Alimentation

Relance : Pour une agriculture résiliente, locale et durable

Dans le contexte actuel de déconfinement, nous devons tirer les enseignements de cette crise et soutenir une agriculture durable et juste socialement. Pour cela, les associations membres du Réseau Action Climat ont compilé dans un document les mesures nécessaires pour relancer le secteur agricole dans la bonne direction.

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Agriculture : Il est temps de jeter à la corbeille un modèle du passé

Dans le contexte actuel de crise, les agriculteurs français ont su s’adapter et faire face en continuant à travailler afin de fournir l’alimentation dont nous avions besoin. Il est temps maintenant de penser à la relance et de tirer les enseignements de cette crise sans occulter les défaillances structurelles mises en lumière : faible attractivité et valorisation des métiers agricoles qui accroissent la dépendance du secteur à une main d’oeuvre saisonnière précaire, inéquité dans la répartition des plus values économiques au sein des filières ou encore forte dépendance au marché international et vulnérabilité de ces filières aux chocs extérieurs, économiques et climatiques.

A quel prix avons-nous réussi à faire tenir le secteur agricole et alimentaire jusqu’à présent ? Les difficultés économiques et le manque de débouchés croissant pour certaines filières (lait, porcs, etc.), la baisse de rendement et la forte vulnérabilité aux aléas climatiques ou aux cours mondiaux d’autres filières très endettées (céréaliers) parlent d’eux-même. S’ajoute à cela la hausse de la précarité alimentaire, devenue criante pendant la crise actuelle, ainsi que l’augmentation des maladies chroniques liées à l’alimentation (certains types de cancer, obésité, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires). Le système agricole et agro-alimentaire payait déjà un lourd tribu avant la crise du COVID19, la période actuelle ne fait que révéler de façon encore plus prégnante le prix payé par les agriculteurs et les mangeurs. La machine se grippe : ne réitérons pas les erreurs du passé.

… et d’engager une transition agricole et alimentaire saine, juste et durable

Sur la base de ce constat, les politiques publiques doivent radicalement faire changer de cap à notre système agricole et alimentaire afin de répondre aux enjeux sociaux et d’emploi, de santé publique, d’environnement et de résilience face aux crises. Les pouvoirs publics et tous les acteurs concernés doivent prendre le taureau par les cornes et traiter prioritairement deux axes majeurs d’action : la diversification et la relocalisation des productions dans les territoires d’une part, et le soutien massif au changement de pratiques agricoles durables d’autre part. C’est d’un changement à 180° dont nous avons besoin. Les mesures appartenant au passé prônées par les tenants du modèle agro-industriel doivent être jetées à la corbeille : les soutiens publics à l’exportation, l’utilisation du label bas carbone pour de la compensation, les aides à l’investissement pour une agriculture de précision, ultra équipée et favorisant l’endettement, etc.

Alors que certains acteurs en font leur leitmotiv, le seul “localisme”, sans prise en compte de l’environnement, des conditions de travail ou encore de l’accès à tous à une alimentation saine et choisie, ne peut être la solution. Profitons de ce moment de questionnement pour réorienter la trajectoire : le gouvernement français doit plus que jamais adopter une approche systémique et soutenir une agriculture résiliente, durable, intensive en emploi et juste socialement.

A l’épreuve de la crise, notre modèle agricole et alimentaire industriel et internationalisé à montré ses limites. Ce sont de mesures structurelles qui accompagnent une transition agroécologique et paysanne dont notre pays a besoin. Afin de répondre aux défis qui nous attendent, les associations environnementales et de solidarité, membres du Réseau Action Climat, ont envoyé au gouvernement une note de mesures concrètes afin de relancer dans la bonne direction le secteur agricole et alimentaire, dans l’intérêt de tous, pour sortir par le haut de cette crise sans précédent.

Les mesures :

I. Pour une meilleure politique et gouvernance alimentaire

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  • Une mise en oeuvre ambitieuse du Plan national nutrition santé pour une alimentation durable, saine et accessible à tous :
    • Objectif : Mettre en place des mesures concrètes pour permettre un accès à tous à une alimentation bonne pour la santé et en cohérence avec les objectifs climat de la France.
    • Arguments : L’alimentation est un facteur clé pour résoudre les enjeux sociaux, environnementaux et de santé publique. Une alimentation plus végétale et plus durable entraîne de nombreux bénéfices : diminution des émissions de gaz à effet de serre, de la déforestation et de la consommation d’eau, réduction des maladies non transmissibles (certains types de cancer, maladies cardio-vasculaires, diabète de type 2, etc.). En outre, selon la chaire ANCA, la végétalisation de notre alimentation est un levier indéniable pour prévenir les zoonoses.
    • Mesures :
      • Donner de réels moyens à la politique nutritionnelle de la France en augmentant les budgets du PNNS, de l’enveloppe des agences régionales de la santé dédiée à la sensibilisation alimentaire via le Fonds d’intervention régional et des budgets prévention des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et des programmes de sensibilisation à l’alimentation des PMI et des CCAS.
      • Incorporer ou renforcer les modules sur l’alimentation saine et durable (enjeux sanitaires et environnementaux, nutrition, végétalisation de l’alimentation) dans les formations initiales et continues des professions en contact avec la population : médecins généralistes, pédiatres, médecins du travail, puériculteurs, sages-femmes, infirmiers, aides-soignants, assistants sociaux, acteurs de la restauration collective, etc.
      • Interdire les messages publicitaires et activités promotionnelles sous toutes leurs formes (publicités, marketing, évènements, jeux, advergames etc.) ciblant directement ou indirectement les enfants (moins de 16 ans) pour des produits alimentaires et des boissons riches en sucre, sel et/ou matières grasses, sur tout support de communication radiophonique, audiovisuel et électronique (internet, réseaux sociaux, etc.).
      • Donner des moyens et de l’ampleur à la campagne d’information lancée par Santé publique France sur les légumes secs et les céréales complètes en adaptant les messages visant certaines périodes clés de la vie comme l’adolescence, les études ou encore l’arrivée du premier enfant.
  • Une gouvernance équilibrée des chambres d’agricultures :
    • Objectif : Faire des chambres d’agriculture de vrais lieux de débats et de construction.
    • Arguments : C’est à l’échelle des territoires que les changements se mettent en place et c’est pour cela qu’il est indispensable d’ouvrir les Chambres d’agriculture à la société civile. Cela permettrait aux agriculteurs, d’une part, de mieux faire comprendre leurs contraintes à une population de plus en plus déconnectée de l’agriculture, et d’autre part de percevoir les attentes de la société civile comme une opportunité et non comme une menace.
    • Mesure :
      • Ouvrir les Chambres d’agriculture à la société civile pour en faire de vrais lieux de débats et de construction.

II. Pour un grand plan de diversification durable dans les territoires

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  • Un fonds exceptionnel aux collectivités pour mettre en place des systèmes alimentaires territoriaux justes et durables :
    • Objectifs : Développer les circuits courts et structurer les filières locales en respectant des critères environnementaux (des modes de transformation et de distribution et des modes de production) et solidaires (de l’agriculteur au mangeur). Les critères environnementaux devront concerner les modes de transformation et de distribution (optimisation des moyens de transports, etc.) et les modes de production (agroécologie, dont agriculture biologique, agroforesterie, etc.). Les critères solidaires devront concerner les conditions de travail des agriculteurs, des salariés des unités de transformation et de distribution, et l’accès à tous à une alimentation bonne pour la santé, d’un point de vue géographique et financier, dont des mesures pour les cantines scolaires.
    • Arguments : L’échelon local est le maillon essentiel à la mise en place d’un système alimentaire sain, juste et durable en France, que cela concerne les cantines scolaires, l’adéquation entre une demande et une production sur un territoire, le soutien aux filières locales, la structuration des filières courtes, etc.
    • Mesures :
      • Octroyer une aide financière exceptionnelle aux collectivités pour structurer les filières locales durables (transformation, conserverie, plateformes d’achat, distribution, animateurs territoriaux, grand plan de formation etc.),
      • dont une prime à l’investissement aux collectivités pour transformer les pratiques en restauration collective permettant  d’atteindre au moins les objectifs de la loi EGalim. Cette aide financière sera prioritairement ciblée sur les changements de pratiques via de la formation, de la sensibilisation et du matériel pour l’accès à une alimentation durable sans surcoût pour les convives grâce à la lutte contre le gaspillage alimentaire, le travail des produits bruts et la végétalisation de l’alimentation.
  • Une Stratégie protéines végétales ambitieuse :
    • Objectif : Développer la production de protéines végétales sur tout le territoire et en particulier la production de légumineuses, articulé à un développement massif de l’agroécologie et de l’agriculture biologique.
    • Arguments : La diversification des cultures dans les territoires nécessite l’augmentation des mises en culture de légumineuses. Ces dernières constituent un levier pour diminuer la dépendance des exploitations à l’utilisation d’engrais et la dépendance de la France aux importations de soja pour l’alimentation des animaux et de légumes secs (lentilles, haricots, pois chiches, etc.) pour l’alimentation humaine, et ainsi diminuer la déforestation importée.
    • Mesures :
      • Adopter et mettre en oeuvre une Stratégie protéines ambitieuse, soutenant le développement de la culture des légumineuses incluant des critères environnementaux (diversification des espèces cultivées, baisse de l’utilisation des pesticides, exclusion des OGM notamment les OGM dits cachés) et en cohérence avec un développement de l’autonomie des élevages.
      • Financer le développement et la structuration des filières de légumineuses de l’amont à l’aval, notamment des légumes secs à destination de l’alimentation humaine.
      • Investir de l’argent public dans la recherche agronomique et variétale (R&D) sur les légumineuses, en particulier en agroécologie dont en agriculture biologique.

III. Pour une accélération de la transition écologique de l’agriculture

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  • Un Plan stratégique national (PSN) résilient et écologique :
    • Objectif : Adopter un PSN mettant en oeuvre une PAC sur le sol français en compatibilité avec les enjeux environnementaux, sociaux et économiques, et en particulier les objectifs climat de la France.
    • Arguments : Les subventions de la PAC sont la principale source de soutien à l’agriculture française, orientant de façon structurelle les choix des productions et des modèles de culture et d’élevage. Il est donc essentiel que le PSN français soit réorienté en prenant en compte les enjeux auxquels fait face la société, en tirant les leçons de la crise actuelle et en revalorisant l’emploi et les métiers agricoles.
    • Mesures :
      • Aligner le PSN avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre tels que fixé par la SNBC (division par 2 des GES) et de réduction d’usage des pesticides (division par deux d’ici 2025). La conformité du PSN par rapport à ces objectifs de réduction doit faire l’objet d’une étude de conformité avant d’être déposé à la Commission européenne.
      • Réorienter profondément les financements de la PAC vers les systèmes de production les plus durables (au moins 50 % des financements de la PAC consacrés au maintien et au développement de systèmes agroécologiques) : pratiques agroécologiques, dont l’agriculture biologique, élevages durables, autonomie de l’alimentation des fermes, production de légumineuses, mais aussi les filières “pauvres” telles que les légumes secs et les fruits et légumes frais, notamment bio, que l’on importe aujourd’hui massivement.
      • Mettre en place des paiements pour services environnementaux et de bien-être animal.
      • Exclure les mesures aujourd’hui mises en avant mais en réalité néfastes : la comptabilisation de la séquestration du carbone dans les sols, l’utilisation du label bas carbone pour de la compensation, l’agriculture de précision ou encore des technologies néfastes qui reposent sur un usage fort de la biomasse de type BECCS.
      • Modifier les critères des aides de la Politique agricole commune (PAC) pour les baser sur les bénéfices environnementaux et sociaux et non plus sur la surface.
  • Une loi sur le foncier pour les agriculteurs et l’environnement et contre l’artificialisation :
    • Objectif : Adopter une loi sur le foncier permettant de lutter contre l’artificialisation, protégeant la qualité du sol, l’accès au foncier aux agriculteurs et le maintien et le développement de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
    • Argument : Le foncier est la clé de voûte d’un modèle agroécologique. Sans une réforme de l’accès au foncier et une lutte contre l’artificialisation, la transition agricole et alimentaire est impossible.
    • Mesures :
      • Mettre en place un moratoire sur l’artificialisation des terres.
      • Adopter une loi sur le foncier avant fin 2021.
  • Une fiscalité cohérente avec des objectifs environnementaux et sociaux :
    • Objectifs : Mettre en place une fiscalité favorisant les pratiques agricoles les plus bénéfiques pour l’environnement, la justice sociale et la protection de l’emploi.
    • Arguments : Au delà d’aiguiller la transition agricole et alimentaire, une fiscalité créé de nouvelles recettes financières publiques.
    • Mesures :
      • Acter une révision de la fiscalité environnementale sur les engrais chimiques qui contribuent à la pollution de l’air et à la crise climatique : via une réhausse de la TGAP Air et la mise en place d’une redevance sur l’utilisation d’engrais azotés de synthèse.
      • Mettre en place un bonus à la diversification des pratiques agricoles, au développement des prairies permanentes et des surfaces d’intérêt écologiques.

IV. Pour une politique commerciale et internationale solidaire

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  • Une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) efficacement mise en oeuvre :
    • Objectif : Mettre un terme à la déforestation importée ainsi qu’à la dégradation forestière et la conversion d’écosystèmes naturels liées aux importations françaises de matières premières et de produits transformés notamment liée au modèle agricole français (soja).
    • Arguments : En cohérence avec les engagements de la France sur ce sujet, la lutte contre la déforestation, la dégradation des écosystèmes forestiers et la conversion d’écosystèmes naturels est essentiel pour respecter le droit des communautés locales et réduire les impacts sur la biodiversité et sur le climat. En outre, elle permet de lutter contre l’émergence de nouvelles maladies infectieuses, et notamment les zoonoses.
    • Mesure :
      • Accélérer et rendre effective la mise en oeuvre de la SNDI.
      • Soutenir au niveau européen une loi assurant que les produits mis sur le marché ne sont pas liés à la déforestation et à la conversion d’écosystèmes.
  • Une amélioration des règles de commercialisation :
    • Objectifs : Rendre les distributeurs acteur de la transition tout en garantissant un prix juste pour les consommateurs et pour les agriculteurs.
    • Arguments : Afin de rendre les distributeurs acteurs de la transition, des réglementations doivent être mises en place, concernant la fixation des prix, l’implantation des centres commerciaux et l’origine des produits mis en vente.
    • Mesures :
      • Rendre obligatoire pour les grandes surfaces la commercialisation de produits locaux issus de modes de production durable et payés à un prix juste lorsque ces derniers sont disponibles sur le territoire.
      • Limiter l’implantation et l’extension des centres commerciaux, notamment via un encadrement de la réglementation dans les schémas de cohérence territoriale (Scot) et les Documents d’aménagement artisanal et commercial (Daac) et via une ouverture de la composition des CDAC (commissions départementales d’aménagement commercial).
      • Améliorer le cadre réglementaire de la transparence et de la construction des prix.
  • Des règles de commerce international compatibles avec la protection de l’environnement et des droits sociaux : 
      • Objectif : Afin de protéger le secteur agricole et alimentaire, dont l’objectif premier doit rester la fourniture d’une alimentaire saine et durable à tous, il est essentiel de sortir le secteur agricole des accords de libre échange.
      • Arguments : La crise a mis en lumière les risques liés à une très forte dépendance de notre secteur agricole et alimentaire aux marchés internationaux. Afin d’accéder à la souveraineté alimentaire, il est impératif de protéger le secteur agricole et alimentaire français des règles du commerce international pouvant prendre le pas sur les préoccupations environnementales ou les risques sanitaires par exemple..
      • Mesures :
  • À l’échelle internationale, l’agriculture doit bénéficier d’une exception aux règles actuelles de commerce international dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et des accords de libre-échange, comme c’est déjà le cas pour les biens culturels. 
  • Dans le cadre de la réflexion sur la sortie de crise, le commerce international doit faire l’objet d’un traitement particulier pour éviter qu’il ne continue à entraver la lutte contre le dérèglement climatique, la protection des écosystèmes et le respect des droits humains. Suite à l’initiative proposée avec les Pays-Bas, la France doit aller bien plus loin et exiger dès à présent que l’Union européenne arrête les négociations de nouveaux accords de libre-échange afin de repenser la politique commerciale européenne. Cela inclut de stopper les signatures en cours avec le Mexique et les pays du MERCOSUR, mais aussi une suspension du CETA.
  • Mettre en place des mesures miroirs afin d’interdire toute importation lorsqu’une denrée agricole est fabriquée avec des produits et modes de productions interdits en Union européenne (certains pesticides, farines animales, etc.).
      • Mettre en place un “buy sustainable act” pour que les marchés publics intègrent des critères de localité et de durabilité.
  • La mise en place d’une politique extérieure solidaire :
    • Objectif : Assurer la souveraineté alimentaire “ici et là-bas” et la cohérence du discours sur la relocalisation
    • Arguments : La relocalisation ne doit pas se faire au détriment de la sécurité et de la souveraineté alimentaire de pays tiers. Pour leur sécurité alimentaire, certains pays dépendent de nos exportations et importations. Les exportations françaises ont aussi un impact sur la souveraineté alimentaire de pays tiers dont la production nationale se trouve concurrencée par des produits européens à bas prix. Si nous déplorons la mise en concurrence des produits français via les accords commerciaux, nous ne souhaitons pas imposer les mêmes difficultés aux agriculteurs des pays du Sud.
    • Mesures :
      • Assurer des soutiens APD accrus sous forme de dons dédiés à l’agriculture paysanne et l’agroécologie dans les pays du Sud. Ces soutiens devront notamment cibler les filières du sud affectés par la relocalisation des productions agricoles et alimentaires françaises (perte de revenus et perte d’emplois suite à perte de marchés).
      • Ne pas mettre en place de plans et soutiens à l’export dans le plan de relance, notamment sur les filières céréales, bovins, laits et produits transformées qui destructurent les économies locales et filières locales du Sud.
      • Arret des soutiens français, notamment via proparco, aux filières d’importation (dont haricots, fleurs, huile de palme pour agrocarburants).

L’Etat français s’assure que ses soutiens (financiers, diplomatiques, crédits exports, etc.) à des industries ou des projets de développement respectent les normes internationales sur l’accaparement des terres.

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