Réchauffement climatique : un danger humanitaire
D’après l’ONU, vers 2050, les réfugiés climatiques pourraient être au nombre de 250 millions. Déjà, entre 2008 et 2016, la moyenne annuelle des déplacements liés au changement climatique a été de 25,3 millions de personnes dans le monde. Qui sont ces migrants et quelles solutions mettre en place pour pallier l’injustice climatique ?
François Gemenne, spécialiste des flux migratoires [1] et chercheur à l’université de Liège et à Sciences-Po Paris, répond à ces questions :
Qui sont les migrants climatiques ?
“Trois parties du globe sont particulièrement touchées par les migrations climatiques [2] [3] [4] : l’Afrique subsaharienne, qui subit des sécheresses extrêmes et la dégradation des sols, l’Asie du Sud et du Sud-Est, région la plus exposée aux typhons et autres tempêtes, et les petits États insulaires, comme ceux des archipels du Pacifique, en première ligne face à la montée du niveau de la mer.
Prenons les réfugiés africains qui arrivent aujourd’hui en Europe. L’agriculture de subsistance est la principale source de revenus pour plus de la moitié de la population d’Afrique. A l’origine, il y a souvent un exode rural des populations agricoles qui ne peuvent vivre de leurs revenus. Les villes de ce continent étant aujourd’hui incapables de répondre à l’afflux de migrants des campagnes, ils tombent sous le joug de réseaux de passeurs qui leur promettent un meilleur salaire. Ils se retrouvent coincés en Libye, un enfer sur Terre, qu’ils fuient pour arriver en Europe.
On parle souvent de réfugiés économiques, imaginant que l’environnement et l’économie sont deux domaines différents. Mais pour la plupart des habitants du monde, il s’agit de la même chose. On peut tout aussi bien parler de migrants environnementaux, climatiques ou écologiques.”
En février 2018, le Conseil de l’Union Européenne s’est préoccupé des répercussions du changement climatique sur la sécurité et la stabilité internationales [5]. Le réchauffement climatique est-il un facteur de conflits ?
“Bien sûr ! Il ne faut pas compartimenter les thématiques. Migrations, économie, politique, environnement, guerres… ces sujets s’influencent les uns les autres.
La guerre en Syrie par exemple. Une sécheresse hors normes a touché le pays et a été très mal gérée par les autorités. Les stocks de céréales ont été exportés par le régime plutôt que d’être écoulés sur le marché domestique, ce qui a généré une hausse des prix de l’alimentation. Celle-ci a provoqué le mécontentement de la population, ce qui a donné lieu à une répression brutale. Et nous connaissons la suite.”
Que peut-on faire contre l’injustice climatique ?
“Il y a trois formes d’injustice climatique. D’abord, celle intergénérationnelle : le climat met une cinquantaine d’années à réagir aux émissions de gaz à effet de serre. Nous ressentons aujourd’hui les résultats des actions de nos parents et de nos grands-parents. Ensuite, celle géographique : les pays qui sont les plus durement touchés sont aussi ceux qui sont le moins responsables du réchauffement. Enfin, celle sociale : au sein d’une même société, ce sont les populations les plus vulnérables qui sont les plus impactées [6].
Il faut réduire immédiatement nos émissions de gaz à effet de serre, puis répondre à chacune de ces injustices. Pour cela, nous pourrions créer un fonds de provision pour les générations futures, soutenir des mécanismes d’adaptation pour les régions les plus touchées et offrir des possibilités de migration et de relocalisation aux populations qui se retrouvent coincées.
Pour moi, la solution est l’accord de Paris. C’est celui qui me semble le plus juste. On demande à chacun ce qu’il est prêt à faire et surtout on reconnaît l’enjeu moral de tout cela [7]. Il faut voir le changement climatique comme une persécution politique à l’encontre des plus vulnérables. Le problème est que ce traité est un accord déclaratif, qui dépend donc de la bonne volonté politique. Et pour l’heure, elle fait défaut.”
Notes
[1] Atlas des migrations, Atlas des migrations environnementales, Dina Ionesco, Daria Mokhnacheva, François Gemenne, Presses de Sciences Po 2016.
[2] Human rights of migrants, United Nations General Assembly, 13 August 2012. Sixty-seventh Note by the Secretary-General [A/67/29912-46071 (E) 100912] (voir page 8 première ligne et sa note 7)
[3] « Du mythe à la réalité » des migrations : à Marrakech, l’adoption d’un pacte mondial « non contraignant » propose des principes directeurs aux États Membres – 10 décembre 2018, Nations Unies
[4] L’ONU privilégie une approche régionale plutôt que mondiale sur la question des réfugiés climatiques, 8 novembre 2017, ONU
[5] Council Conclusions on Climate Diplomacy General Secretariat of the Council of the European Union, 26 February 2018
http://www.consilium.europa.eu/media/32953/st06125-en18.pdf
[6] “Shock Waves : Managing the Impacts of Climate Change on Poverty. Climate Change and Development.”, Hallegatte et al. 2016, World Bank
https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/22787/9781464806735.pdf
[7] Sans justice climatique, 120 millions de pauvres supplémentaires d’ici 2030, Réseau Action Climat, 27-10-2017
https://reseauactionclimat.org/sans-justice-climatique-120-millions-pauvres-supplementaires-2030/
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