L’ONU alerte sur la répression croissante des défenseurs de l’environnement en Europe

Selon un rapport de Michel Forst, Rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement, publié le 28 février 2024, le niveau de répression politique, policière et judiciaire contre les défenseurs de l’environnement, dans plusieurs pays européens est alarmant.

FRANCE - TENSIONS ON THE CREM ZAD ZONE BETWEEN OPPONENTS OF THE A69 HIGHWAY AND THE POLICE
France, 2024-02-18. Mobilization in support of the ZAD Crem Arbre and the squirrels protecting the trees whose access has been blocked by the forces of law and order since Thursday February 15, following the evacuation of activists and zadists opposed to the construction of the A69 freeway. Photograph by Antoine Berlioz / Hans Lucas. France, Saix, 2024-02-18. Un militant devant les gendarmes mobiles tient une pancarte : Non A69. Mobilisation en soutien a la crem Arbre et aux ecureuils protegeant des arbres dont l acces est nasse par les forces de l ordre depuis jeudi 15 fevrier, apres evacuation des militants et zadistes s opposant a la construction de l autoroute A69. Photographie Antoine Berlioz / Hans Lucas. (Photo by Antoine Berlioz / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Avec des exemples précis de la répression notamment contre les actions de désobéissance civile, Michel Forst enjoint les États à prendre rapidement des mesures pour protéger les droits humains et s’attaquer aux racines des problèmes environnementaux.

 

« L’urgence environnementale à laquelle nous devons collectivement faire face et que les scientifiques documentent depuis des décennies, ne pourra pas être réglée si ceux qui tirent la sonnette d’alarme et exigent des mesures sont criminalisées pour cette raison. La seule réponse légitime au militantisme environnemental et à la désobéissance civile pacifique, c’est que les autorités, les médias et le public réalisent à quel point il est essentiel pour nous tous d’écouter ce que les défenseurs de l’environnement ont à dire. »

 

Michel Forst, Rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement

Encadré – le Rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement c’est quoi ?

Ce poste a été créé par l’ONU en octobre 2022 dans le cadre de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Le rôle de Michel Forst est de s’assurer, comme le prévoit ce texte, que «les personnes exerçant leurs droits» ne soient pas «pénalisées, persécutées ou harcelées de quelque manière que ce soit en raison de leur implication» (paragraphe 3 de l’article 8).  Il s’agit du premier mécanisme international visant spécifiquement à protéger les défenseurs de l’environnement à être établi dans un cadre juridiquement contraignant, que ce soit dans le cadre du système des Nations unies ou d’une autre structure intergouvernementale.

Face à l’urgence climatique, la désobéissance civile s’intensifie….

Dans le cadre de l’Accord de Paris en 2015, les États se sont engagés à prendre les mesures nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Pourtant, à ce jour, les gouvernements européens n’ont pas été assez ambitieux et ils continuent de prendre des décisions qui contredisent clairement les recommandations précises et urgentes des scientifiques.

En raison du sentiment légitime d’urgence croissant et de la réponse inadéquate des gouvernements, “les défenseurs de l’environnement”, en plus d’autres formes d’engagement politique, ont de plus en plus recours à des formes de protestation pacifique susceptibles de perturber l’espace public, telles que l’occupation de sites de construction, des marches lentes ou encore des barrages routiers qui créent des embouteillages. Bien que pacifiques, ces formes de protestation, parfois qualifiées de désobéissance civile, attirent considérablement l’attention des médias et sont souvent décrites à tort par les médias et les personnalités politiques comme « antidémocratiques » ou même « violentes ».


En effet, il n’existe pas de définition universellement reconnue de la désobéissance civile. Dans le cadre de ce rapport, Michel Forst a retenu la définition suivante : “il s’agit d’une forme de participation politique qui renvoie à des formes de mobilisation variées et évolutives, et qui peut être décrite de manière générale comme des actes de violation délibérée de la loi, concernant une question d’intérêt public, passible d’une amende ou de peine d’emprisonnement”. 

De plus, en vertu du droit international des droits humains , la désobéissance civile est reconnue comme une forme d’exercice des droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique, garantis respectivement par les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Les protestations pacifiques peuvent prendre de nombreuses formes et, dans la plupart des cas, ne constituent pas de la « désobéissance civile » (puisque la désobéissance civile implique un acte de violation délibérée de la loi). Cependant, tous les actes de désobéissance civile sont une forme de protestation et, tant qu’ils sont non violents, ils constituent un exercice légitime de ce droit.

…tout comme la criminalisation des défenseurs de l’environnement

Grâce à ses visites dans divers pays parties à la Convention d’Aarhus, à l’organisation d’un atelier à huis clos sur la désobéissance civile et à d’autres formes de collecte d’informations, le Rapporteur spécial a identifié une tendance générale à la répression et à la criminalisation des défenseurs de l’environnement engagés dans des actions pacifiques de protestation et de désobéissance civile. Cette tendance recouvre au moins quatre dimensions : 

  • Un discours médiatique et politique qui stigmatise les défenseurs de l’environnement : ce rapport a notamment permis d’observer que les défenseurs de l’environnement, y compris ceux qui participent à des manifestations pacifiques et à la désobéissance civile, sont de plus en plus souvent présentés sous un jour négatif dans les médias et par des personnalités politiques. Ce discours, non seulement désobligeant mais aussi souvent diffamatoire, contribue à mettre en danger les défenseurs de l’environnement. C’est également l’un des éléments utilisés pour justifier leur répression. En France, c’est le cas quand le Ministre de l’Interieur Gérald Darmanin parle “d’éco-terrorisme”.  Qui plus est, en dissuadant les citoyens et citoyennes d’exercer leur droit fondamental de manifester par crainte d’être traités comme des criminels, le discours négatif a un impact sur le bon fonctionnement de la démocratie.
  • Des modifications législatives qui accélèrent la répression : Dans plusieurs pays européens, l’activisme environnemental a été qualifié de menace terroriste potentielle. Par exemple, en Italie, la loi dite « éco-vandalisme”, adoptée en janvier 2024, a introduit de nouvelles dispositions contre le « vandalisme » pendant les rassemblements, avec des sanctions allant d’un à cinq ans d’emprisonnement et une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 euros. Ou encore au Royaume-Uni, la loi de 2022 Police, Crime, Sentencing and Courts Act permet à la police de restreindre et même d’interdire les rassemblements publics « bruyants » ou « perturbateurs ». En outre, la loi de 2023 Public Order Act accorde à la police des pouvoirs étendus pour restreindre les manifestations pacifiques. Elle introduit également de nouvelles infractions pénales qui rendent certaines formes de protestation illégales, comme la création d’une infraction pénale pour le « verrouillage » (c’est-à-dire le fait de s’attacher à une autre personne, à un objet ou à un autre objet). Ainsi, la législation est de plus en plus utilisée pour étouffer les protestations environnementales par l’introduction de nouvelles infractions, de peines plus sévères et d’interdictions de certaines formes de protestation. 
  • Des méthodes policières brutales : Le rapporteur spécial a reçu de nombreux rapports faisant état d’interventions policières musclées, brutales et abusives avant, pendant et après des manifestations pacifiques en faveur de l’environnement dans les pays parties à la convention d’Aarhus. En Irlande du Nord, des manifestants pacifiques contre l’exploitation minière ont été arrêtés pour avoir « traversé la rue » et des manifestants prenant des vidéos ont été accusés de harcèlement. En Espagne, des manifestants pacifiques ont été soumis à des contrôles d’identité systématiques et aveugles pendant plusieurs heures lors d’une manifestation organisée par Scientist Rebellion. Au Portugal, des manifestants pacifiques ont été arrêtés et détenus par la police pour « perturbation de la circulation », alors que la manifestation à laquelle ils participaient avait été organisée légalement et que son itinéraire avait été notifié aux autorités à l’avance. Les défenseurs de l’environnement qui participent à des actions pacifiques de protestation et de désobéissance civile sont plus souvent poursuivis et font l’objet d’accusations de plus en plus graves. Les mouvements environnementaux pacifiques sont également ciblés en tant qu’organisations criminelles. C’est aussi le cas en France lors des manifestations à Sainte-Soline. 
  • Le rôle des tribunaux : Le rapporteur a constaté, à plusieurs reprises, l’utilisation abusive de la détention préventive, les conditions sévères de mise en liberté sous caution, les procédures judiciaires longues et imprévisibles, la suppression des moyens de défense et les peines de plus en plus sévères et disproportionnées. De cette manière, les tribunaux contribuent eux-mêmes de manière significative à la répression et à la criminalisation des défenseurs de l’environnement. Par exemple, au Danemark, au Portugal et en Espagne, des procédures judiciaires très longues contre des manifestants pour l’environnement ont un effet dissuasif sur la participation des militants à des manifestations pacifiques. Toujours au Portugal, un militant qui a interrompu le discours du Premier ministre en faisant voler des avions en papier fait l’objet d’une procédure judiciaire depuis 2019. 

Le rapporteur spécial de l’ONU appelle les Etats à protéger et respecter les droits des défenseurs de l’environnement

Ayant constaté avec une vive inquiétude la tendance généralisée et croissante à réprimer et à criminaliser les manifestations pacifiques en faveur de l’environnement et la désobéissance civile dans un nombre croissant de pays Parties à la Convention d’Aarhus, le Rapporteur spécial a fait de cette question un thème prioritaire de son mandat. En 2024, le Rapporteur spécial élaborera des orientations pour aider les États et les autres parties prenantes à respecter leurs obligations internationales à l’égard des défenseurs de l’environnement qui participent à des manifestations pacifiques, y compris à des actes de désobéissance civile.

Compte tenu de l’urgence de cette question, le Rapporteur spécial appelle les États, à s’engager à respecter les principes de base suivants et à prendre les mesures correspondantes :

  • Les États doivent s’attaquer aux causes profondes de la mobilisation environnementale, en mettant pleinement en œuvre l’Accord de Paris. Ils devraient mettre en œuvre une approche de la transition énergétique fondée sur les droits humains et respecter les obligations contraignantes qui leur incombent en vertu de la convention d’Aarhus, à savoir garantir l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice dans le domaine de l’environnement. Les États devraient également promouvoir ces principes dans les forums internationaux liés à l’environnement, tels que les conférences des parties (COP), et veiller à ce que les défenseurs de l’environnement puissent y participer en toute sécurité.
  • Ils doivent prendre des mesures immédiates pour contrer les récits qui présentent les défenseurs de l’environnement et leurs mouvements comme des criminels. Par exemple, les personnalités politiques, et en particulier les membres des parlements et des gouvernements, doivent s’abstenir d’assimiler les défenseurs de l’environnement à des criminels.
  • Les États ne doivent pas utiliser la progression de la désobéissance civile environnementale comme prétexte pour restreindre l’espace civique et l’exercice des libertés fondamentales. 
  • Ils doivent immédiatement cesser d’utiliser des mesures conçues pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé à l’encontre des défenseurs de l’environnement. 
  • Les États doivent veiller à ce que l’approche des tribunaux à l’égard des manifestations perturbatrices, y compris les peines imposées, ne contribue pas à restreindre l’espace civique. 

Retrouvez le rapport complet ici.

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