Limiter le réchauffement à 1,5°C : un défi pour l’humanité

Le réchauffement global a aujourd’hui atteint 1°C par rapport à 1850-1900. Le limiter à 1,5°C nécessite de réduire dès maintenant et de manière drastique les émissions de CO2 pour arriver à 0 émission en 2050 et passer en émissions négatives après : il s’agit d’un défi inédit pour l’humanité.

Soleil
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Hervé DOUVILLE, chercheur au sein du groupe climat du Centre national de recherches météorologiques (CNRM) de Météo-France, répond à ces questions :

Quel est le rythme actuel du réchauffement climatique ?

D’après le récent rapport 1,5°C du GIEC, le rythme actuel du réchauffement climatique est de +0,2°C par décennie +/- 0,1°C [1]. Cette fourchette demeure relativement large, de même que celle des projections de température de surface du globe à court-terme (d’ici 2040) et ceci quel que soit le scénario d’émissions de gaz à effet de serre retenu.

Cette incertitude est en partie liée au caractère imparfait des modèles de climat et à la variabilité interne du système climatique qui, de manière transitoire et indépendamment des activités humaines, peut contribuer à amplifier ou au contraire inhiber le réchauffement de la Terre [2]. Ainsi, si la réalité d’un dérèglement climatique planétaire est aujourd’hui avérée et si les modèles sont unanimes pour prévoir un accroissement du réchauffement global proportionnel aux émissions cumulées de gaz à effet de serre, son amplitude et sa chronologie restent à préciser.

Quels dangers fait encourir le réchauffement à l’humanité ?

Le réchauffement climatique et son atténuation posent de nombreux défis, civilisationnel, scientifique, technologique, politique et socio-économique pour l’humanité, notamment d’avoir trouvé le moyen de séquestrer du carbone atmosphérique sans mettre en péril les ressources en eau ou l’alimentation de la population mondiale puisque certaines mesures de séquestration entrent en compétition avec d’autres utilisations des sols [3].

Un réchauffement au-delà des 3 ou 4°C d’ici 2100 ne serait pas la « fin du monde », mais une transition extrêmement rapide et inédite vers un climat à bien des égards plus hostile pour l’homme et pour de nombreuses autres espèces, avec des tensions croissantes sur la gestion des ressources (terres, eaux, denrées alimentaires…) et une érosion massive et irréversible de la biodiversité [4].

Ces enjeux sont si importants et la barre est si haute que certains scientifiques et ingénieurs explorent d’ores et déjà la possibilité d’un plan B utilisant d’autres techniques dites de « géoingénierie » consistant à perturber délibérément le bilan radiatif de la planète, de manière à limiter le rayonnement solaire incident et ainsi à compenser l’effet de l’accroissement des gaz à effet de serre sur la température du globe. Cela ressemble à une solution désespérée, car pour l’heure on ne connaît pas, ou mal, l’efficacité et les éventuels effets secondaires des différentes techniques envisagées. Par ailleurs, elles nécessitent une mise en œuvre continue dont l’interruption momentanée ou définitive pourrait provoquer un réchauffement brutal aux effets dévastateurs.

Comment être certain de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C en 2100 ?

Il existe un plan A et des raisons d’espérer, comme en témoigne le développement massif des énergies renouvelables, dont le coût baisse chaque jour un peu plus, même si cette courbe pourrait s’inverser avec l’épuisement de certaines ressources nécessaires à la construction des panneaux solaires ou des éoliennes. Selon le rapport 1,5°C, limiter le réchauffement à 1,5°C à l’horizon 2100 est encore possible à condition de réduire dès maintenant et de manière drastique les émissions de CO2 : ceci d’environ 45% d’ici à 2030 par rapport à 2010 pour arriver à 0 émission en 2050 et ensuite passer en émissions négatives après 2050 [5].

Tout demi degré supplémentaire compte en termes d’impacts et ce rapport spécial a particulièrement étudié leurs différences entre un réchauffement global de 1,5°C versus 2°C.

Face à l’incertitude sur l’ampleur du réchauffement, y compris d’ici 2040, le principe de responsabilité devrait nous inciter à baser les politiques d’adaptation sur une trajectoire plus élevée et tout aussi plausible de réchauffement à court-terme, et à adopter des mesures de réduction des émissions d’autant plus fortes qu’un réchauffement au-delà des 3 ou 4°C d’ici la fin du siècle n’est toujours pas exclu.

Telle est la principale leçon du rapport 1,5°C : l’humanité a toujours son destin à portée de main, mais chaque année désormais compte et les décideurs actuels devront un jour rendre compte de leurs actes devant les jeunes générations.

Références

[1] Special Report : Global Warming of 1.5 ºC IPCC – GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), 8 octobre 2018 [Summary for Policymakers, page 6]

https://www.ipcc.ch/sr15/

https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2018/07/SR15_SPM_version_stand_alone_LR.pdf

[2] Le rythme du réchauffement climatique progresse, Réseau Action Climat, 02-06-2018

https://reseauactionclimat.org/rythme-rechauffement-climatique-progresse/

[3] Les pistes inexplorées pour ne pas dépasser les 1,5°C  – Le rôle du secteur des terres au cœur d’une action climatique ambitieuse, Alliance CLARA (Climate, Land, Ambition, and Rights Alliance), 2018

https://ccfd-terresolidaire.org/IMG/pdf/resume-executif-clara.pdf

Missing Pathways to 1.5°C – The role of the land sector in ambitious climate action, Dooley, K et al. (2018), CLARA

https://www.climatelandambitionrightsalliance.org/climate-science

[4] World Scientists’ Warning to Humanity : A Second Notice, William J. Ripple et al. et  15 364 signataires de 184 pays.. BioScience, Volume 67, Issue 12, 1 December 2017, Pages 1026–1028

https://academic.oup.com/bioscience/article/67/12/1026/4605229

L’alerte des scientifiques du monde à l’humanité : un deuxième avis

https://www.goodplanet.info/debat/2017/11/14/lalerte-scientifiques-monde-a-lhumanite-deuxieme-avis/

[5] Communiqué de presse du GIEC du 8 octobre 2018 : Approbation par les gouvernements du Résumé à l’intention des décideurs relatif au Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C

https://archive.ipcc.ch/pdf/session48/pr_181008_P48_spm_fr.pdf

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