Une stratégie protéines végétales mi figue mi raisin
Après plus d’un an d’attente, la stratégie nationale pour les protéines végétales voit enfin le jour en ce 1er décembre 2020 dans le cadre d'une allocution du ministre de l'Agriculture. Le Réseau Action Climat, qui a participé à toutes les phases de la concertation, en décrypte le contenu.
La sortie de la stratégie nationale pour les protéines végétales est une bonne chose. Nous avons besoin d’améliorer l’autonomie de la France vis-à-vis des importations, d’introduire plus de légumineuses dans les rotations ou encore d’augmenter la consommation de légumes secs. Mais plusieurs points nous posent problème dans cette stratégie, malgré une très longue période de concertation et une Convention citoyenne pour le climat qui marque, une fois de plus, un intérêt croissant pour la transition agroécologique.
Triste hasard, cette nuit, au Brésil, ont été publiés les chiffres actualisés de la déforestation. En 1 an (Août 19 – Juillet 20), la destruction de la plus grande forêt tropicale du monde a atteint 11 088 km², en hausse de 9,5 % par rapport à l’année précédente et un record pour la décennie (1). Il faut donc rappeler qu’en parallèle de cette stratégie nationale pour les protéines végétales, il est incontournable de réduire la surproduction et la surconsommation de produits animaux, en particulier ceux issus des élevages les plus industriels si l’on veut résoudre le problème de la déforestation importée.
Par ailleurs, l’allocution du ministre de l’Agriculture de ce matin évoque, en parallèle de la stratégie nationale pour les protéines végétales, une charte d’engagement contractée entre l’État et les filières et engageant ces dernières à un objectif d’augmentation de 40% des surfaces dans les 3 ans à venir. Mais cet engagement des filières n’inclut aucun critère de durabilité et concerne l’ensemble des filières de protéines végétales, dont les légumineuses mais aussi les oléagineux par exemple. Nous n’avons pas pu prendre connaissance de cette charte.
3 manques principaux à souligner dans cette stratégie nationale pour les protéines végétales :
=> Un cap visant 100% d’autonomie protéique et une articulation avec la baisse du cheptel (et pas seulement avec l’amélioration des pratiques d’élevage),
=> des critères d’octroi des aides sur l’agroécologie, dont l’agriculture biologique,
=> une exclusion des produits ultra-transformés dans les aides à l’industrie agro-alimentaire.
Ce décryptage met en avant les grands absents () et les points forts (✅), mais également, lorsque cela est nécessaire, les points d’attention (⚠️). Les numéros entre parenthèse (1.1.) renvoient aux numéros des axes de la stratégie nationale pour les protéines végétales.
Axe 1 : Engager une transition vers des systèmes de cultures diversifiés et riches en légumineuses
Cette partie ne comporte aucun critère sur les modes de culture, or l’argent public ne doit pas financer des modes de culture néfastes pour l’environnement (1.1.) et au contraire être prioritairement orienté vers les modes de production les plus durables, notamment l’agroécologie dont l’agriculture biologique. De plus, aucun critère sur les modes de transformation des produits destinés à l’alimentation humaine et aucune prise en compte des risques pour la santé (fracking, etc.), ne sont précisés (1.3.).
✅ En revanche, cette partie est intéressante pour l’approche globale et le soutien spécifique aux filières territorialisées (1.2.), dont l’accompagnement par les ONVAR et la création d’outils de transformation adaptés à une production territoriale, et une bonne prise en compte des avantages agronomiques dans la conduite de culture (1.4., 1.5.).
Axe II : Renforcer l’autonomie alimentaire des élevages et le recours aux protéines fourragères
Dans cet axe, nous notons l’absence criante d’articulation des politiques avec la baisse du cheptel, en particulier une réduction des élevages très dépendants des importations. C’est seulement par cette baisse, si elle est bien menée en parallèle d’une amélioration de la durabilité des élevages, que l’autonomie sera atteinte et se fera au profit des éleveurs.
✅ L’amélioration des modes d’alimentation des animaux est positive (2.1. , 2.2.). Les aides sont tournées vers les projets collectifs (2.3, 2.4.), et la création d’aide couplée spécifique aux légumineuses fourragères y compris en mélange est un très bon point.
En revanche, les aides ne ciblent pas assez sur les élevages à l’herbe, dont les prairies permanentes naturelles (dans le 2.4. notamment, où l’on ne parle que d’autonomie en général et de fourrage en particulier, mais pas de pâturage). Enfin, dans les aides à l’investissement, les soutiens devraient inclure les équipements de seconde main et le fait-main.
Axe III : Encourager les synergies cultures-élevages à l’échelle des filières et des territoires
Malgré que le constat soit posé dans l’introduction de cet axe sur les nécessaires synergies entre cultures et élevages, il est dommage qu’il n’aborde à aucun moment la nécessaire dé-spécialisation des territoires, à l’origine du problème.
La mise en œuvre du plan de filière par Terre Univia (3.1.) ne pose aucune prise en compte de critères de durabilité alors que c’est une des attentes vis-à-vis des plans de filière qui sont, rappelons-le, issus des États généraux de l’alimentation (EGA).
⚠️Un point d’attention également : Effectivement il est important de valoriser les efforts sur les façons dont sont nourris les animaux (3.3), mais cette valorisation doit exclure les termes trop peu précis comme “durable” et préciser un kilométrage pour “locale”. Le vocabulaire est particulièrement important lorsque l’on parle de valorisation et donc potentiellement d’affichage vers les consommateurs.
✅ L’encouragement, à l’échelle des régions, des échanges entre éleveurs et cultivateurs est un bon point (3.4.).
Malgré les bonnes intentions posées dans le point 3.5., ce dernier ne permet absolument pas de répondre aux enjeux environnementaux. En effet, le mot “durable” ne fait référence à rien, et le « soja durable » ne permet en aucun cas de lutter contre la déforestation. Il est dommage que le point visant à améliorer la communication vers les consommateurs parle de “bio” (3.3.) alors que le point visant à améliorer la qualité de l’alimentation animale (3.5.) n’y fasse pas référence et soit nettement moins précis.
Axe IV : Faire de la France un leader de la protéine végétale pour l’alimentation humaine
✅ L’arrivée de cet axe concernant l’alimentation humaine dans la stratégie nationale pour les protéines végétales est une très bonne chose, alors que la transition agroécologique doit être pensée avec la transition alimentaire et notamment le rééquilibrage entre protéines animales et protéines végétales. Cela passera notamment par la mise en oeuvre du PSN en France, dont des aides couplées aux légumineuses (4.1.).
En revanche, la campagne de communication sur les légumes secs (4.2.) devrait être portée par le ministère de la Santé et Santé publique France (SPF) et non par Terre Univia car il s’agit d’une mission de service public. Il est en effet primordial qu’une telle campagne vise prioritairement l’accès de tous à une consommation de légumes secs de qualité, puisse évoquer les légumes secs bio et veille à ce que la campagne profite à toutes les catégories de la population.
Les mesures concernant la transformation et la commercialisation des légumes secs à travers des start-ups et l’innovation sur les “protéines du futur” (4.3., 4.4.) manquent de prudence. Aucun critère sur les modes de transformation des produits destinés à l’alimentation humaine, aucune prise en compte des risques pour la santé (fracking, etc.). Le soutien à l’émergence des “protéines du futur” devrait se faire avec de nombreux gardes-fous pour la santé des français.
Axe V (recherche, de l’innovation et de la formation) et VI (échelle européenne et partenariats internationaux)
Les soutiens à la recherche devraient beaucoup plus être marqués vers des modes de développement durable. Cela concerne tous les niveaux de cet axe (5.1., 5.2., 5.3.). De plus, il manque un axe de recherche-action et des projets de recherche collective co-portés avec les agriculteurs eux-mêmes, dont les initiatives déjà existantes ont montré leurs bons résultats.
Idem, l’échelon européen et les partenariats internationaux devront inclure une dimension écologique et être tournés vers une production durable des légumineuses.
Références
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