L’Île-de-France invivable en été ?

Fortes chaleurs, sécheresses, fonte des glaciers, inondations... Le Réseau Action Climat propose un panorama des conséquences du changement climatique dans toutes les régions de France. Quelles sont les impacts qui concernent la région Île-de-France ?

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© François Roux - Adobe Stock

Des canicules plus longues, plus chaudes, plus souvent

30 jours de canicule par an, des pics de température pouvant atteindre jusqu’à 50 °C, et toutes les conséquences que cela implique notamment sur la santé… Ce scénario, bien qu’extraordinaire aujourd’hui, est pourtant loin d’être irréaliste. Il décrit, au contraire, ce que projettent les modélisations si nos émissions de gaz à effet de serre poursuivent leur trajectoire actuelle.

Du fait de sa très forte urbanisation, l’Île-de-France est particulièrement vulnérable aux conséquences du changement climatique liées à la chaleur, d’ores et déjà perceptibles. Les températures ont en effet déjà augmenté de +2 °C en moyenne dans la région depuis le milieu du XXe siècle et devraient atteindre +0,5 à +1 °C supplémentaires dès 2050 sans réduction des émissions de gaz à effet de serre[1].

Au-delà de la hausse des températures moyennes, le changement climatique entraîne une multiplication des extrêmes de chaleur : les épisodes de canicule se produisent plus souvent, sur des périodes plus larges (avant et après l’été) et sont plus intenses. Sans changement climatique, les études d’attribution montrent que la canicule de juillet 2019 – durant laquelle la température record de 42,6 °C a été relevée à Paris – n’aurait eu qu’une chance sur 20 000 de se produire. En termes statistique, on peut affirmer que cette canicule était virtuellement impossible sans influence humaine[2]. En revanche, si le réchauffement à l’échelle mondiale atteint +2 °C[3], ce même événement aurait 1 chance sur 4 de se produire[4].

Cette tendance devrait se poursuivre au cours des décennies à venir : la région, qui comptait 6 à 9 jours de canicule par an à la fin du XXe siècle, pourrait en connaître 23 à 30 jours d’ici 2050 selon un scénario d’émissions intermédiaires[5]. Dans un scénario (vers lequel on se dirige aujourd’hui) de réchauffement à +4 °C en France, les températures estivales pourraient atteindre des extrêmes jamais enregistrés auparavant, avec des pics de chaleur dépassant les 50 °C. D’ici 2080, on pourrait observer des canicules prolongées avec jusqu’à 34 jours par an et 35 nuits tropicales (c’est-à-dire dont la température ne baisse pas en dessous de 20 °C), soit 7 fois plus qu’aujourd’hui. Un été comme celui de 2022, considéré comme extraordinairement chaud, pourrait devenir la norme dès 2030.

L’effet îlot de chaleur urbain à Paris

Une forte urbanisation, des matériaux qui absorbent et retiennent la chaleur (béton, asphalte, pierre, zinc…), une artificialisation[6] extrême des sols – notamment à Paris où plus de 80 % de la surface est imperméabilisée –, une importante densité… la région cumule de nombreux facteurs qui favorisent l’effet d’îlot de chaleur urbain, qui intensifie les effets de la chaleur.

Les îlots de chaleur urbains (ICU) agissent comme des microclimats entraînant des températures plus élevées en ville par rapport aux zones rurales avoisinantes. Cette augmentation de chaleur est particulièrement ressentie lors des canicules, avec des écarts pouvant atteindre jusqu’à dix degrés la nuit.

“Le risque que Paris surchauffe et devienne inhabitable à moyen terme est réel” : selon le rapport “Paris à 50 °C” de la mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris[7], plus de 85 % des bâtiments parisiens se trouvent dans des zones où l’effet d’ICU provoque une hausse de température supplémentaire de plus de 5 °C par rapport au réchauffement climatique global.

À noter qu’on observe aussi d’importantes variations au sein de la ville, avec parfois des variations de plusieurs degrés à l’échelle de quelques mètres : on parle alors de micro-îlots de chaleur urbains (MICU)

Carte des micro-îlots de chaleur urbains à Paris et en petite couronne. Source : L’Institut Paris Region – Adapter l’Île-de-France à la chaleur urbaine

Paris, ville la plus mortelle d’Europe ?

C’est ce que titraient les journaux à la sortie d’une étude du Lancet Planetary Health[8] sur les surmortalités attribuées à la chaleur, qui concluait « La ville avec le risque relatif à la chaleur le plus élevé est Paris pour toutes les tranches d’âges » parmi 854 villes européennes.

Les vagues de chaleur ont en effet de graves répercussions sur la santé des habitants, à commencer par l’augmentation des risques d’accidents cardiovasculaires mortels. Les épisodes de canicule entraînent également des coups de chaleurs, maux de tête, nausées, déshydratations… mais aussi des effets indirects liés à la baisse de l’activité physique, à l’altération du sommeil, perturbé par les chaleurs nocturnes, ou encore à la pollution de l’air, exacerbée par les pics de chaleur.

L’Île-de-France est particulièrement exposée à ce risque : durant la canicule historique de 2003, la surmortalité avait été de +190 % à Paris (contre +40 % dans les zones rurales)[9], et 5 000 des 15 000 décès attribués à la chaleur en France avaient été comptabilisés dans la région. Mal anticipée, cette canicule a marqué un tournant dans la prévention et l’adaptation aux fortes chaleurs. La région reste toutefois vulnérable, avec +21 % de surmortalité enregistrée lors des vagues de chaleur en 2019 comme en 2022[10].

L’exposition à ces risques sanitaires dépend de multiples facteurs. L’âge, tout d’abord : parmi les décès en excès survenus en 2022 en Île-de-France, près de 80 % étaient des personnes de plus de 75 ans. Les jeunes enfants sont eux aussi exposés : le risque de mortalité infantile serait 50 à 100 fois plus élevé que pour les adultes. Selon un rapport d’Oxfam France[11], 55 % des écoles maternelles – soit 1,3 millions d’enfants – seront exposés à des chaleurs supérieures à 35 °C d’ici 2030. À Paris et en Seine-Saint-Denis, cela concerne 100 % des maternelles. Les femmes enceintes et personnes souffrant d’insuffisance cardiaque ou de maladies chroniques sont également plus vulnérables aux effets de la chaleur.

Les paramètres socio-économiques représentent aussi un facteur de risque très important : isolation des logements et capacité à les rénover, accès aux espaces verts publics ou à la climatisation… À Paris, une mortalité deux fois plus importante a été observée dans certains micro-îlots de chaleur urbains (cf. encadré) par rapport à des quartiers moins exposés, alors que la différence de température moyenne n’était que d’un demi-degré. Enfin, l’isolement social est un facteur majeur, comme l’a montré la canicule de 2003 : “88 % des personnes décédées vivaient seules et un quart d’entre elles n’avaient aucun contact”.

Par ailleurs, l’exposition aux risques sanitaires sur les lieux de travail est un enjeu important pour les années à venir, avec des conséquences importantes dès +1,5 °C de réchauffement. Au-delà des effets directs, qui concernent surtout les travailleurs extérieurs, on s’attend à une hausse des accidents du travail. Les sources artificielles de chaleur (par exemple dans les cuisines des restaurants), le manque d’eau ou de temps de pause, des tenues non adaptées… Il existe de nombreuses causes entraînant des déshydratations sur le lieu de travail, sans oublier les risques liés au manque de sommeil causé par les chaleurs nocturnes. Cela peut aussi être source de risques psychosociaux et aggraver les tensions, au travail comme ailleurs. En plus des risques sanitaires, cela représente un coût direct pour les entreprises, avec une baisse de la productivité, en particulier pour les secteurs les plus exposés.

Des sécheresses plus marquées, aux multiples répercussions

Les indicateurs de sécheresse sont en augmentation constante en Île-de-France, et les projections climatiques indiquent une intensification probable de tous les types de sécheresse, particulièrement en été. Les sols franciliens devraient devenir de plus en plus secs, avec un cycle d’évaporation accéléré, des précipitations moins bien réparties tout au long de l’année (augmentation l’hiver, diminution l’été) et une diminution de la recharge des nappes et du débit des cours d’eau. Ces changements contribueront à des sécheresses exceptionnelles plus fréquentes et plus longues : les futures sécheresses agronomiques et hydrologiques pourraient durer plus de 30 % de plus que les épisodes actuels[12] sur le bassin de la Seine, qui alimente une partie de la région en eau potable. Le changement climatique accentue ainsi les vulnérabilités actuelles, mettant en lumière la nécessité d’une gestion durable de l’eau.

En plus de ces conséquences directes, les sécheresses peuvent entraîner une série de répercussions en cascade : pénuries d’eau, pertes agricoles, conflits d’usages de l’eau, détérioration de la qualité de l’eau, incendies, impacts sur la biodiversité… ainsi que le phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA)[13]. Ce phénomène de rétractation des terrains argileux en période de sécheresse peut fortement endommager les bâtiments localisés sur ces terrains. S’il ne présente pas ou peu de risques physiques pour l’homme, il peut générer des risques psychologiques liés à la perte de biens. En outre, il peut être la cause de très importants dégâts, indemnisables au titre des catastrophes naturelles, concernant généralement les maisons individuelles. L’Île-de-France est l’une des régions les plus exposées au risque de RGA : 83 % du territoire est concerné, dont la totalité les départements des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et la Seine-et-Marne[14].

Entre 1995 et 2016, 60 % des dommages traités par la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) pour les risques exceptionnels étaient liés au RGA[15]. Les projections sur les sécheresses indiquent que ce risque pourrait s’intensifier au cours des prochaines décennies, avec une multiplication par deux des dommages liés.

Pour finir, difficile de parler de risques climatiques sans évoquer les inondations, première source d’exposition des populations aux catastrophes naturelles dans la région. Ce risque menace en effet plus de 6,6 millions de personnes en Île-de-France. Si aucune tendance claire ne se dégage sur l’évolution future des inondations par débordement ou crues dans la région, le risque d’inondation par ruissellement (lorsque les eaux de pluie ne peuvent pas ou plus s’infiltrer dans le sol) devrait augmenter avec le réchauffement climatique. Ce dernier augmente en effet l’intensité des épisodes de précipitations extrêmes, et est aggravé par les sécheresses ainsi que l’artificialisation des sols.

Le rapport complet

Sources

[1] GREC Francilien – Le climat francilien et les grandes lignes du changement climatique en Île-de-France

[2] Robin, Yoann ; Drouin, Agathe ; Soubeyroux, Jean-Michel ; Ribes, Aurélien ; Vautard, Robert. Comment attribuer une canicule au changement climatique ?. La Météorologie

[3] La trajectoire actuelle nous mène vers un réchauffement de +2,5 à +2,9 °C selon un rapport de l’ONU de novembre 2023

[4] Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris – Paris à 50 °C

[5] DRIAS Les futurs du climat

[6] Voir lexique

[7] Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris – Paris à 50 °C

[8] The Lancet Planetary Health – Excess mortality attributed to heat and cold: a health impact assessment study in 854 cities in Europe

[9] ADEME – Anticiper pour éviter les crises

[10] Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris – Paris à 50 °C

[11] Oxfam – Changement climatique : nous ne sommes pas prêt·es !

[12] GREC Francilien – Les extrêmes climatiques et les risques associés au changement climatique

[13] Voir lexique

[14] L’Institut Paris Région – Vulnérabilités de l’Île-de-France aux effets du changement climatique

[15]  Caisse centrale de réassurance – La prévention des catastrophes naturelles par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs en Île-de-France – Édition 2023

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