Plan sobriété : un amuse-bouche qui nous laisse sur notre faim
Enfin une journée où on parle de sobriété ! Hier, le Gouvernement a présenté son plan officiel pour réduire la consommation d’énergie. Réponse d’urgence pour prévenir le black out cet hiver ou véritable changement de trajectoire pour la politique énergétique et environnementale du gouvernement ?
Pour en avoir le cœur net, nous avions publié 8 conditions à respecter pour une sobriété efficace, ambitieuse, et socialement équitable.
Une chose est certaine, la sobriété n’est plus un choix : après des années d’inaction climatique, la France doit mettre les bouchées doubles et entamer dès à présent un virage fort vers la sobriété dans tous les secteurs tout en agissant pour éradiquer la précarité. Qu’en est-il de ce qui nous est présenté par le gouvernement ?
Parmi les lignes de forces de ce plan qui a vocation à donner des directives aux citoyens, collectivités, Etat et entreprises sur les bonnes pratiques à adopter, on retrouve par exemple la limitation du chauffage, un coup de pouce au covoiturage, la limitation des déplacements professionnels, la diminution de la lumière dans les magasins… Quelques bonnes mesures ressortent comme le report des trajets en avion vers le train quand l’alternative existe en moins de 4h…
Malheureusement sur la majorité de nos conditions les propositions ne sont pas à la hauteur de l’enjeu global. Là où le Plan du Gouvernement montre des pistes intéressantes pour passer l’hiver, pour mettre en place des mesures de “bon sens” il reste aveugle par rapport à la nécessité d’un changement de paradigme concernant nos modes de consommation. De plus ce plan n’a aucune portée contraignante, y compris sur les plus gros pollueurs.
🔴 Condition n°1: Une sobriété socialement juste et équitable
Un Plan sobriété sans lutte contre la précarité
“Pas de sobriété ajoutée à celles et ceux qui y sont déjà contraints », martèle Stanislas Guérini devant le parterre de la Porte de Versailles. Le plan qu’il présente lui donne pourtant tort. En ne ciblant pas les plus précaires, le bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie (remise à la pompe et factures de chauffages) ne permet pas de lutter efficacement contre la précarité. Alors que de nombreux foyers vivent depuis longtemps une sobriété contrainte (12 millions de français souffrent de précarité énergétique) ils auraient au contraire besoin d’un accompagnement renforcé… qui n’arrivera pas avec ce plan.
Sans volonté structurelle de réhausser minimas sociaux et bas salaires, le souhait gouvernementale de mettre à mal la précarité restera un vœu pieux. Parmi les grands absents de ce plan, on trouve également la taxation des superprofits, qui aurait pourtant permis le financement d’une telle mesure. Dommage.
Le système de bonus sobriété sur les factures de gaz et d’électricité, en fonction du niveau de consommation du logement, qui est proposé par certains fournisseurs d’énergie peut soulager le portefeuille de certains familles – sous condition que l’offre est bien transparente. Sinon à la place de bénéficier d’une baisse de 30% en période hors pointe avec EDF, la facture peut se doubler lors d’une consommation d’électricité en période tendu.
Aussi il ne s’agit pas d’une mesure gouvernementale car les propositions varient d’un fournisseur à l’autre ce qui nuit à la lisibilité…
🟠 Condition n°2. Une sobriété au-delà du passage de l’hiver
Un discours de long terme, mais des mesures d’urgence
Si la sobriété est présentée par les ministres comme un levier pour respecter les objectifs climatiques et énergétiques de la France.
Un propos affirmé par Matignon qui souligne un changement qui ne relève pas seulement de la conjoncture. Pourtant, la présentation d’hier ne laisse pas planer de doute : le gouvernement se met en ordre de marche pour une sobriété qui ne poursuit qu’un objectif ; éviter à tout prix les coupures d’électricité et de gaz cet hiver. De quoi craindre un retour à la normale dès le printemps prochain.
🔴 Condition n°3. Une sobriété des consommations en général et de tous les secteurs
La sobriété gouvernementale reste cantonnée à la consommation d’énergie.
“On ne va pas demander à nos concitoyens de rouler à 110 km/h” déclare un Stanislas Guerini satisfait de ce qu’il pense être un bon trait d’esprit. Plutôt d’un aveu d’être absolument à côté de la plaque s’agissant de la portée que devraient avoir un véritable Plan de sobriété. Dommage de rire d’une mesure qui permet de réduire de 20% sa consommation de carburant sur un même trajet. D’une mesure structurante, nous passons donc à une simple incitation, qui ne concerne que les agents publics
Une fois de plus, en se concentrant surtout sur la consommation d’électricité et de gaz, le gouvernement illustre sa pensée court-termiste. De ce fait, il ne s’attaque pas aux grands axes de la transition écologique que sont la sobriété dans les transports : rouler moins vite, avec des voitures moins lourdes, et prendre moins les transports les plus polluants comme l’avion. Même son de cloche pour l’alimentation où la sobriété la plus efficace concerne la baisse de produits animaux. Aucune mesure n’a été évoquée pour le secteur agricole et pourtant l’agriculture intensive fonctionne en effet sous perfusion d’intrants fossiles et d’intrants toxiques, tels que les pesticides de synthèse et les engrais azotés produits à partir de gaz fossile. Les cultures sous serre chauffée, parfois à contre-saison pendant l’hiver, consomment également beaucoup d’énergie fossile… Tant de gisements d’économies d’énergie pas abordés.
🟠 Condition n°4. Un accompagnement des citoyens, entreprises et collectivités à la hauteur
De la sensibilisation mais peu d’accompagnement
La mise en place d’une “météo énergie” indiquant l’état du réseau électrique et d’une campagne de sensibilisation sur les gestes individuels seront deux des actions du gouvernement à destination des citoyens. Mais pas d’accompagnement personnalisé des ménages de prévu notamment dans la durée.
Or le changement des comportements se fait dans la durée. Sans prolongement des actions de sensibilisation, des incitations et accompagnements techniques il sera difficile de passer le cap entre la motivation à court terme de passer un hiver sans coupures et un changement durable des comportements.
Hier on sentait un enthousiasme généralisé d’avoir découvert un gisement d’économies d’énergies presque gratuit, une sorte de solution miracle… Un mot tabou « la sobriété » considérée amish et ringard c’est transformé en bouée de secours. Cependant on peut avoir des doutes sur l’accueil de la campagne de sensibilisation. Venant du haut sans véritablement adresser ni le sentiment d’injustice sociale ni l’impunité des riches qui continuent à gaspiller face à la demande de se serrer la ceinture. Un scandale de jet privé de plus suffira pour faire partir en fumée l’efficacité de la campagne du Gouvernement…
🔴 Condition n°5. L’arrêt des contradictions du gouvernement
Pas de questionnement de nos modes de consommation
Si les messages de l’État incitent à réduire la consommation, mais que la publicité incite au contraire à consommer davantage, les résultats ne pourront être au rendez-vous. L’arrêt des panneaux publicitaires en cas de tension sur le réseau et pendant la nuit (entre 1h et 6h) représente une mesure emblématique mais le Gouvernement s’arrête malheureusement là.
Le sujet de l’interdiction de la publicité pour les produits polluants est tristement un énième trou dans la raquette.
Le fait que les mesures de sobriété proposées restent pour une bonne partie assez indolores et ne nécessitent pas un questionnement des modes de consommation représente un atout pour l’acceptabilité immédiate. Cependant le plan du Gouvernement rate l’occasion de mettre en cohérence nos modes de vie et nos consommations avec les limites de notre planète.
🟠 Condition n° 6. Un suivi des engagements de sobriété
Pas de reporting global obligatoire mais un risque de greenwashing
Le Gouvernement s’engage à régulièrement faire des points d’avancement : “En fonction de notre consommation et la météo de l’énergie, nous saurons alors si nous avançons au bon rythme et dans la bonne direction”. Les entreprises s’engagent à utiliser des outils de pilotage, suivi et mesure en temps réel des consommations énergétiques.
Cependant aucun suivi de mesures d’une manière centralisée n’est envisagé. Au vu de la nature volontaire des engagements, cela ouvre la porte au greenwashing et comporte le risque de se trouver devant des belles paroles et pas des économies d’énergie réelles.
Pour augmenter la crédibilité et durabilité des engagements, les grandes entreprises devraient se plier à un reporting obligatoire sur la diminution des consommations énergétiques dues à des mesures de sobriété énergétique additionnelles.
🟠 Condition n°7. La sobriété et l’efficacité énergétique accélérées ensemble
L’absence de réflexion pour l’efficacité énergétique
Le Gouvernement manque de construire le lien avec les mesures pour améliorer l’efficacité énergétique (comprendre, rendre nos pratiques et biens moins énergivores). En tête du classement, la rénovation performante des bâtiments, pour laquelle les moyens mis sur la table par le gouvernement restent encore inférieurs aux besoins.
🔴 Condition n°8. Une consommation moindre, mais de meilleure qualité
Le triptyque de la campagne de sensibilisation annonce : Je baisse, j’éteins, je décale. Qu’en est-il de “j’améliore”. L’absence de la perspective d’une consommation moindre mais de meilleure qualité est fâcheuse à deux égards : le premier est de l’ordre de l’idée que l’on se fait de la sobriété. Puisque celle-ci doit s’inscrire dans le long terme, il n’est pas question de l’envisager comme une punition ou un rationnement, mais au contraire comme l’amélioration de conditions de vie. Cela passe par exemple par une alimentation moins carnée mais de meilleure qualité.
Le second égard concerne une absence de soutien à la production locale et de qualité : consommer mieux induit de soutenir un système productif alternatif aux voies de l’intensif et de l’industriel : c’est le cas dans l’agriculture avec le soutien au bio et aux pratiques agro-écologiques par exemples, c’est aussi le cas pour l’énergie avec le soutien aux projets citoyens d’énergies renouvelables.
En bref
On reste donc malheureusement sur un plan de sobriété court termiste qui comporte cependant un potentiel de baisse des consommations énergétiques important mais pas de réel cap vers une transition écologique qui implique une mise en question de nos modes de consommation et de production.
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