Grand Est : Toute l’économie perturbée

Fortes chaleurs, sécheresses, fonte des glaciers, inondations... Le Réseau Action Climat propose un panorama des conséquences du changement climatique dans toutes les régions de France. Quelles sont les impacts qui concernent la région Grand Est ?

FRANCE-TRANSPORT-CANAL-TOURISM
© Sébastien Bozon - AFP

Une hausse des températures responsable de sécheresses

Avec ses paysages variés, de ses grands espaces ruraux aux grandes zones urbaines, des bords du Rhin aux sommets des Vosges, la région Grand Est subit des conséquences très variées du changement climatique. Parmi celles-ci, la hausse des températures est observable dans toute la région, avec une forte accélération au cours des dernières années. Entre 1991 et 2020, la moyenne des températures a augmenté de 0,5 °C par rapport à 1981-2010[1]. Le réchauffement se poursuivra dans les prochaines décennies et devrait atteindre +1,6 à 1,9 °C en 2050 par rapport à la fin du siècle dernier (référence 1976-2005)[2]. En milieu de siècle, Strasbourg devrait ainsi atteindre un niveau de température similaire à l’actuel sud de la Drôme.

Cette hausse des températures se traduit aussi par une diminution des journées froides, avec des répercussions importantes sur les cycles de la faune et de la flore. D’ici la fin du siècle, le nombre de jours annuels de gel devrait diminuer de 19 jours d’ici au milieu du siècle[3]. Le nombre de journées chaudes augmente lui aussi en flèche : à l’horizon 2050 on pourrait observer 32 jours de vague de chaleur par an (contre une dizaine aujourd’hui). Un été comme celui de 2022, considéré comme exceptionnel, avec ses 33 jours de chaleur répartis en 3 vagues, pourrait donc devenir la norme dans les décennies à venir. À noter que les différentes zones géographiques ne seront pas affectées de la même façon : l’est des Vosges, par exemple, est particulièrement concerné et pourrait connaître jusqu’à 40 jours de vague de chaleur par an dès 2050. Ces périodes seront particulièrement marquées dans les métropoles et espaces urbanisés, où l’effet d’îlot de chaleur urbain[4] amplifie les effets des canicules.

L’une des conséquences découlant de ce réchauffement est l’augmentation des sécheresses, en nombre comme en intensité. En effet, avec une évapotranspiration[5] plus marquée, l’indice d’humidité des sols connaîtra un recul de plus en plus marqué au cours du siècle, en particulier dans le Sud (Moselle, Meurthe-et-Moselle). Cette tendance est déjà observable dans la région et a introduit un nouveau risque de retrait-gonflement des argiles (RGA)[6], rare voire inexistant avant les années 2000 en Grand Est. L’augmentation des catastrophes naturelles liées au RGA dans la région est spectaculaire : +564 % depuis le début du siècle, et +1132 % en Haute-Marne selon un rapport de l’association Conséquences[7] : il s’agit de la progression la plus élevée de France. Ce risque concerne aujourd’hui 2,7 millions d’habitants de la région, avec 46,5 % de la surface bâtie située en zone d’aléa fort.


Exposition au retrait-gonflement des argiles en région Grand Est[8]

Un climat plus sec se traduit aussi, pour la région, par des périodes d’étiages[9] plus longues et plus marquées (-10 à 20 % des débits d’étiage d’ici 2050), ainsi que par une recharge des nappes phréatiques ainsi que des lacs et réservoirs plus incertaine. Comme lors de la sécheresse inédite de 2022, la question des restrictions d’usage de l’eau sera de plus en plus prégnante, avec des conflits d’usage entre les fonctions domestiques, industrielles et agricoles de l’eau.

L’agriculture est un secteur important en région Grand Est, qui occupe la troisième place nationale en termes de surface agricole utile. En particulier pour la production végétale, qui représente 7 exploitations sur 10 dans la région, avec une grande diversité de cultures : blé, orge, maïs, colza, tournesol, betteraves, pommes de terre, viticulture… L’augmentation des températures et des sécheresses estivales entraîne une hausse des besoins en irrigation, difficiles à couvrir dans un contexte de déficit hydrique de plus en plus fréquent. En parallèle, ce manque d’eau conduit à des pertes de rendement importantes pour les grandes cultures, à l’image du colza dont les surfaces cultivées ont dû diminuer de 30 % pour s’adapter. De plus, les fortes chaleurs conduisent à un risque d’échaudage[10] et sont donc un autre facteur conduisant à des pertes de récoltes. Les échaudages sont responsables de 40 à 60% de la baisse de rendement de la région de la Champagne crayeuse entre 2008 et 2023. L’élevage n’est pas épargné puisque la filière subit non seulement ces fortes chaleurs qui entraînent des baisses de productivité et des risques pour la santé des animaux (en particulier les bovins), un tarissement de l’eau dédiée à l’abreuvement, mais aussi des déficits de fourrage dus aux sécheresses. En 2018 par exemple, la région fourragère de la Déodatie située dans l’Est des Vosges a par exemple connu une perte de production de 35 % par rapport à la moyenne. Sans oublier les décalages des cycles naturels (débourrement, floraison…) qui perturbent le développement des cultures (notamment via les épisodes de gel tardif) et entraînent un décalage des dates de récoltes. Cela concerne entre autres le secteur du vin, dont l’emblématique champagne. La hausse des températures entraîne notamment une augmentation des degrés d’alcool des cépages mais aussi du taux de sucre, qui va obliger les viticulteurs à s’adapter à ces changements. Cela comporte un risque de baisse de qualité de ces produits qui pourrait représenter des difficultés économiques et financières.

Des conséquences économiques dans tous les secteurs

À l’instar de l’agriculture, c’est toute l’économie d’une région qui doit dès aujourd’hui s’adapter aux effets néfastes du changement climatique, à commencer par le secteur de l’industrie, responsable de 54 % des prélèvements en eau en Grand Est[11] (hors énergie). Alors que la région est la troisième plus industrialisée de France, elle peut être amenée à tourner au ralenti en période de sécheresse : par exemple, un tiers des entreprises de l’agroalimentaire ont déjà dû limiter leur production à cause d’un arrêté sécheresse. Les épisodes de vagues de chaleur peuvent également entraîner un ralentissement voire un arrêt des activités quand les conditions de production et de travail ne sont pas réunies. Par ailleurs, l’exposition aux événements météorologiques extrêmes, comme les inondations (elles aussi aggravées par le changement climatique), constitue une menace, notamment pour les sites SEVESO en zone à risque.

Les infrastructures de transport sont elles aussi impactées par la chaleur et/ou la sécheresse : dégradation des routes, déformation des rails, retards sur les lignes de train dus aux surchauffes… Les lignes ferroviaires des Vosges, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin seront particulièrement exposées à l’horizon 2050. Le transport fluvial, indispensable au transport de marchandises sur le Rhin, est également mis à mal par la baisse des débits des cours d’eau. L’étiage historique du fleuve en 2018 avait entraîné une diminution par deux du trafic au port de Strasbourg et causé des hausses de prix sévères pour l’export de céréales et des pénuries d’essence en Allemagne.

Par ailleurs, la production d’énergie subit de lourds ralentissements : lors des sécheresses de 2022, la production hydraulique avait chuté de 21 % en France par rapport à l’année précédente. De même, la filière nucléaire, qui représente 70 % de la production d’énergie du Grand Est, 3e région française pour le nucléaire, est aussi limitée par les processus de refroidissement. À l’horizon 2050, les centrales en bord de cours d’eau, dont Chooz, Cattenom et Nogent, pourraient être contraintes de produire 2 à 3 fois moins d’énergie.

Enfin, notons que le secteur touristique subit aussi les conséquences du réchauffement global. Par la chaleur tout d’abord, comme la plupart des autres régions, avec des conditions qui limitent les visites touristiques, en particulier en ville durant les périodes de canicule, et donc leurs retombées économiques. Par ailleurs, ce sont les activités économiques en zone montagneuse qui devront adapter leur offre face à la forte baisse de l’enneigement. La hausse des températures y est plus marquée qu’en plaine : dans les Vosges, le réchauffement est déjà estimé à +1 °C pour la période actuelle (2020-2040 – par rapport à 1985-2006)[12] et pourrait atteindre plus de +4 °C en fin de siècle si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter. Si les précipitations hivernales sont en légère hausse, elles tombent de plus en plus sous forme de pluie (on observe une remontée de la limite pluie-neige), avec par conséquent une baisse de la neige au sol, surtout à basse et moyenne altitude. Le secteur culturel n’échappe pas non plus aux conséquences du changement climatique. Certains monuments et musées sont en effet exposés au retrait-gonflement des argiles ou au risque d’inondation, à l’image du musée Unterlinden de Colmar qui accueille jusqu’à 180 000 visiteurs par an, contraint d’évacuer 140 œuvres à la suite d’une crue à l’été 2011[13].

Forêts, biodiversité, santé : de nombreux effets en cascade

Couverte à 35 % de forêts, le Grand Est est la 4e région la plus boisée de France, et la 2e productrice de bois, filière elle aussi mise en difficulté par les diverses conséquences du changement climatique. La sécheresse tout d’abord, qui entraîne directement une perte de production de bois mais aussi, par effet domino, une vulnérabilité face aux ravageurs et au risque de feux de forêts. Historiquement limité dans la région, ce dernier pourrait doubler d’ici 2050, avec des conditions plus propices au déclenchement, au maintien et à la propagation d’incendies. Concernant les ravageurs, les nouvelles conditions favorisent les scolytes, processionnaires du pin et autres champignons, qui ont participé au dépérissement d’un tiers du bois récolté en Grand Est en 2020. Face à la combinaison de ces facteurs, le dépérissement forestier a été multiplié par plus de 10 en 50 ans[14]. En conséquence, les forêts émettent du carbone en région Grand Est[15], au lieu de jouer leur rôle naturel d’absorption, indispensable pour l’atténuation du changement climatique.

Cela n’est pas sans lien avec le recul de la biodiversité déjà bien entamé dans la région. On estime que 82 % de la biomasse d’insectes a disparu entre 1997 et 2024, et que 1300 espèces dont 70 oiseaux et 500 plantes sont menacées d’extinction. Les espèces habituées aux cours d’eau, zones humides et milieux froids sont en première ligne, confrontées à la dégradation des cours d’eau. De plus, la hausse des températures entraîne des déplacements de faune comme de flore et favorise le développement d’espèces envahissantes, créant de nouvelles concurrences.

Les animaux ne sont pas les seuls à être mal adaptés à ces nouvelles conditions climatiques : le changement climatique entraîne une série d’effets néfastes pour la santé humaine. Le principal risque est lié aux épisodes de canicules, provoquant des surmortalités importantes (1000 décès associés à la chaleur lors de la canicule de 2003) et autres complications : déshydratations, coups de chaleur, risques cardiovasculaires… qui affectent surtout les plus vulnérables. Les personnes âgées sont particulièrement exposées, or 10 % de la population régionale est âgée de plus de 75 ans, avec un vieillissement plus rapide que dans le reste de la France. Les maladies à vecteur (dengue, chikungunya…) sont aussi un risque en hausse, avec l’apparition du moustique tigre dans des zones toujours plus étendues : apparu en 2015 dans le Bas-Rhin, il a colonisé aujourd’hui 4 des 10 départements de la région (Meurthe-et-Moselle, Moselle, Bas-Rhin et Haut-Rhin)[16]. De même pour le risque d’allergie, en augmentation dans toute la France et pouvant déclencher des démangeaisons, conjonctivites et des symptômes plus graves : rhinites allergiques, asthme, eczéma… Pour finir, notons que de nombreux établissements de santé sont exposés aux aléas climatiques : 43 % sont situés sur un Territoire à Risque important d’Inondation, et 74 % dans une zone à risque moyen de retrait-gonflement des argiles.

Le rapport complet

Sources

[1] Climat HD par Météo France

[2] Météo France via Ouest France

[3] La Région Grand-Est – Changement climatique, la Région Grand Est se mobilise pour anticiper les risques

[4] Voir lexique

[5] Voir lexique

[6] Voir lexique

[7] Association Conséquences – Maisons fissurées – 20 millions de français exposés, beaucoup plus à l’avenir

[8] La Région Grand-Est – Changement climatique, la Région Grand Est se mobilise pour anticiper les risques

[9] Voir lexique

[10] Voir lexique

[11] La Région Grand-Est – Changement climatique, la Région Grand Est se mobilise pour anticiper les risques

[12] La Région Grand-Est – L’évolution de l’enneigement du Massif des Vosges

[13] L’Alsace – Musée Unterlinden : Spectaculaire inondation

[14] La Région Grand-Est – Changement climatique, la Région Grand Est se mobilise pour anticiper les risques

[15]  Haut Conseil pour le Climat – Rapport annuel 2023

[16] Cartes de présence du moustique tigre (Aedes albopictus) en France métropolitaine

Plus d'actualités