Impacts du changement climatique : les Outre-mer en première ligne

Hausse des températures, événements météorologiques extrêmes, montée des eaux… Face au changement climatique, les Outre-mer sont en première ligne. Les conséquences pour les populations et les écosystèmes locaux sont déjà observables aujourd’hui, et seront de plus en plus graves avec un niveau de réchauffement élevé.

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Une plage de Saint-Martin après le passage de l'ouragan Irma en 2017

Les DROM-COM

On continue généralement de les appeler DOM-TOM, pourtant les régions d’Outre-mer sont désignées depuis 2003 par l’acronyme DROM-COM, pour Départements ou Régions français d’Outre-Mer et Collectivités d’Outre-Mer. Elles regroupent 2,2 millions d’habitants et sont au nombre de 11 : 5 DROM (en bleu sur la carte ci-dessous : Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion et Mayotte) et 6 COM (en vert : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna).

À l’exception de la Guyane, toutes ces régions sont des îles : les effets du changement climatique qu’elles subissent comportent donc de nombreuses similitudes, avec toutefois des contextes politiques, sociaux et économiques différents.

Par leur aménagement, concentré sur les littoraux, ainsi que la fragilité de leurs écosystèmes – qui concentrent 80% de la biodiversité française sur seulement 22% du territoire national – les DROM-COM sont les territoires français les plus exposés aux impacts du changement climatique.

Trois impacts du changement climatique qui menacent les Outre-mer

L’accès à la nourriture et les activités économiques en péril face au blanchissement des coraux

Les pics de chaleur constituent une menace directe pour les récifs coralliens, et donc pour les sociétés humaines qui en dépendent pour se nourrir. Le maintien de la température océanique au-dessus de 30°C pendant une certaine durée provoque le blanchissement des coraux, c’est-à-dire leur dépérissement. Ce phénomène n’est pas définitif, puisque les coraux peuvent se rétablir au bout de quelques années si les conditions le permettent. Mais il peut aussi mener à leur mort si le stress lié à la hausse de la température se poursuit.

Or, avec le changement climatique, les pics de chaleur seront de plus en plus fréquents. On risque ainsi d’observer des phénomènes de blanchissement tous les 10 ans, puis tous les 5 ans… Ce qui ne laissera plus le temps aux coraux de se régénérer. L’acidification des océans, une autre conséquence du changement climatique, contribue également à fragiliser les coraux, qui se remettent plus lentement et restent plus fragiles après un épisode de blanchissement.

99%
Si le réchauffement climatique atteint +1,5°C – ce qui sera le cas dans les 20 prochaines années selon le GIEC – 70% à 90% des récifs coralliens pourraient disparaître. Avec un réchauffement à +2°C, ce risque monte à 99%.

L’état des récifs coralliens dépend par ailleurs aussi de la pression exercée par les activités humaines locales, notamment à travers la pollution, qui rendent la régénération du corail plus longue et difficile. S’ils sont plutôt en bon état dans certaines régions peu habitées de Polynésie française par exemple, il y a plus d’inquiétude dans les régions où la pression humaine est forte : à Mayotte, La Réunion, et surtout dans les Caraïbes, avec des récifs très dégradés et pour partie morts en Martinique et en Guadeloupe.

“Dans certains territoires, l’écosystème récifal est vraiment le pilier de la vie des sociétés humaines.”

La disparition des coraux entraîne plusieurs conséquences en cascade pour les populations locales. Ils constituent en effet “le pilier de la vie des sociétés humaines” dans certains territoires comme les îles Tuamotu (Polynésie française) selon Virginie Duvat, professeure de géographie et rédactrice pour les 5e et 6e rapports du GIEC.

La mort de ces écosystèmes, formidables nurseries pour les poissons, provoque “un effondrement de la chaîne alimentaire”. Cela se répercute sur l’accès à la nourriture, largement basée sur les produits de la mer. Les activités économiques sont aussi fortement impactées : la pêche bien sûr, mais aussi le tourisme, qui repose en grande partie sur la plongée sous-marine pour des atolls comme Rangiroa (Polynésie française).

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Les récifs coralliens jouent par ailleurs un rôle de maintien et de protection de leur environnement. Ils constituent d’une part une barrière pour les écosystèmes voisins : herbiers marins, mangroves et systèmes côtiers végétalisés. D’autre part, ils alimentent les plages en sable et limitent par là même l’érosion côtière. Ils amortissent les vagues de tempête et réduisent ainsi les impacts des événements météorologiques extrêmes sur les aménagements.

Tourisme : comment concilier cette source de revenus indispensable et le respect des écosystèmes ?

L’industrie touristique n’est pas sans conséquences sur l’environnement dans les Outre-mer, en particulier dans les régions de bord de mer. Cela peut se manifester de manière directe, avec la dégradation de certains écosystèmes tels que les récifs coralliens, ou de façon indirecte, notamment via les émissions de gaz à effet de serre générées par les trajets des touristes en avion.

Le tourisme est pourtant au cœur de l’économie pour certaines régions des DROM-COM à l’image de la Polynésie française, dont le tourisme est la première activité économique et génère 77 % de ses ressources. Il est donc essentiel pour les revenus de nombreux ménages habitants ces régions.

Il est possible de concilier tourisme et protection de l’environnement, à condition de changer le mode de fonctionnement de ce secteur. Il est pour cela nécessaire de privilégier un tourisme durable, qui ne dégrade pas les écosystèmes, par exemple en contrôlant les plongées sous-marines et le traitement des eaux usées. Un autre levier permettant de réduire la pression exercée sur les écosystèmes marins est la diversification de l’offre, en développant le tourisme des zones montagneuses ou forestières.

De graves conséquences économiques et sociales dues à la multiplication des cyclones

Le rapport du GIEC “Impacts, adaptation et vulnérabilités” (février 2022) indique que ces événements (cyclones, épisodes de fortes précipitations) deviendront plus intenses avec le changement climatique.

Irma, l’ouragan du futur

L’ouragan Irma, qui a frappé en 2017 Saint-Martin et les autres îles des Caraïbes, est le cyclone le plus fort jamais enregistré dans cette région et est considéré comme représentatif de ce que seront les ouragans du futur. Avec des vagues de 10 mètres de hauteur et des rafales de vent atteignant 360 km/h, il a entraîné des dégâts matériels et humains considérables, notamment :

  • 136 morts et plus d’un millier de blessés ;
  • 92% de bâtiments dégradés ou détruits ;
  • Des destructions massives de mangroves ;
  • Des pics d’érosion : le trait de côte a par exemple reculé de plus de 160 mètres sur certaines plages de Saint-Martin ;
  • Des submersions marines étendues ;
  • De fortes destructions des productions agricoles ;
  • Et beaucoup d’autres répercussions sur les écosystèmes et les sociétés humaines.

Comme pour la disparition des récifs coralliens, ces impacts directs engendrent de graves conséquences sociales et économiques. Ces épisodes causent une véritable paralysie des territoires touchés, due à la destruction des infrastructures et au gel des moyens de subsistance des populations locales : entre autres, les productions agricoles sont perdues et le tourisme totalement interrompu.

La santé est aussi touchée : au-delà des décès et blessures, ces événements entraînent des problèmes liés à l’accès à l’alimentation et à l’eau, sans oublier la santé mentale, affectée par le stress post-traumatique généré.

Ces situations génèrent également de véritables hémorragies démographiques : plus de 6000 habitants (soit 8% de la population actuelle de l’île) ont quitté Saint-Martin suite à l’ouragan Irma, généralement parmi les habitants les plus aisés financièrement, laissant les plus précaires dans des situations de grande difficulté. Dans des cas extrêmes comme celui-ci, ces catastrophes peuvent conduire à une forte insécurité (pillages, formation de groupes armés).

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Toutes ces répercussions ne s’appliquent pas qu’aux cyclones : elles sont globalement similaires après des périodes de sécheresse ou de fortes pluies, qui seront elles aussi plus fréquentes dans les années à venir. Difficultés d’accès à l’eau potable, impacts sur l’agriculture et le tourisme, inondations, glissements de terrain, prolifération de moustiques, etc. D’un événement découle une cascade d’effets qui peuvent avoir de graves conséquences à long terme.

Des migrations forcées par la hausse du niveau des mers

Le changement climatique génère également une hausse du niveau des mers, un risque qui menace toutes les régions côtières au monde, et donc en premier lieu les îles.

Ce phénomène est déjà observable, puisque les zones basses de certaines îles sont désormais submergées de manière chronique à marée haute. Ces espaces connaîtront un nombre croissant de jours de submersion chaque année, et ne seront donc plus habitables au bout d’un certain temps. Cela concerne en particulier les îles basses, comme les atolls de Tuamotu, en Polynésie française, qui culminent pour la plupart entre 3 et 6 mètres d’altitude. Ces îles ne présentant pas de zones suffisamment élevées pour se réfugier, si le réchauffement climatique se poursuit à son rythme actuel, leurs 16 000 habitants seront à terme forcés à migrer, avec le risque de perdre leur culture et leur identité.

Mais les îles plus hautes ne sont pas à l’abri. La plupart d’entre elles sont montagneuses et donc principalement aménagées sur leur bande côtière, directement exposée aux submersions. C’est le cas de la Guadeloupe, dont la zone de Jarry, troisième plus grande zone d’activités de France, présente de vastes espaces à moins de 80 cm d’altitude et connaît déjà des épisodes de submersion à marée haute. Si les scénarios pessimistes, qui conduisent à une montée du niveau de la mer de +83 cm, se concrétisent, la submersion de cette zone pourrait atteindre 180 jours par an à partir de 2060-2080.

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La montée des eaux sur l’atoll de Tikehau, Polynésie française, juillet 1996 – © Bruno Marty

Il est à noter que la hausse du niveau de la mer couplée à la multiplication des épisodes météorologiques extrêmes renforce encore le risque de submersion. Les vagues cycloniques, qui se dérouleront sur un niveau marin toujours plus élevé, atteindront des zones toujours plus éloignées à l’intérieur des terres, en détruisant tout sur leur passage. De plus, les crues provoquées par les fortes pluies, combinées avec la submersion chronique, provoqueront des phénomènes de submersion-inondation de grande ampleur.

De manière générale, les conséquences du changement climatique ne sont pas indépendantes, mais bien reliées les unes aux autres, comme le rappel Virginie Duvat : “Le dernier rapport du GIEC montre que pour chacun de ces impacts, qui sont souvent présentés un par un, on a de plus en plus d’effets qui sont liés à des combinaisons de phénomènes”.

La forêt Guyanaise menacée

Seul DROM-COM qui ne soit pas une île, la Guyane n’en est pas moins exposée aux effets du changement climatique. La majorité de la population guyanaise vit sur la bande littorale, et est donc exposée à des risques similaires aux autres régions.

Sa forêt, qui représente à elle seule un tiers des forêts françaises et constitue un puits naturel de carbone important, est très vulnérable aux épisodes de sécheresse. Ceux-ci sont amplifiés par le changement climatique et accentuent les risques d’incendies. La faune et la flore exceptionnelles abritées par la forêt amazonienne sont ainsi directement menacées.

Des options d’adaptation expérimentales, une réduction des émissions indispensable

Si on sait désormais sans équivoque que le changement climatique est dû aux activités humaines, la responsabilité historique des Outre-mer est moindre car ils ont peu contribué aux émissions de gaz à effet de serre. Ils sont pourtant exposés de toutes parts, avec des impacts déjà présents aujourd’hui et qui seront de pire en pire dans les années à venir. Malgré tout, ils sont pleinement impliqués dans la lutte contre ces effets et conduisent des expériences d’adaptation qui seront riches en enseignements pour tous les territoires menacés par le changement climatique.

L’une des options d’adaptation consiste à protéger ou restaurer les écosystèmes pour bénéficier du service de protection côtière qu’ils rendent aux communautés locales en compensant l’élévation du niveau de la mer par leur développement vertical et en amortissant les vagues cycloniques. On peut prendre l’exemple de la restauration de la mangrove menée dans la commune du Lamentin en Guadeloupe. Mais malgré quelques exemples encourageants, cette solution n’est malheureusement pas possible dans toutes les situations. D’après le GIEC, “La conservation et la restauration seront à elles seules insuffisantes pour protéger les récifs coralliens au-delà de 2030″.

Et concernant ce type de mesure d’adaptation, il faut retenir que nous sommes actuellement dans une phase d’expérimentation : des retours d’expérience sont encore nécessaires pour évaluer le succès de ces mesures et les conditions de leur application. De plus, l’implication des populations locales est cruciale pour obtenir à la fois leur adhésion et de meilleurs résultats.

La mesure d’adaptation la plus utilisée aujourd’hui, dans les Outre-mer comme ailleurs, est ce qu’on appelle la défense lourde, c’est-à-dire la construction digues, cordons d’enrochement et murs de protection sur les littoraux. Ces ouvrages réduisent l’érosion côtière en fixant le trait de côte et limitent les submersions marines. Cependant, ils comportent plusieurs inconvénients : dans certains cas, ils limitent l’accès aux plages et peuvent même contribuer à leur disparition. C’est le cas des murs de protection qui réfléchissent les vagues et engendrent ainsi des pertes de sédiments vers le large. Ce type de réponse est de plus en plus inadapté face à l’accélération de la hausse du niveau de la mer et il devient clair qu’il ne suffira pas dans un scénario de réchauffement climatique accéléré.

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Un exemple de recours à la protection lourde, plage du Diamant, Martinique – © Virginie Duvat

Option de dernier recours, la relocalisation sera pourtant nécessaire pour certaines zones côtières insulaires au cours de la deuxième moitié de ce siècle. Elle consiste à déplacer les populations, habitats et infrastructures vers l’intérieur des terres, un choix très difficile à accepter pour les populations locales. Cette alternative est longue à mettre en place et nécessite donc d’être préparée dès maintenant. Elle soulève des risques de perte de culture et d’identité, et constitue aussi bien une option d’adaptation qu’une des conséquences irréversibles du changement climatique, communément appelées les pertes et préjudices. Au-delà des aspects humains, centraux lorsqu’on envisage la relocalisation, il faut garder en tête que cette option se heurte à plusieurs problèmes majeurs dans les îles, comme le manque d’espace ou le risque de soumettre les populations déplacées à d’autres risques (volcanisme, glissements de terrain).

Face aux impacts déjà observables du changement climatique et qui empireront dans les années à venir, et au vu des capacités d’adaptation encore relativement réduites des Outre-mer, la première des solutions est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Comme le souligne Virginie Duvat, il est “absolument crucial qu’il y ait, à l’échelle globale, des efforts d’atténuation, c’est-à-dire de réduction drastique, et dès maintenant, des émissions de gaz à effet de serre pour que la marge de manœuvre en termes d’adaptation reste forte”. Pour cela, les solutions existent, comme le montre le rapport “Atténuation du changement climatique” du GIEC, à condition de choix politiques forts liés à une transformation rapide de tous les secteurs de la société.

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