Les impacts de l’acidification des océans aggravent ceux de son réchauffement

Entre la fin du 19e siècle et aujourd’hui, les océans se sont réchauffés de 0,83°C. Ils ont aussi absorbé un quart du dioxyde de carbone (CO2) provenant des activités humaines, atténuant ainsi le réchauffement climatique. Mais ce grand service de diminution de l’effet de serre atmosphérique a comme prix leur acidification progressive…

Océan : ses organismes marins et ses écosystèmes
Océan : ses organismes marins et ses écosystèmes

Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche CNRS au laboratoire d’océanographie de Villefranche et à Sorbonne Université, répond à ces questions :

Qu’est-ce que l’acidification des océans ?

C’est un résultat de l’augmentation des rejets de gaz carbonique (CO2) par les activités humaines. En moyenne, 45% de nos émissions de CO2 restent dans l’atmosphère, 30% sont absorbés par la végétation terrestre et 25 % par l’océan, essentiellement via des phénomènes physicochimiques qui équilibrent les concentrations en CO2 entre l’eau et l’air.

En augmentant sa concentration en CO2, le pH de l’océan diminue, c’est-à-dire que son acidité augmente. Il était en moyenne de 8,2 en surface dans la période préindustrielle. Aujourd’hui, il est de 8,1 [1, page 131], soit une diminution de 0,1. Cela semble faible, mais cela équivaut en réalité à +30% d’acidité, ce qui est énorme !

Quelles sont les conséquences de cette acidification et à quoi s’attendre avec le réchauffement à venir ?

Pour l’heure, les conséquences de l’acidification de l’océan ne se voient que pour des régions du globe et des organismes très particuliers, comme sur la côte Nord-Ouest des États-Unis, où l’aquaculture des huîtres est impactée, ou les coraux du Pacifique au large du Panama, qui se fragilisent. On constate plus facilement l’effet du réchauffement de la mer [2] avec le blanchissement des coraux ou la redistribution des espèces de poisson.

Cependant, les chiffres des engagements mis en avant par les divers gouvernements ne sont pas suffisants pour rester bien en dessous des 2°C de réchauffement, l’objectif de l’accord de Paris, et le pH de l’océan pourrait atteindre 7,7 d’ici 2100 [3], soit un triplement de son acidité par rapport à la période pre-industrielle.

On a montré en laboratoire qu’à un tel taux, les récifs coralliens commencent à se dissoudre, les coquilles des mollusques se fragilisent… On a également constaté que quand l’acidité augmente, le phytoplancton de grande taille (microplancton) est remplacé par des espèces plus petites (nano- ou picoplancton), ce qui impacte la chaîne alimentaire {4]. Les baleines, par exemple, qui sont équipées pour filtrer du microplancton végétal, pourraient avoir plus de difficultés pour se nourrir. Par ailleurs, le phytoplancton absorbe aussi du CO2. Quand il meurt, il l’emporte avec lui au fond de l’océan où il est peut être stocké dans les fonds marins. Or, le nano- et picoplancton ne permettent pas un stockage aussi efficace du carbone.

Tout ceci sans oublier que l’acidification n’intervient pas seule : il faut aussi compter avec le réchauffement des océans, la pollution côtière, l’augmentation du niveau de la mer…

Quelles solutions peut-on mettre en place ?

La solution, c’est réduire nos émissions de CO2, bien-sûr, mais pas seulement. Il faut également diminuer la pollution côtière qui contribue aussi à l’acidification, augmenter la résilience de certains écosystèmes en créant des aires marines protégées, restaurer ceux qui sont dégradés avec des espèces plus résistantes [5] [6] [7] …. Même en respectant l’accord de Paris, il faut s’attendre à de gros dégâts sur certains écosystèmes.

Nous bouleversons complètement la physique et la chimie de l’océan ! En Méditerranée, on estime qu’en 2100, la diversité écologique aura diminué d’au moins 30 %. Et il ne faut pas espérer conserver plus de 20 à 30 % des récifs coralliens qui existent aujourd’hui. Ce sont des changements majeurs.

Dans l’histoire de notre planète, il y a eu des évènements dus à des éruptions volcaniques présentant le même scénario et ils sont tous liés à des extinctions massives. L’une d’entre elles a vu 95% des espèces marines disparaître. Les récifs coralliens par exemple ont complètement disparus et il a fallu 20 à 30 millions d’années pour qu’ils réapparaissent. La résilience est possible, mais pas à l’échelle de la vie humaine.

Si on agit de manière efficace et suffisamment tôt, nous pouvons contenir cette évolution, stopper le réchauffement et l’acidification. Il faudra ensuite quelques centaines d’années pour un retour à la normale.

Notes

[1] GIEC, 5è rapport GT1, Résumé technique, 2013

http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg1/WG1AR5_SPM_brochure_fr.pdf

[2] J.-P. Gattuso et al., Contrasting futures for ocean and society from different anthropogenic CO2 emissions scenarios SCIENCE 3 JULY 2015 • VOL 349 ISSUE 6243 (voir Tableau 1)

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01176217/document

http://science.sciencemag.org/content/349/6243/aac4722/tab-figures-data

[3] Magnan A. K. & Gattuso J.-P., 2016. The need for fighting against ocean change. Ocean Newsletter 393.

https://www.spf.org/opri/projects/information/newsletter/backnumber/2016/393_1.html

[4] CNRS Nourris au CO2, les plus petits organismes du plancton se développent aux dépens des plus grands 13 SEPTEMBRE 2013

http://www2.cnrs.fr/presse/communique/3221.htm

[5] J.-P. Gattuso et al., Ocean Solutions to Address Climate Change and Its Effects on Marine Ecosystems Front. Mar. Sci., 04 October 2018

https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmars.2018.00337/full

[6] Alexandre Magnan et al.,  Ocean-based measures for climate action, IDDRI Policy Brief October 2018

https://www.iddri.org/en/publications-and-events/policy-brief/ocean-based-measures-climate-action

[7] UPMC CNRS Products of The Ocean Solutions Initiative

http://www.obs-vlfr.fr/~gattuso/tosi_products.php

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