Une année semée d’embûches pour les négociations climat – retour sur les intersessions de Bonn
Tous les pays se sont retrouvés à Bonn, du 5 au 15 juin, pour avancer sur la mise en œuvre des différentes décisions prises aux dernières COPs. Mais les blocages pour adopter un agenda démontrent les difficultés pour aboutir à des décisions politiques ambitieuses, afin d’accélérer l’action climatique en décembre prochain, lors de la COP28
Il aura fallu 9 jours de négociations rien que pour adopter l’ordre du jour; soit l’avant-dernier jour des intersessions. L’essentiel des discussions est ainsi reporté à la COP28 et envoie un très mauvais signal politique. Cette situation s’explique par plusieurs dynamiques géopolitiques, en particulier par un déficit de confiance des pays du Sud envers les pays du Nord. En effet, les pays les plus responsables de la crise climatique n’ont toujours pas réussi à tenir leur promesse en matière de financement. On observe un degré de déconnexion entre des États qui tentent de s’accorder sur un agenda à Bonn pendant que les impacts des dérèglements climatiques dans le monde ne cessent de s’aggraver, sur fond de feux de forêt au Canada, sécheresses en France et la multiplication de cyclones en Asie.
Des négociations laborieuses pour le Bilan Mondial
Le Bilan Mondial est le mécanisme de l’Accord de Paris pour réhausser l’ambition des Etats en matière de politique climatique. Il est mis en place cette année pour la première fois depuis 2015, avec des résultats prévus pour la COP28. Il a une grande importance car en plus de montrer que les États ne sont pas alignés avec la trajectoire de 1,5°C (ce que le GIEC fait déjà), il contiendra des recommandations politiques qui devront être prises en compte par les Etats dans leurs prochains objectifs en 2025. Ce n’est donc pas juste un exercice scientifique et technique, mais aussi politique.
Les intersessions de Bonn devaient lancer la phase politique pour négocier les recommandations du Bilan Mondial. Ce démarrage était censé préparer au mieux la COP28, mais malheureusement les discussions ont été très laborieuses, pour un résultat peu satisfaisant. Les États ne sont pas d’accord sur comment aborder le sujet de la finance climat. Certains pays en développement demandent que le focus soit fait sur la finance publique promise depuis 2009, alors que les pays du Nord souhaitent surtout travailler sur la mobilisation de la finance privée, notamment des entreprises et des banques. S’il est évident que la finance privée est importante, elle ne remplacera jamais les montants de la finance publique. De plus, c’est une question de justice : les pays développés ont établi notre système économique fondé sur les énergies fossiles et polluent pour certains depuis 200 ans. Ils doivent donc soutenir les pays en développement à faire leur transition écologique, eux qui ont moins de moyens et sont moins, voire pas responsables. Mais la discussion épineuse de la finance a été repoussée à octobre lors d’une réunion de travail entre États.
La société civile a utilisé les intersessions pour présenter ses demandes politiques : la sortie équitable et globale des énergies fossiles, l’augmentation de la finance climat notamment pour l’adaptation et les pertes et dommages, la protection des écosystèmes et le respect des droits humains, entre autres. Pour la société civile, en particulier des pays du Sud, le Bilan Mondial est tout simplement vital : le prochain étant en 2028, il est le seul qui peut forcer les États à respecter l’Accord de Paris et s’assurer que la trajectoire de réchauffement nous permette de rester sous 1,5°C. Cela signifie concrètement sauver des écosystèmes entiers, des emplois, des vies humaines. Il est grand temps que les États le réalisent et soient à la hauteur de cet exercice crucial.
La sortie juste et équitable des énergies fossiles
À Bonn, Sultan Ahmed Al Jaber, le président de la COP28 a déclaré que « l’élimination progressive des énergies fossiles est inévitable » et il a également appelé les pays à s’entendre pour tripler les énergies renouvelables et doubler l’efficacité énergétique d’ici à 2030. La science est claire : l’élimination des énergies fossiles est non seulement inévitable mais doit être rapide, équitable et juste. “Gagner lentement, c’est perdre et nous devons agir maintenant”. C’est pourquoi la présidence va devoir passer des paroles aux actes et s’abstenir de promouvoir des solutions technologiques dangereuses telles que le captage et stockage de carbone, mais bien déployer tous les efforts possibles pour promouvoir la sortie effective de toutes les énergies fossiles.
La COP28, devra fixer un objectif clair et sans ambiguïté pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables. Cet objectif doit être suffisamment ambitieux pour ne pas dépasser la limite de 1,5°C de réchauffement climatique et répondre aux besoins des pays en développement. Les énergies fossiles n’étant pas un sujet de négociation en soit sous l’Accord de Paris, il n’a pas été abordé officiellement à Bonn. Cependant c’est un sujet présent en toile de fond, notamment porté par la présidence émiratie (de manière plus ou moins claire), mais surtout par la société civile. Il est impossible de continuer à négocier sur le changement climatique sans aborder sa cause principale, l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles.
Les pertes et dommages
Lors de la COP27, les gouvernements ont pris la décision inédite d’établir un fonds pour soutenir les populations qui subissent les pires impacts du changement climatique -appelés aussi pertes et dommages- sans en être responsables. L’année 2023 est cruciale pour transformer l’espoir suscité par la COP27 en réalité concrète. Le comité de transition chargé de formuler des recommandations sur la manière de rendre opérationnels ce fonds et les nouveaux arrangements financiers a débuté ses travaux en mars. A Bonn, le très attendu deuxième dialogue de Glasgow sur le financement des pertes et dommages s’est tenu du 8 au 10 juin.
Les pays en développement ont clairement exprimé que le Fonds pertes et dommages doit être la pièce maîtresse de la future architecture financière, canalisant la majeure partie des financements pour les pertes et dommages ; et assurant un rôle de coordination avec les différents autres dispositifs complémentaires (systèmes de réponse humanitaire et d’alerte précoce, mécanismes assurantiels..). Pour les pays en développement, il est aussi crucial que le Fonds soit intégré au mécanisme financier de la CCNUCC (la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques), couvre un large éventail de besoins (réponse immédiate, réhabilitation et reconstruction) et soit régi par les principes d’équité, de pollueur-payeur, de responsabilité commune mais différenciée et capacités respectives, et intègre les enjeux de genre. Ils ont mis l’accent également sur la nécessité d’avoir un Fonds qui soit abondé à la hauteur des besoins des pays vulnérables, qui se chiffrent en centaines de milliards de dollars par an. Face à eux, les pays développés ont continué à mettre l’accent sur la nécessité de renforcer en priorité l’existant (système humanitaire,Global Shield lancé à la COP27, Banque mondiale). Or ces instances étant extérieures à la CCNUCC, les principes cités au-dessus ne pourraient pas leur être appliqués et les pays développés, en tant que contributeurs principaux en auraient le contrôle plutôt que les pays en développement. Un point de convergence notable est la reconnaissance par la grande majorité des Parties que des sources de financements innovants seront nécessaires pour compléter les contributions publiques des pays développés au Fonds pertes et dommages. Ont notamment été évoquées les taxes sur les énergies fossiles et sur les émissions du secteur maritime mais aussi sur les personnes utilisant fréquemment l’avion.
Concernant le réseau de Santiago sur les pertes et dommages, qui assurera l’assistance technique pour les pays les plus vulnérables, les Parties n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur l’hôte du Réseau. Deux candidatures avaient été déposées : l’une portée par la Banque de Développement des Caraïbes et l’autre portée conjointement par le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques des catastrophes et le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets. L’une des principales problématiques soulevées pendant les discussions était la capacité pour les candidat.e.s d’assurer une représentation régionale adéquate, notamment en Afrique et dans les Caraïbes. Il est crucial que l’ensemble des pays vulnérables soit convaincu de l’hôte sélectionné dont l’appui sera crucial pour déterminer l’échelle et le type de besoins liés aux pertes et dommages, ainsi que les moyens d’y répondre.
La finance climatique, un enjeu de confiance et de crédibilité
La question qui a alimenté tous les points liés au financement est l’échec de l’objectif annuel de 100 milliards de dollars pour 2020-25 et l’absence de progrès sur l’augmentation du financement de l’adaptation (engagement de la COP26 de doubler d’ici 2025 sur la base des niveaux de 2019). A Bonn, le principal événement sur le financement était le 6e dialogue d’experts techniques sur le nouvel objectif collectif quantifié sur le financement climatique. Les Parties doivent s’entendre sur le nouvel objectif post-2025 pour remplacer les 100 milliards de dollars promis en 2009. Il est impératif que ce nouvel objectif tienne compte des besoins et des priorités des pays en développement et qu’il se fonde sur des données scientifiques, afin de restituer la confiance entre les pays du Nord et du Sud et répondre aux besoins des plus vulnérables. Il ne fait aucun doute que la finance climatique va occuper le devant de la scène pour plusieurs années encore.
L’article 2.1(c), passager clandestin de toutes les négociations
L’article 2.1(c) de l’Accord de Paris a des implications significatives sur le fonctionnement du système financier mondial et sera un élément central des années à venir. Les premiers Dialogues de Charm el-Cheikh sur l’article 2.1(c) se tiendront en juillet. Il s’agit pour la première fois d’un espace dédié à la discussion sur la réorientation de tous les flux financiers vers la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le développement résilient aux changements climatiques. Ces dialogues doivent être axés sur l’équité et servir d’espace pour rattraper le retard pris dans l’élimination progressive des financements à forte intensité de combustibles fossiles et d’émissions. Ils doivent également permettre de corriger les déséquilibres de pouvoir et les injustices dans le système financier mondial. Il est urgent de concentrer les flux de financements vers des enjeux prioritaires pour les pays en développement – l’accès à l’énergie, la transition juste, l’adaptation et les pertes et dommages -afin d’établir une base solide pour l’action lors de la COP28.
L’immobilisme des négociations sur l’agriculture, sujet d’inquiétude pour la sécurité alimentaire
Lors de la COP27, les parties ont achevé le travail conjoint sur l’agriculture (le « Koronivia Joint Work on Agriculture ») et ont reconnu ses nombreuses réalisations. Il est maintenant demandé aux organes subsidiaires d’établir le travail conjoint quadriennal de Charm el-Cheikh sur la mise en œuvre de l’action climatique sur l’agriculture et la sécurité alimentaire. Le nouveau travail conjoint s’appuie sur l’héritage du Koronivia Joint Work on Agriculture, qui a notamment reconnu le rôle crucial des agriculteur.ice.s à petite échelle, et plusieurs principes qui relèvent de l’agroécologie, (par exemple, le bénéfice des approches agricoles holistiques et intégrées).
Mais à Bonn les parties ont été incapables d’avancer vers une vision commune de l’action climatique pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, puisque toute orientation sur le nouveau programme de travail est repoussée à la COP28. Que ce soit sur la forme (« le nouveau travail conjoint doit-il créer un “groupe de coordination”?), ou sur le fond (« quelles sont les meilleures approches pour transformer l’agriculture et les systèmes alimentaires ? »)
L’immobilisme des négociations est inquiétant. Les objectifs de l’Accord de Paris sont inatteignables sans action urgente. Les systèmes alimentaires sont responsables d’environ un tiers des émissions de Gaz à Effet de Serre et 828 millions de personnes continuent de souffrir de la faim et de la malnutrition. Pendant que les parties tentent d’élaborer des listes pleines de fausses solutions pour l’agriculture (mettant en avant l’agriculture intelligente face au climat / climate smart agriculture, ou l’intelligence artificielle), la société civile et les organisations paysannes partout sur la planète mettent déjà en oeuvre l’agroécologie, la seule approche qui pourra faire avancer la justice sociale et faire face à la crise climatique.
Malgré l’absence de négociations formelles, la question du genre s’impose
Bien qu’il n’y ait pas eu de négociations formelles sur le genre à Bonn, trois importants dialogues mandatés par la COP ont été organisés pendant ces intersessions. Le premier dialogue avait pour objectif d’explorer les opportunités de renforcer l’intégration du genre dans les politiques nationales liées à la mise en œuvre de l’accord de Paris. Ce dialogue faisait aussi le lien avec les autres agendas de gouvernance mondiale sur la protection de la biodiversité, la lutte contre la désertification ou la réduction des risques de catastrophes naturelles. Le 2eme dialogue portait sur la budgétisation « genre » dans les politiques nationales comme moyen de renforcer l’égalité de genre au sein des financements climatiques. Dans ce domaine, retenons que d’immenses progrès restent encore à réaliser, car sur l’ensemble des aides publiques relatives au climat – plus de 33 milliards de dollars en 2018-2019, seulement 0,04% visaient l’égalité de genre comme objectif principal. Enfin, un 3eme dialogue réunissait les président.e.s des organes constitués, les délégué.e.s des Etats et les observateurs, afin de faire le point sur l’évolution de l’intégration d’une perspective de genre dans leurs mandats respectifs. Dans ce domaine, bien que nombre de ces organes aient adopté des politiques et plans d’action genre, beaucoup reste à faire pour que cela résulte en de réels changements de planification politique ou d’action sur le terrain.
Il faudrait pour cela surmonter les barrières structurelles qui empêchent les groupes de femmes y compris les femmes autochtones, et toutes les organisations agissant pour la justice de genre à l’échelle locale, d’accéder aux ressources, aux instances de décisions et à des financements leur permettant de protéger leurs droits humains et d’amplifier leurs actions climatiques. Cette approche transformatrice, intersectionnelle, manque encore au sein des organes de la CCNUCC, comme dans l’ensemble des négociations: sur le bilan mondial, la transition juste, l’agriculture, ou même la protection des océans.
Parmi les avancées sur le genre, on peut mentionner le débouché positif des négociations au sujet de la participation de la société civile aux COPs et intersessions. Les discussions sur ce thème ont été notamment rythmées par les interventions fortes de la cheffe de la délégation mexicaine pour témoigner des harcèlements subis par des membres féminines de sa délégation lors de la dernière COP. Les négociations ont abouti à un texte soulignant que l’hôte organisateur de la COP doit garantir une « participation inclusive et réelle des partis et observateurs » et que celle.eux-ci doivent être protégé.es « contre toutes violences où abus incluant le harcèlement et le harcèlement sexuel« .
Quelles attentes pour la COP28 ?
La présidence de la COP28 doit clarifier sa vision dans les prochains mois, même si la science est claire comme de l’eau de roche. Il est impératif que les pays saisissent l’opportunité du bilan mondial pour corriger la trajectoire de réchauffement actuelle, transposent les données des rapports du GIEC en ambition politique au niveau international. Plusieurs événements internationaux, comme le sommet pour un Nouveau pacte financier mondial le 22 et 23 juin à Paris, le G7 qui se tiendra au Japon les 7 et 9 juillet, ainsi que l’Assemblée Générale des Nations-Unies en septembre, sont des moments clés pour avancer l’ambition climatique. La France doit investir ces espaces avec un agenda clair et ambitieux, afin de contribuer à ce que la COP28 se termine sur de véritables avancées dans la mise en œuvre des objectifs climatiques.
-
-
-
-
Suivez les actualités du réseau
Abonnez-vous à la newsletter du Réseau Action Climat.