PPE : Une copie à revoir pour changer de cap
Le projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) a été rendu public. Il fixe les orientations nationales pour la transition énergétique jusqu’à 2028. L’État semble décidé à ne pas respecter ses propres objectifs.
Le projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) a été rendu public. Il fixe les orientations nationales pour la transition énergétique jusqu’à 2028. L’État semble décidé à ne pas respecter ses propres objectifs, fixés notamment dans la loi de transition énergétique, comme le dénonçait déjà la demande formulée dans le cadre de L’Affaire du Siècle, le recours en carence fautive contre l’État. La contradiction entre les objectifs et les plans d’actions et moyens alloués est flagrante, avec peu de nouvelles mesures proposées, souvent remises à plus tard. Les consultations à venir seront l’occasion d’apporter les améliorations nécessaires pour la version définitive.
Pour Morgane Creach, Directrice du Réseau Action Climat :
« Le projet de PPE met au rebut la loi sur la transition énergétique votée en 2015. Les reculs ne concernent pas seulement l’objectif de 50 % de nucléaire, mais aussi celui sur la baisse de la consommation d’énergie, au détriment du pouvoir d’achat des ménages. Un réel pilotage des politiques climat et énergie nationales doit être mis en place, en lien avec la société civile et avec l’objectif d’une transition juste, pour remettre la France sur les bonnes trajectoires et y rester. »
Pour Célia Gautier, Responsable Climat Énergie à la FNH :
« Malgré les 2 millions de signataires de l’Affaire du siècle, qui demandent sans détour plus d’action climatique de la part de l’Etat, le gouvernement ne change pas de logiciel : les objectifs et mesures de réduction de la consommation d’énergie, indispensables à la lutte contre le changement climatique, sont revus à la baisse. Le statu quo nucléaire, qui pénalisera durablement les énergies renouvelables, est confirmé. Les mesures pour sortir les citoyennes et citoyens de la dépendance au pétrole ne sont pas au rendez-vous. Conclusion : l’Etat doit revoir sa copie, dans la PPE, comme dans les textes qui suivront, par exemple la Loi d’orientation des mobilités. Sur le climat, la stratégie des petits pas n’est plus acceptable. »
Pour Pierre Cannet, Responsable des programmes Climat et Énergie au WWF France :
“La transition énergétique apparaît comme une réponse aux crises que traverse actuellement notre pays. Alors que tous les voyants scientifiques poussent à l’accélérer, le projet de PPE remis ce jour marque un ralentissement général de l’engagement de la France sur ce plan. S’il est acté tel quel par le gouvernement, ce recul risque de piéger l’ensemble des Français, en particulier les plus précaires, dans leur dépendance aux énergies fossiles pour la décennie à venir.”
Pour Cécile Marchand, chargée de campagne climat aux Amis de la Terre :
« Cette PPE est le projet de tous les reculs. Il marque clairement le manque de courage politique de ce gouvernement face à l’urgence climatique. Le revirement de situation sur l’objectif de fermeture des centrales à charbon est l’estocade finale portée à la crédibilité de Macron à l’international, qui en faisait l’une de ses mesures phares pour prétendre à la place de leader climatique. Le gouvernement rate une fois de plus le coche de donner un cap clair en maintenant le flou sur les dates de fermeture des centrales à charbon et en ouvrant grand la porte à des projets de reconversion fumeux. »
Pour Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER – Réseau pour la transition énergétique
“Le projet de PPE confirme que le gouvernement n’a pas écouté les conclusions du débat public, les nombreuses propositions des divers acteurs engagés et surtout l’aspiration des citoyens pour rendre la transition énergétique réelle et accessible à tous.Au contraire, cette PPE va à contresens :
– elle recule sur les objectifs d’efficacité énergétique et de résorption de la précarité énergétique
– elle freine le développement des filières d’avenir comme le gaz renouvelable ou l’éolien offshore
– elle creuse encore le fossé entre les discours et les actes sur la performance énergétique des bâtiments
– elle dédaigne manifestement les territoires et les aspirations citoyennes.
Le CLER – Réseau pour la Transition énergétique défendra une voix alternative à l’occasion des dernières étapes de consultation et appelle au sursaut nécessaire pour que la version définitive de la PPE réponde aux besoins des Français, actuels et à venir.”
Pour Clément Sénéchal, chargé de campagne climat pour Greenpeace France :
“Malgré les marches inédites pour le climat et le recours juridique initié contre l’état pour inaction climatique, Emmanuel Macron persiste et signe : il ne respectera pas les objectifs de la France concernant la transition énergétique. Il préfère céder au lobby nucléaire d’EDF plutôt que de développer massivement les énergies renouvelables. Une posture unilatérale, arc-boutée sur des intérêts industriels dangereux, qui freine toute l’action climatique européenne. »
Pour Adeline Mathien, coordinatrice Energie pour France Nature Environnement :
“Bien que les objectifs de développement des ENR soient louables (et encore, hormis Eolien offshore) cette PPE propose des mesures sans réelle portée sur la réduction des consommations et des émissions de gaz à effet de serre. Cette PPE prive encore un peu plus les Français de voir arriver une réelle transition énergétique qui réduirait leurs factures, améliorerait la qualité de leur air, les sortirait de la précarité énergétique, les aiderait à sortir de la dépendance à la voiture. A croire que le gouvernement aime finalement bien encore trop l’ancien monde.”
Notre analyse
Une rénovation des logements
L’objectif de 500 000 rénovations performantes ou très performantes par an est confirmé. Pour autant, il ne paraît pas crédible. Nous sommes très loin de ce chiffre actuellement (avec moins de 300 000 rénovations par an) et peu de mesures nouvelles sont annoncées :
- L’inscription de l’audit énergétique gratuit pour les ménages modestes propriétaires de passoires est un bon point, mais son obligation avant la mise en location ou lors de la mutation d’un logement F ou G est prévue seulement en 2021. Par ailleurs, une obligation d’audit n’est en rien une obligation de travaux pour les bailleurs de passoires énergétiques qui pourront donc continuer à les louer.
- Dans le même esprit, si le CITE est élargi aux bailleurs privés sans conditions la mesure pourra être considérée comme injuste car les aides avantageraient ceux qui, pour la plupart, n’en ont pas besoin. Par ailleurs, l’éco-PTZ pourra s’appliquer pour des travaux simples, sans bouquet, en contradiction avec l’objectif de rénovations performantes et en l’absence d’incitation à la réalisation de travaux complémentaires.
- Enfin, l’Etat continue à ne pas appliquer ses propres engagements fixés dans la loi puisque la mise en place d’un Service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH), prévu par la loi de transition énergétique de 2015, n’est pas évoquée. Ce service permettrait aux ménages français d’avoir un guichet unique pour se faire conseiller et financer localement dans leurs travaux de rénovation.
Centrales à charbon
Une fois de plus, le gouvernement recule sur la transition énergétique, en lâchant du leste sur l’objectif de sortie du charbon d’ici 2022. Ce recul va clairement atteindre la crédibilité de la politique climat de la France sur la scène internationale. Il fait suite aux derniers rebondissements sur l’avenir de la centrale à charbon de Cordemais, qui pourrait tourner au delà de 2022 avec 20% (ou plus, puisque rien n’est précisé) de charbon. Les formulations utilisées ouvrent potentiellement la porte à un recul sur les autres centrales à charbon.
Remplacer le charbon par de la biomasse dans les centrales thermiques n’est pourtant pas une solution pour le climat. Le projet de reconversion de la centrale de Cordemais comporte encore de nombreuses zones d’ombre : faisabilité industrielle d’utilisation des déchets bois, gisements précis identifiés et concurrence des usages, pollution de l’air, nombre d’heures de fonctionnement et nombre d’emplois conservés … Lui ouvrir aussi grand la porte sans garanties claires, ni débat public transparent est un affront.
Mobilité
La PPE se fixe des principes pour se déplacer moins, mieux et autrement. Intention louable… Cependant, comme sur la rénovation énergétique des logements, la PPE ne donne pas à la France les moyens d’appliquer ces principes, et donc d’atteindre ses propres objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur le plus contributeur au dérèglement climatique.
- Pour aider au changement de moyen de transports des Françaises et des Français vers les alternatives moins polluantes, les mesures demeurent facultatives. C’est le cas du remboursement des trajets domicile travail faits à vélo, qui restera une démarche anecdotique dans les entreprises, tant que tous les salariés n’y auront pas droit.
- D’autres mesures nécessaires pour tenir les objectifs sont carrément absentes : par exemple la PPE ne remet pas en question les avantages fiscaux accordés au transport aérien ou au transport routier de marchandises, dont la taxe sur le diesel est beaucoup moins élevée que celle payée par les automobilistes.
- La transformation lente des flottes de véhicules est déconnectée de la réalité climatique et économique. En effet, les automobilistes devraient bénéficier d’une pénétration plus forte et plus rapide de véhicules beaucoup plus économes (électriques, biogaz) pour sortir de la dépendance des énergies fossiles.
- Le système de primes à la conversion présenté comme une mesure phare de la PPE devrait évoluer pour d’une part cesser de subventionner l’achat de véhicules qui maintiennent les Français dans le piège du pétrole, mais également pour sortir du tout-voiture en incitant à d’autres moyens de transports plus écologiques et économiques comme le vélo à assistance électrique ou l’autopartage.
La Loi d’orientation des Mobilités, examinée en mars au Sénat, devra rectifier le tir.
Évolution de la composante carbone
Le projet de PPE indique qu’une nouvelle trajectoire pour la composante carbone doit être définie jusqu’à 2022, ainsi que sur la 2ème période de la PPE (2028). C’est un point important et positif. Une fiscalité carbone progressive doit être restaurée, mais elle devra être plus juste : intégrer tous les secteurs concernés comme l’aviation par exemple, mais aussi utiliser les recettes pour développer à la fois des alternatives, notamment en matière de mobilité, de rénovation des logements et d’accompagnement dans les territoires et à la fois l’aide transitoire pour les ménages modestes les plus touchés et qui n’ont pas accès à une alternative immédiate.
Nucléaire
La PPE évoque le besoin de résilience de notre système électrique et le risque d’effet falaise avec la fermeture possible de plusieurs réacteurs nucléaires en même temps. Pour autant, elle en reste aux mêmes échéances que les annonces faites le 27 novembre et ne donne aucune perspective pour les 44 réacteurs restant en activité après 2035. L’attentisme du gouvernement aboutira donc à avoir des réacteurs qui atteindront au moins 49,3 ans de fonctionnement en moyenne en 2035, et suppose la prolongation d’au moins 10 réacteurs au-delà de leur 5ème visite décennale. Par ailleurs, le projet de décret prévoit le maintien de la filière de retraitement des combustibles au moins jusqu’en 2040 et le moxage des réacteurs 1300 MW. Ce scénario est hautement improbable : les piscines d’entreposage de combustible contiennent environ 10 000 tonnes de combustible usé et arriveront à saturation avant 2030. Par ailleurs, l’usine de La Hague, vieillissante et fragilisée par des avaries, ne sera pas en mesure de retraiter les combustibles jusqu’en 2040. La filière de retraitement est à bout de souffle, coûteuse et contribue à l’accumulation de déchets et matières dangereuses et radioactives. Quand au moxage des réacteurs 1300 MW, leur référentiel de sûreté n’a pas été étudié pour ça et les études et modifications techniques nécessaires rendent cette option très difficilement réalisable.
Energies renouvelables
La PPE confirme le choix de développer les filières matures d’énergies renouvelables, et de sacrifier les filières en développement comme l’éolien en mer ou la méthanisation. Ainsi, l’éolien en mer posé qui se développe depuis plusieurs années chez nos voisins est jugé trop coûteux en France et ses objectifs sont faibles. Quant à l’éolien flottant, qui est une filière émergente avec un potentiel important, alors que nous attendions les premiers appels d’offres dès 2019, ils sont prévus pour 2021 seulement.Quant à la méthanisation, elle devrait être soumise à appels d’offres alors que cette filière n’est pas encore assez mature pour ce type de procédure.
Système électrique
La synthèse de la PPE ne donne aucune transparence sur le bilan électrique. La consommation d’électricité devrait baisser d’après tous les scénarios de RTE d’ici 2028, même avec un fort développement du véhicule électrique. Est-ce bien ce chemin que prend la PPE ? Par ailleurs, l’essor prévu des renouvelables et le nombre réduit de réacteurs nucléaires fermés vont conduire à une surcapacité. La PPE mise sur un triplement des exportations d’ici à 2028. Si ce pari ne se transformait pas en fait, le prix de marché de l’électricité serait amené à baisser, mettant en péril la rentabilité des producteurs d’électricité, en premier lieu EDF.,Par ailleurs, la PPE précise bien que “le système électrique reste très exposé à la demande de pointe en raison du développement passé important du chauffage électrique. La croissance de la pointe s’est ralentie mais pourrait augmenter à nouveau,en raison de l’effet cumulé de l’électrification des bâtiments et des véhicules”.,Pour autant, aucune mesure concrète n’est proposée pour réduire la pointe électrique, notamment via la rénovation énergétique des logements et le remplacement des convecteurs électriques, le mode de chauffage le plus coûteux pour les ménages, par un autre système.
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