Normandie : La mer grignote la côte

Fortes chaleurs, sécheresses, fonte des glaciers, inondations... Le Réseau Action Climat propose un panorama des conséquences du changement climatique dans toutes les régions de France. Quelles sont les impacts qui concernent la Normandie ?

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© Sameer Al-Doumy - AFP

Submersions et érosion : le littoral perd du terrain

Avec sa population et ses activités fortement concentrées sur les côtes ainsi que sur les bords de la Seine et de l’Orne, la Normandie est particulièrement exposée aux aléas climatiques qui menacent les littoraux. Ces espaces sont très variés dans la région, entre falaises de craie ou de granit, plages de galets ou de sable, dunes, estuaires, zones humides… Mais tous font face à la hausse du niveau de la mer et ses conséquences. Due à la hausse des températures (par dilatation thermique de l’eau) et à la fonte des glaciers terrestres, la montée des eaux évolue de façon exponentielle à l’échelle mondiale. Son rythme est passé de 1,9 mm/an entre 1900 et 1993 à 5 mm/an entre 2011 et 2018[1], et continuera d’augmenter à une vitesse qui dépendra de nos futures émissions de gaz à effet de serre. Estimée à +20 cm aujourd’hui en Normandie (par rapport à 1850-1900), cette hausse pourrait atteindre jusqu’à 1 mètre supplémentaire dès 2100, avec des répercussions désastreuses. Les forts coefficients de marée (110-115) qui se répètent actuellement 3 à 4 fois par an pourraient être atteints 65 fois par an avec une élévation du niveau de la mer de 1 mètre dans la Manche occidentale et orientale.

Cela se traduit par des inondations marines de plus en plus fréquentes, pouvant affecter les habitations, infrastructures et zones agricoles proches du littoral. De nombreuses communes côtières de la Manche, du Calvados et de Seine-Maritime sont concernées par ce risque qui menace déjà plus de 111 000 logements, 122 000 résidents et 54 000 emplois.


Territoires normands sous divers niveaux marins de référence[2]

Les risques liés aux submersions ne concernent toutefois pas que les zones littorales, puisque des inondations peuvent être provoquées loin dans les terres à travers une progression de l’eau par les fleuves. Cela bloque les écoulements fluviaux et peut provoquer des débordements, à l’image des inondations qui ont touché Rouen en 2018, par l’effet conjugué d’une crue, des précipitations et de la marée[3].

Une autre conséquence liée à l’élévation du niveau de la mer est l’accentuation de l’érosion, déjà marquée sur les côtes Normandes. Deux tiers des côtes de la région sont déjà en érosion, avec un rythme moyen de 20 à 25 cm par an pour les falaises sédimentaires. Cette vitesse peut atteindre 40 cm/an dans certaines zones comme la côte d’Albâtre en Seine-Maritime, dont les falaises de craie sont particulièrement vulnérables. Plus le niveau de la mer sera élevé, plus ce phénomène d’érosion sera marqué, entraînant une disparition de certaines plages et donc une exposition accrue du bâti situé en zone côtière aux vagues de houle et aux submersions. Pour les falaises de craie, la vitesse de recul du trait de côte déjà très élevée devrait doubler. Sachant que le niveau de la mer continuera d’augmenter pendant plusieurs siècles à millénaires quel que soit le scénario d’émissions, la relocalisation des zones les plus exposées semble inéluctable.

Par ailleurs, si un lien clair entre changement climatique et intensification des tempêtes reste à démontrer, la combinaison entre ces épisodes extrêmes et l’élévation du niveau de la mer accentue les conséquences sur le littoral, avec des inondations et une accélération du recul du trait de côte qui peut atteindre quelques dizaines de mètres en un seul événement.

Les écosystèmes marins en danger, la pêche impactée

En plus des littoraux, le milieu marin est lui aussi fortement impacté par le changement climatique. Les eaux de la Manche se sont réchauffées depuis d’environ +1 °C depuis le début du siècle[4], avec d’importantes répercussions pour les différentes espèces aquatiques : poissons, coquillages, crustacés, plancton… En plus de l’élévation de la température moyenne, les vagues de chaleur marines sont de plus en plus fréquentes et intenses, favorisant le développement de certains pathogènes et provoquant des épisodes de mortalité massive. En parallèle, on constate une acidification des océans avec des conséquences dramatiques pour les espèces marines. À Luc-sur-mer (Calvados), le pH a chuté de manière alarmante depuis le début du siècle (-0.26 entre 2006 et 2020), descendant pour la première fois sous le seuil de 8. Au-delà d’une certaine valeur (par exemple 7.2 pour les oursins), cela peut entraîner un effondrement de la population de certaines espèces.

Pour la Normandie, deuxième région française pour la pêche maritime, cela représente aussi une profonde remise en question des modèles de la pêche et de la conchyliculture (culture de coquillages). Pour certaines espèces, les impacts sont déjà largement visibles : les stocks de cabillaud par exemple se sont effondrés depuis le début des années 2000, malgré la pêche presque totalement interrompue dans la région. Les bulots, dont la reproduction est conditionnée par la température, ont été décimés lors de l’été record de 2022 : dans la baie de Granville, la récolte de 2022 a été plus de 4 fois moins importante que celle de 2021[5] (14 tonnes contre 62 tonnes), un phénomène qui a de plus en plus de chances de se reproduire. Les huîtres, perturbées dans toutes les étapes de leur cycle reproductif, sont également impactées. Pour les décennies à venir, les projections indiquent la poursuite de cette diminution des espèces d’eaux froides à tempérées (bulot, hareng, plie, maquereau, cabillaud…), remplacées par des espèces d’eaux plus chaudes (calmars, mérous, daurades…). Si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, les populations des espèces majeures de la pêche normande, comme la coquille Saint-Jacques et le bulot, pourraient fortement chuter voire disparaître. Au-delà du secteur de la pêche, c’est l’ensemble de la biodiversité marine qui est touchée par les conséquences du changement climatique, avec des perturbations des espèces, de leurs cycles naturels et des répercussions sur tous les services écosystémiques (alimentation, protection contre les aléas naturels, contre l’érosion, stockage du carbone…).

La plus grande région agricole en crise

La Normandie ne se résume pas à sa bordure marine : il s’agit par ailleurs de la première région agricole française en termes de surface, avec 2 millions d’hectares qui couvrent 70 % du territoire de la région.Diversité des paysages et des activités agricoles sur le territoire Normand[6]

Certaines cultures, comme la betterave, sont plutôt favorisées par le changement climatique. Néanmoins, la plupart des systèmes agricoles sont menacés par ses conséquences. Première raison : l’augmentation des épisodes de sécheresse, en nombre et en intensité, due à l’effet cumulé de la diminution des précipitations l’été (jusqu’à – 27 % de précipitation en 2100 dans le scénario le plus pessimiste) et de la hausse des températures – et donc de l’évapotranspiration[7]. La disponibilité en eau douce devrait diminuer, avec une baisse des débits des cours d’eau de 10 à 30 % d’ici 2100 selon les scénarios[8] ; de même pour la recharge annuelle des nappes phréatiques de 15 à 30 %. Cela devrait entraîner des conflits d’usages de plus en plus importants, avec des restrictions plus fréquentes et plus fortes. De plus, les zones proches des littoraux sont confrontées à la salinisation des eaux, causée par la diminution du niveau des nappes et la hausse du niveau de la mer. Certaines zones comme les vallées de l’Orne et de l’Aure et la côte ouest du Cotentin sont déjà impactées par ce phénomène qui devrait s’aggraver avec la montée des eaux marines.

Le secteur agricole va donc devoir s’adapter à ce contexte marqué par une augmentation des périodes de stress hydrique alors que les besoins en eau devraient eux aussi être à la hausse (pour les usages domestiques, industriels, agricoles…). La culture du maïs, qui a pourtant progressé dans la région depuis les années 1980, devrait ainsi être contrainte par les besoins en eau qu’elle nécessite. Les grandes cultures sont de plus soumises à un risque d’échaudage[9] en période de forte chaleur, en particulier dans les départements de l’Eure, de l’Orne et de la Seine-Maritime. Les cultures d’élevage ne sont pas épargnées, puisque le bétail est également menacé par le stress hydrique et par des déficits de fourrage.

D’autres facteurs viennent s’ajouter à ces éléments : la destruction de terres cultivables par érosion ou par inondation (submersion, débordement, ruissellement), l’intensification des épisodes de précipitations extrêmes entraînant des pertes agricoles, ou encore l’exposition accrue aux ravageurs et pathogènes, favorisés par la hausse des températures et faisant plus de dégâts en période de sécheresse.

Pour conclure, notons que la Normandie, comme l’ensemble des régions de France, subira une augmentation du nombre de jours de fortes chaleur (> 25 °C), de moins de 15 jours aujourd’hui à plus de 40 jours d’ici 2100 selon le scénario pessimiste[10]. Ces épisodes de canicule sont particulièrement marqués dans les zones éloignées des littoraux : d’ici la fin du siècle, les secteurs les plus éloignés de la Manche connaîtront de 60 à 90 jours de chaleur par an. Au-delà de l’inconfort, cela représente de vrais risques en termes de santé publique : déshydratation, hyperthermie, aggravation de maladies chroniques… en particulier pour les personnes fragiles. Les personnes âgées et jeunes enfants sont les plus exposés, mais les facteurs socio-économiques ont également une importance majeure : l’isolation des logements, l’accès à des espaces verts, l’isolement, l’exposition à la pollution sont des facteurs de risques déterminants. La Normandie devra s’adapter à ces nouvelles conditions climatiques pour se préparer à l’accentuation de l’ensemble de ces risques avant qu’il ne soit trop tard.

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Sources

[1] GIEC Normand – Systèmes côtiers – Risques naturels et restauration des écosystèmes

[2] GIEC Normand – Systèmes côtiers – Risques naturels et restauration des écosystèmes

[3] Le Monde – Autour de Rouen, les riverains de la Seine inondés sous le double effet de la crue et de la marée haute

[4] GIEC Normand – Pêche et conchyliculture

[5] Reporterre – Les bulots cuits par le changement climatique

[6] GIEC Normand – Sol,  agronomie et agriculture

[7] Voir lexique

[8] GIEC Normand – L’eau – Disponibilité, qualité, risques naturels

[9] Voir lexique

[10] GIEC Normand – Changement climatique et aléas météorologiques

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