Le GIEC dévoile un rapport spécial sur les océans et la cryosphère

Décryptage des grands enseignements du rapport spécial du GIEC, consacré aux océans, aux glaces, à la neige et aux sols gelés dans un climat qui change.

océans

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de publier un rapport spécial sur les océans et la cryosphère (les glaces, la neige et les sols gelés (pergélisol)) dans le contexte des changements climatiques [1]. Rédigé par plus de 100 experts internationaux, il synthétise les résultats de 7 000 études récentes publiées dans les revues scientifiques à comité de lecture.

Il donne au public les dernières informations sur la fonte des glaciers terrestres, du Groenland, de l’Antarctique, de la banquise, du manteau neigeux et du pergélisol ainsi que sur l’élévation du niveau de la mer, le réchauffement, l’acidification et la désoxygénation des océans, avec leurs impacts sur les productions marines et la biodiversité ; ceci en particulier au niveau de l’Arctique, des régions montagneuses et côtières.

Le réchauffement climatique est provoqué par les émissions de gaz à effet de serre (GES) à longue durée de vie (CO2, méthane…), issues principalement de la combustion des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) et du changement d’utilisation des terres (déforestation, retournement des prairies…). Les gaz à effet de serre accumulés dans l’atmosphère enserrent notre planète d’une manière homogène. Ils sont transparents à la lumière du soleil mais piègent une part des émissions infrarouges naturellement émises par la Terre et les renvoient vers elle (comme une serre), la réchauffant de manière durable. Ainsi, à cause des activités humaines, notre planète s’est réchauffée d’environ 1°C depuis 1850 [2].

Quels changements actuels pour l’océan et les glaces ?

A cause de sa grande inertie thermique – comparée à celle de l’atmosphère et des continents -, l’océan a absorbé plus de 90% de la chaleur emmagasinée par la Terre depuis 1970 ce qui provoque son réchauffement. L’effet de serre aurait été lui-même bien plus intense si l’océan n‘avait pas également absorbé une importante proportion du dioxyde de carbone (CO2) émis par les hommes : environ 20-30 % des émissions totales de CO2 depuis 1980 [a]. L’absorption de CO2 par l’océan provoque son acidification, phénomène néfaste pour certains écosystèmes marins. De plus, il y a une augmentation de la stratification de l’océan superficiel depuis 1970 qui réduit les échanges entre sa surface et ses couches profondes, ce qui diminue l’absorption d’oxygène et des éléments nutritifs. La circulation thermohaline de l’Atlantique nord, dont le Gulf Stream fait partie, s’est affaibli depuis 1850-1900.

L’augmentation de la température de la mer et/ou de l’air provoque une fonte de la neige, de la banquise arctique, des glaciers terrestres, de l’Antarctique et du Groenland.

La fonte des glaces continentales (glaciers, Groenland et Antarctique), accompagnée de la dilatation thermique de l’océan, ont pour conséquence la hausse du niveau de la mer. Celui-ci s’est élevé de 0,16 m entre 1902 et 2015. Depuis 2005, cette élévation s’accélère. L’élévation du niveau des océans peut varier régionalement de 30 % par rapport à la moyenne et se combiner avec l’augmentation des marées de tempêtes des cyclones tropicaux et extra-tropicaux, ce qui augmente les élévations extrêmes du niveau de la mer.

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Impacts du réchauffement sur les glaces et les océans

L’émergence de nouvelles conditions océaniques pour les organismes marins, du plancton aux mammifères, entraîne des changements dans leur physiologie, leur croissance, leur reproduction et leur survie, leur migration vers les pôles ou en altitude et des modifications dans la composition de leurs espèces végétales et animales. Certaines d’entre elles, y compris les espèces invasives, peuvent augmenter et d’autres, adaptées au froid ou dépendantes de la neige, sont menacées d’extinction. Les captures des pêcheries sont déjà affectées.

Dans l’Arctique ou en haute montagne, la diminution de la couverture neigeuse, le dégel du pergélisol et la fonte des glaciers transforment les écosystèmes et la composition des espèces et diminuent leur nombre et leur abondance. La stabilité des versants montagneux se réduit. Des changements dans le débit des rivières en aval sont observés depuis vingt ans.

Quelles conséquences pour ce siècle ?

Les régions de haute montagne, côtières et arctiques, ainsi que les systèmes marins, présentent un risque élevé à très élevé d’impacts négatifs (pertes de récifs coralliens, hausse de la mer due à la fonte du Groenland et de l’Antarctique…), en cas de températures mondiales approchant ou dépassant les 1,5°C à 2 °C d’augmentation de température par rapport à 1850. Ce réchauffement atteignant 1,5°C pourrait survenir dès 2030 [3] si le scénario actuel de fortes émissions de gaz à effet de serre (scénario RCP 8.5 [4]) se poursuit.

La neige aux altitudes moyennes pourra perdre jusqu’à 90% de sa masse d’ici la fin du siècle et les glaciers terrestres pratiquement la moitié de la leur, voire plus de 80% dans les régions où la couverture de glace est relativement faible. Les étés libres de banquise dans l’Arctique devraient être rares en cas de réchauffement global d’1,5 °C (scénario RCP2.6 de réduction ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre) mais ils seront fréquents en cas de fortes émissions. La tendance actuelle des niveaux records de températures du pergélisol devrait se poursuivre. Son dégel, qui augmente l’instabilité des sols, pourrait impacter 70 % des infrastructures (urbaines, rurales, extractives ou de transports) de l’Arctique d’ici 2050.

Le réchauffement de l’océan se poursuivra sur toute sa profondeur pendant des siècles ainsi que son acidification. Son pH pourrait baisser, en cas de fortes émissions, de 0,3 unité en 2081-2100 par rapport à 2006-2015, et devenir ainsi inférieur à 7,8 en 2100, ce qui correspond à plus d’un doublement de son acidité par rapport à 1850. Le taux d’oxygène de la mer pourrait diminuer de 3-4% en 2081-2100 par rapport à 2006-2015.

L’élévation moyenne du niveau de la mer pourrait atteindre, en cas de fortes émissions, 0,71 m en moyenne en 2081-2100  et, dans le pire des cas (i.e. moins de 17% de chance que cela n’arrive), 1,10 m en 2100 par rapport à 1986-2005, la fonte de certaines parties de l’Antarctique de l’ouest, alors irréversible, y contribuant de plusieurs dizaines de centimètres. La hausse du niveau marin pourrait alors atteindre la vitesse d’1,5 cm par an en 2100. Cette hypothèse, la plus pessimiste, pourrait, dans le pire des cas, aboutir à une élévation de 5,4 m en 2300, principalement du fait de la fonte de certaines zones de l’Antarctique.

GIEC – rapport spécial sur les océans et la cryosphère

Sans réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, la hausse du niveau des mers pourrait atteindre 1,10 mètres en 2100. 🔍 Décryptage : https://reseauactionclimat.org/rapport-giec-o

Publiée par Réseau Action Climat sur Mercredi 25 septembre 2019

Comme c’est déjà le cas aujourd’hui, la hausse de la mer ne sera pas uniforme. Elle pourrait atteindre, en cas de fortes émissions, 92 cm dans certaines régions en 2081-2100. De plus, pour certaines régions, cette élévation sera à rajouter à l’affaissement des côtes locales. C’est le cas de nombreuses mégapoles où le sol s’enfonce à cause du pompage de l’eau dans les nappes phréatiques. Ceci a pour effet d’augmenter l’élévation relative du niveau de la mer locale.

L’élévation du niveau de la mer se fera sentir particulièrement lors des tempêtes et des cyclones tropicaux, en augmentant les hauteurs d’eau extrêmes qui leur sont associés. Celles atteintes pour des évènements rares et intenses deviendront fréquentes, augmentant les dégâts annuels des inondations côtières de deux à trois fois d’ici 2100 par rapport à maintenant. De nombreuses petites îles et mégapoles connaitront d’ici 2050 de manière annuelle des élévations extrêmes du niveau de la mer qui étaient auparavant historiquement rares (i.e. moins d’une fois par siècle).

La production primaire marine sera modifiée, avec des répercussions sur la chaîne alimentaire et la biodiversité, avec une diminution de la masse totale des animaux marins qui pourra atteindre 15% d’ici 2100 par rapport à 1986-2005. Pratiquement tous les récifs coralliens des eaux chaudes subiront des pertes importantes voire des extinctions, y compris pour un réchauffement limité à 1,5°C, en particulier par leur érosion et leur dissolution par l’acidification des océans.

Les productions les plus impactées seront celles des mollusques et crustacés et la pêche dans l’océan tropical, ceci menaçant la sécurité alimentaire des communautés côtières de nombreux pays des tropiques et des atolls. La redistribution des stocks de poissons augmentera le risque de conflits entre pays ou régions.

La structure et le fonctionnement des écosystèmes de l’Arctique et de montagne vont changer, avec une plus grande variabilité dans la ressource en eau, qui pourra augmenter les extinctions d’espèces, et des impacts sur l’agriculture, l’hydroélectricité et le tourisme.

L’accroissement des populations sur les littoraux, la perte d’habitat naturel et la dégradation dues au développement côtier et à la pollution, continueront fortement à contribuer à la vulnérabilité croissante des communautés y vivant et des écosystèmes. L’élévation du niveau de la mer et les cyclones auront des impacts sur les zones côtières de basse altitude (inférieures à 10 m et hydrologiquement connectées à l’océan), surtout celles très peuplées et peu développées (certaines petites îles, des deltas, des côtes rurales…). Leurs écosystèmes, les moyens de subsistance et les infrastructures où vivent 680 millions de personnes seront affectés, avec des conséquences pour toute l’humanité.

Une adaptation possible à certaines conditions

La gestion de la surpêche, de la pollution, de la démographie et la pauvreté peut réduire considérablement la vulnérabilité des écosystèmes océaniques et des communautés humaines qui en dépendent.

L’adaptation aux nombreux impacts des changements climatiques sur l’océan et la fonte des glaces ne sera efficace qu’en cas de réduction ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre.

Les mesures d’adaptation des régions côtières, qu’il s’agisse du maintien de la ligne de côte ou de la relocalisation des personnes et des activités, vont de l’ingénierie des infrastructures bâties à leur intégration aux écosystèmes.

La restauration des habitats naturels, surtout ceux couverts de végétation (mangroves, herbiers marins…), peut soutenir la biodiversité et améliorer les services écosystémiques susceptibles de :

– maintenir les moyens de subsistance, en particulier les pêcheries,

– générer des avantages économiques,

– stocker du carbone,

– et aider à renforcer la résilience des communautés dépendantes des côtes et vulnérables à la hausse du niveau de la mer et aux phénomènes météorologiques extrêmes.

Références

[1] IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change)- GIEC, Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate (SROCC), septembre 2019 https://www.ipcc.ch/report/srocc

https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/3/2019/09/SROCC_PressRelease_FR.pdf

[2] Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C, Communiqué de presse, 8 octobre 2018

https://archive.ipcc.ch/pdf/session48/pr_181008_P48_spm_fr.pdf

[3] IPCC, Special Report, Global warming of 1.5°C, Summary for Policymakers (SPM), octobre 2018 (paragraphe SPM-A1)

https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2018/07/SR15_SPM_version_stand_alone_LR.pdf

[4] GIEC,  Changements Climatiques 2013 – Les éléments scientifiques, Résumé à l’intention des décideurs (RID)

Relation entre les augmentations globales de températures en 2100 et les scénarios d’émissions RCP : chapitre RID-E et figure SPM 7

https://archive.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg1/WG1AR5_SummaryVolume_FINAL_FRENCH.pdf

https://archive.ipcc.ch/report/graphics/index.php?t=Assessment%20Reports&r=AR5%20-%20WG1&f=SPM

Note

[a] La végétation terrestre absorbe aussi environ 25% du CO2 émis par l’homme, de sorte que seulement 50% de celui-ci reste dans l’atmosphère

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