dispositif est nécessaire pour protéger les ménages les moins résilients face à une hausse des prix. Mais ce dispositif devrait être temporaire, jusqu’à ce que la transition écologique permette à tout le monde d’accéder à des solutions de chauffage performante et un logement isolé.
Les mêmes types d’aides existent pour les dépenses de carburants, mais d’une manière plus dispersée (Centre Communal d’Action Sociale – CCAS, des aides à la mobilité, des microcrédits personnels etc.).
La première étape pour supprimer les dépenses qui bloquent et ralentissent la transition écologique est la transparence
Depuis fin 2017, la France s’est engagée dans un processus de verdissement de son budget, via l’OCDE et à l’échelle nationale. Ainsi, une nouvelle annexe budgétaire a vu le jour : le jaune budgétaire “Financement de la transition écologique : les instruments économiques, fiscaux et budgétaires au service de l’environnement et du climat”, qui sera rebaptisé cette année « Rapport sur l’impact environnemental du budget »11. Une mission du Ministère de l’écologie et du Trésor a publié en 2019 un rapport intitulé Green Budgeting : proposition de méthode pour une budgétisation environnementale”12, qui chiffre les dépenses dommageables et favorables à l’environnement, par rapport à 6 critères environnementaux.
Ces critères sont : lutte contre le changement climatique, adaptation au changement climatique, gestion durable des ressources en eau, transition vers une économie circulaire et prévention des risques, prévention de la pollution, préservation de la biodiversité et gestion durable des espaces naturels, agricoles et forestiers. Selon ce rapport, les dépenses défavorables à au moins un des 6 critères représentent 25 milliards d’euros par an ; 30 milliards d’euros sont favorables au moins une fois sans être défavorables par ailleurs. Cette approche multicritère est en effet très importante pour ne pas avoir d’oeillères quant à certains impacts écologiques. La crise sanitaire actuelle montre en effet la forte imbrication entre perte de biodiversité, prédation des milieux naturels, pollution, détérioration du climat, et problèmes de santé publique.
Cette transparence doit être suivi d’engagements
Suite à l’Accord de Paris de 2015, la France a pris un certain nombre d’engagements pour mettre fin aux aides et subventions dommageables à l’environnement. A l’échelle internationale, la France s’est engagée auprès du G7 à mettre fin aux subventions aux énergies fossiles d’ici à 2025. Cependant, cette annonce ne s’est jusqu’ici pas matérialisée dans un calendrier de suppression. D’autres objectifs, comme “zéro artificialisation des sols en 2030”, que le Gouvernement s’est fixé, ne seront atteignable que sous condition d’une suppression des aides néfastes à leur atteinte.
La loi de finances 2020 a entamé un processus de diminution de certains dépenses fiscales (suppression du taux réduit GNR, une baisse de 2 c€ du remboursement partiel de la TICPE aux transporteurs routiers et la mise en place d’une éco-contribution sur les billets d’avion) sans cependant aborder un calendrier global de suppression des aides néfastes à l’environnement. Au regard de l’ampleur du problème, ce rythme de suppression n’est pas compatible avec les objectifs notamment climatiques de la France.
Le manque de priorisation politique est flagrant : dans la première version de son Plan national énergie et climat (NECP) transmis à Bruxelles en 2019, la France affirmait : « Il n’existe pas de subventions aux énergies fossiles en France ». Dans la deuxième version13, la France reconnaît « Toutefois certains secteurs bénéficient de réductions de taux de TICPE ». Les 4,77 milliards d’euros identifiés représentent cependant un périmètre très restreint.
Ne plus opposer climat et emplois
Le Gouvernement et la majorité parlementaire ont accordé des milliards d’euros aux entreprises, dont les activités sont parmi les plus polluantes14, sans contreparties écologiques fixées. Cela montre la faille dans laquelle nous sommes prisonniers. PIB, croissance économique et emplois priment sur la nécessité de protéger notre planète.
Il est aussi largement critiquable de faire croire aux salariés du secteur automobile et aérien que leurs emplois seront sauvés à moyen terme 15.
Pourquoi n’y-a-t-il pas, dans le paquet de sauvetage qui dépasse des centaines de milliards d’euros, une offre qui s’adresse aux salariés et aux sous-traitants des secteurs les plus affectés, pour les accompagner dans des transitions professionnelles vers des emplois plus verts ? Les analyses montrent que le secteur aérien aura besoin de 10 ans pour atteindre la même dynamique qu’en début d’année16. A quoi bon, s’il faut réduire son activité pour mener la transition écologique ? Près de 20 % des emplois liés au secteur de l’automobile sont à terme menacés en France. Là où cinq salariés sont nécessaires pour fabriquer un moteur thermique, essence ou diesel, il n’en faut désormais plus que trois pour fabriquer son équivalent électrique17. A titre indicatif : l’accompagnement pendant 18 mois d’un salarié demanderait environ 75000€18. Au vu des sommes en jeu et de l’impact social et économique positif d’un tel dispositif, celui-ci devrait se trouver au coeur d’un plan de sauvetage de notre planète et d’une société plus résiliente face aux crises à venir.
Le Gouvernement doit honorer l’engagement de la France au G7 et annoncer dès maintenant la fin de tout type d’aides néfastes pour le climat et l’environnement au plus tard en 2025.
Cela implique bien entendu une analyse de chaque aide défavorable, en concertation avec les secteurs d’activités concernés, les territoires impactés et les syndicats, pour identifier les reconversions nécessaires, les mesures d’accompagnement pour minimiser l’impact sur les salariés, les sous-traitants et la compétitivité des entreprises concernées, en prenant notamment en considération la disponibilité et le coût des solutions technologiques alternatives. Il importe que le Gouvernement, en accord avec les parties prenantes, fixe pour chaque aide spécifique un calendrier de négociation et d’extinction progressive, assorti d’un budget et d’une procédure de suivi régulier permettant d’identifier l’impact sur l’emploi et la baisse des émissions.
Notons que ce processus ne sera pas indolore, car l’objectif ultime n’est pas seulement de supprimer des aides défavorables à l’environnement mais de transformer les stratégies des entreprises pour les rendre compatibles avec la transition écologique.
Cela veut dire aussi qu’il ne sera pas souhaitable de sauver toutes les entreprises si leur production est incompatible avec un modèle de société durable. Il est de notre responsabilité collective d’empêcher la création de chômeurs « écologiques ». De nombreuses études19 montrent que le résultat net en termes d’emplois est largement positif, mais il faut dès maintenant structurer et planifier l’accompagnement des personnes qui perdent leurs emplois pour prouver que la transition écologique peut être véritablement juste.
Le rôle important des grandes institutions financières, banques privées, banques centrales et agences de notation
Il convient également de souligner le rôle important des grandes institutions financières, banques privées, banques centrales et agences de notation, dans l’orientation des investissements vers des activités néfastes ou favorables à l’environnement. Entre 2015 (Accord de Paris) et 2018, les banques (plus les américaines que les européennes) ont dirigé 1 900 milliards de dollars vers des projets d’énergies fossiles. Il y a certes quelques signaux encourageants, comme l’annonce par la BEI (banque d’investissement de l’UE) de l’arrêt du financement des projets ayant trait aux combustibles fossiles d’ici à fin 2021 et l’alignement de ses activités de financement sur les objectifs de l’accord de Paris à partir de fin 2020. Mais de nombreux investisseurs français sont toujours actifs dans les projets des énergies fossiles 20. Société Générale, Crédit Agricole, BNP Paribas et BPCE ont accordé 24 milliards de dollars de financements à ce secteur depuis 2016, et sont notamment très actives dans le financement de nouveaux projets d’infrastructures liés au développement des bassins de schiste aux Etats-Unis. Les investisseurs français, au premier plan desquels ces mêmes banques ainsi que AXA et Rothschild & Co, y détiennent 12 milliards d’investissements 21.
Notes de bas de page
1 https://www.i4ce.org/download/edition-2019-panorama-financements-climat/
3 Comme souligne la Cour des Comptes : “Les dépenses fiscales font l’objet de travaux d’évaluation et d’un pilotage insuffisants en interministériel. Certaines sont non conformes aux objectifs de politiques publiques de la mission (exonérations sectorielles de taxe intérieure de consommation des produits énergétiques notamment).” https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-04/NEB-2019-Ecologie-developpement-mobilite-durables_0.pdf
4 Il s’agit d’une évaluation de la mission du Ministère de l’écologie et du Trésor a publié en 2019 un rapport Green Budgeting : proposition de méthode pour une budgétisation environnementale”
6 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041820860&dateTexte=&categorieLien=id
9 ibid.
10 https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-34355-prime-vehicule-2018.pdf
11 Le Réseau Action Climat a transmis un certain nombre de recommandations à la task force qui travaille sur le Jaune budgétaire : https://drive.google.com/file/d/1_tJCaG86xmG-pFXBT8F3w2VOa-bkfXpM/view?usp=sharing
13 https://ec.europa.eu/energy/sites/ener/files/documents/fr_final_necp_main_fr.pdf
15 https://nvo.fr/7-milliards-de-prets-a-air-france-sans-garantie-davenir-pour-les-salaries/ ou https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/air-france-klm-va-reduire-la-voilure-de-maniere-structurelle-de-20-danger-pour-l-emploi-847136.html
18 Ce calcul effectué inclut les postes suivants : un bilan de compétences, la formation, la prime de perte d’emploi (6 mois de salaire), utiliser les services d’une cellule de transition, l’indemnité de revenu durant le CTE, les indemnités diverses : déménagement, allocation temporaire dégressive (300 euros pendant 24 mois), création d’entreprise.
19 https://reseauactionclimat.org/publications/transition-energetique-emplois/
20 Chiffre calculé par un ensemble d’ONG dont Bank track et Rain forest action network.
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