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Fonds de transition juste : un outil clé pour accompagner la transition des emplois

La transition écologique est créatrice d’emplois. Mais elle est également synonyme de recomposition des emplois pour des salariés, entreprises et territoires. Ces mutations doivent être accompagnées pour éviter les risques sociaux. C’est le rôle du Fonds de transition juste, un dispositif essentiel mais qui doit encore être renforcé.

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Dans de nombreux secteurs d’activité, la transition écologique contribue à rebattre les cartes entre catégories de salariés, entreprises et territoires. Source d’opportunités, elle est créatrice nette d’emplois. Mais elle génère aussi des risques qu’il faut bien identifier, maîtriser et accompagner. Si la transition écologique est loin d’être la seule cause des crises sociales en cours dans l’industrie, le risque est déjà clairement perçu pour certains salariés et territoires : à Saint-Avold, avec la fin de la production électrique à partir du charbon ; à Fos-sur-Mer, où l’avenir de la sidérurgie s’écrit encore en pointillés ; chez les sous-traitants automobiles, où les salariés subissent la crise de plein fouet les Plans de Sauvegarde de l’Emploi qui s’enchaînent ; les experts économiques se disent également inquiets pour d’autres secteurs, comme celui du ciment par exemple. 

Ces risques sont bien identifiés par les différents acteurs de la planification écologique en France. Des projets de Programmation Pluriannuelle de l’Energie et de la Stratégie Nationale Bas Carbone au rapport Pisani-Ferry sur le Marché du Travail, en passant par la stratégie emploi-compétence du Secrétariat Général à la Planification Ecologique, tous identifient bien ces “chocs” sur le marché du travail, ces métiers en diminution, ces fermetures de site en perspective, ces reconfigurations sectorielles à accompagner dans les territoires. Ils soulignent le rôle clé de l’anticipation pour accompagner la réallocation de la main d’œuvre, faciliter leur reconversion et proposer des alternatives aux territoires concernés.  

C’est tout l’enjeu du Fonds de Transition Juste, créé en 2021 dans le cadre du Pacte vert européen, comme “un instrument financier qui relève de la politique de cohésion et vise à soutenir les régions touchées par de graves difficultés socio-économiques résultant de la transition vers la neutralité climatique. Il facilitera la mise en œuvre du pacte vert pour l’Europe”. Ce fonds est doté d’un budget global de 17,5 milliards d’euros pour la période 2021-2027, à l’échelle européenne.

Pour la France, son budget est d’environ 1 milliard d’euros et porte pour une ambition financière de 2 milliards d’euros, en tenant compte des cofinancements. En France, 6 territoires sont concernés par le FTJ.

Carte FTJ
Source : Ministère du Travail, de la santé, des solidarités et des familles

Le FTJ vise à la fois à : 

  • soutenir la résilience économique et sociale des territoires en finançant une nouvelle dynamique de développement et en diminuant ses fragilités sociales ; 
  • favoriser l’accompagnement des reconversions des salariés et activités en transformation prioritaire. 

Il est décliné en 3 volets. Deux volets sont à la main des régions : financement de la transition écologique et énergétique d’une part, soutien à la compétitivité, la recherche et l’innovation de l’autre.

Le troisième volet est piloté par le Ministère du Travail : le programme national FTJ « Emploi et compétences », vise en particulier à soutenir la reconversion ou les formations des travailleurs et des demandeurs d’emploi, ainsi que l’anticipation des mutations économiques des territoires éligibles. Nous portons ici une attention particulière sur ce volet du Fonds, doté de 297 M€ (443 M€ avec co-financements). 

Alors que le Ministère du travail a engagé un point d’étape à mi-parcours, et que l’Europe planche sur la nouvelle architecture des fonds structurels, c’est le moment de tirer des enseignements de la 1ère phase de mise en œuvre de ce Fonds. A cette fin, le Réseau Action Climat a entamé une double démarche d’échange avec les parties prenantes pour mieux comprendre la déclinaison opérationnelle du FTJ sur les territoires, et d’analyse des données disponibles pour répondre à deux questions : 

  • Le Fonds de Transition Juste permet-il de couvrir tous les territoires et secteurs en situation de fragilité ?
  • Les financements déployés permettent-ils réellement d’accompagner la reconversion des emplois et les mutations économiques ? 

Ci-dessous, nous détaillons les 5 constats qui résultent de notre analyse ainsi que les recommandations qui en découlent. 

Constat n°1. Le Fonds de Transition Juste est un outil indispensable et pleinement justifié

Le FTJ est une bonne nouvelle pour la transition juste car il répond à plusieurs enjeux clairement identifiés en matière d’emploi en transition écologique :

  • Il s’appuie sur un besoin d’accompagner de manière renforcée des travailleurs potentiellement fragilisés par la transition écologique. 
  • Il s’appuie sur une approche sectorielle, pour anticiper l’impact social. Les scénarios de planification écologique s’appuient, d’ici à 2030, sur la mutation prioritaire des secteurs d’activité les plus émetteurs. Cela se traduit logiquement en matière d’emploi, et permet en effet d’identifier plusieurs secteurs clés. 
  • Il s’appuie sur une approche territoriale, ce qui se justifie dans l’ensemble des analyses par le fait que les activités en mutation prioritaire sont inscrites dans le cadre d’un écosystème local, qui peut être mis à risque. L’impact du déclin d’activités industrielles peut fragiliser la santé socioéconomique du territoire.
  • Le FTJ s’inscrit par ailleurs dans une logique de complémentarité, toujours sur le principe et dans les textes, dans le cadre d’une transition juste déjà partiellement “outillée” en termes de dispositifs et d’espaces de gouvernance identifiés.

Constat n°2. Dans sa version actuelle, le FTJ ne couvre pas la totalité des secteurs industriels émetteurs de gaz à effet de serre

La logique de double priorisation territoriale et sectorielle apparaît pertinente, car elle fait émerger des territoires principalement touchés par des activités directement émettrices (raffinage, chimie, sidérurgie, métallurgie, production d’énergie). Mais d’autres secteurs d’activités, qui en sont aujourd’hui exclus, seraient légitimes à recevoir des financements au titre de la transition juste des emplois et des compétences. A la lecture des projets de SNBC et PPE, ainsi que des plans de transition sectoriels analysés par l’Ademe, on peut en particulier citer les secteurs suivants : automobile ou bâtiment. 

Secteurs d’activité émetteurs de GES  Couverts par le Fonds de Transition Juste ?
cokéfaction et raffinage
Industrie chimique
Fabrication de produits minéraux non métalliques 
Sidérurgie et métallurgie
Production d’énergie 
L’industrie automobile, et toute industrie de construction liées aux véhicules thermiques (y compris camions, bus, tracteurs ou engins agricoles) ainsi que les services de l’automobile
Bâtiment, notamment le logement neuf 
Les activités de fret routier 
Les activités liées au gaz naturel et aux chaudières à gaz
Les activités de stockage des déchets.
l’industrie du papier et du carton

Constat n°3. Dans sa version actuelle, le FTJ ne couvre pas l’ensemble des territoires en situation de fragilité

A l’échelle européenne, le FTJ a d’abord ciblé les territoires accueillant les centrales thermiques à charbon. En France, la sélection des territoires prioritaires s’est faite sur la base d’une approche sectorielle plus large, priorisant des secteurs industriels très émetteurs, donc à forte recomposition attendue. Au total, 6 territoires français ont été sélectionnés pour bénéficier des fonds.

Mais à partir d’une approche plus complète de la planification écologique, et en croisant avec d’autres indicateurs de fragilité (taux d’emplois dans les industries émettrices et le secteur pétrolier, taux d’emplois dans les secteurs en transformation prioritaire d’après la Stratégie française pour l’énergie et le climat, taux de chômage), on constate que de nombreuses autres zones en situation de fragilité mériteraient de bénéficier des financements du FTJ, mais se retrouvent en dehors du périmètre. En particulier, 9 zones d’emploi cumulant 3 indicateurs de fragilité synthétiques proposés dans notre analyse n’ont actuellement pas accès aux financements du FTJ. Les zones d’emploi qui cumulent 2 voire, a fortiori, 3 risques (voir carte ci-contre) devraient pourtant appeler à une attention retenue et, suivant la logique analysée dans ce rapport, à des moyens renforcés pour contribuer à leur résilience. Cette analyse gagnerait à être approfondie et, surtout, soumise au débat dans le cadre d’une gouvernance élargie.

Zone d’emploi Cumul de fragilités
Bagnols-sur-Cèze 3
Bollène-Pierrelatte 3
Castelsarrasin-Moissac 3
Charleville-Mézières 3
Château-Thierry 3
Creusot-Montceau 3
Dunkerque 3
Maubeuge 3
Romilly-sur-Seine 3
Saint-Dié-des-Vosges 3
Sedan 3

Constat n°4. Les financements sont insuffisamment alloués au maintien de l’emploi pour les secteurs et territoires prioritaires

Les chiffres sont assez nets : actuellement, la France finance peu de projets relatifs aux reconversions d’activités économiques dans les secteurs à risque d’emploi. Sur un budget FTJ d’environ 1 milliard d’euros, les financements alloués au maintien dans l’emploi pour les secteurs et territoires prioritaires représentent à ce stade 65 M€, soit, à ce stade 6,3 % du budget global (et un peu moins de 50% des dépenses effectivement engagées sur le volet emploi-formation du FTJ). A ce rythme, le FTJ risque de manquer sa cible s’il n’est pas capable d’anticiper et d’accompagner le “risque en emploi”, a minima dans les territoires et secteurs ciblés. La grande majorité des projets financés sur le volet emploi-formation du FTJ concerne l’insertion des demandeurs d’emploi, objectif louable, mais qui recoupe en partie celui d’autres dispositifs (comme le Fonds social européen), et ne répond pas à la préoccupation des travailleurs des secteurs en transformation. Le bilan à mi-parcours constitue probablement une opportunité pour ajuster le tir, et tout faire pour éviter que les salariés concernés par ces enjeux ne risquent le chômage. 

Constat n°5. Le pilotage mérite d’être renforcé pour maximiser l’impact des financements

Les entretiens avec les opérateurs dans les territoires pointent tous le manque de cohérence et de pilotage global : il existe une diversité d’initiatives utiles, mais elles restent encore peu structurées dans l’ensemble. Sur les territoires, des travaux de diagnostic, des initiatives en matière de gouvernance ou de financement de la cohésion sociale (insertion professionnelle) coexistent. Il manque des lignes directrices partagées par l’ensemble des acteurs, et la logique d’appel à projet ne permet pas de favoriser le développement d’initiatives sur des sujets sous-investis. A l’échelle nationale, le Fonds de Transition Juste n’est même pas mentionné dans les projets de PPE et de SNBC. Par ailleurs, les parties prenantes, et au premier lieu desquels les partenaires sociaux et associations environnementales, sont encore trop peu associées au pilotage.

Nos principales propositions renforcer l’impact du Fonds de Transition Juste

  1. Renforcer le Fonds de Transition Juste : à l’heure du renouvellement du budget européen, en matière de fonds structurels, le Fonds de Transition Juste doit d’abord être conforté, a minima dans ses principes, et dans ses moyens.
  2. Élargir son périmètre : adapter les critères d’accès (secteurs/territoires) et permettre une évolution des priorités du FTJ.
  3. S’appuyer sur une analyse, pour chaque zone d’emploi, des impacts en emploi de la transition écologique par les territoires identifiés en niveau 2 ou 3 de fragilité par zone d’emploi.
  4. Simplifier l’accès au FTJ pour les opérateurs, et -sous réserve de compatibilité avec la Stratégie Française pour l’Energie et le Climat– lever les blocages, en particulier sur le volet 1, pour le financement des reconversions d’activités industrielles émettrices, et sur le volet 3, sur le financement de reconversions et de formations des personnes issus des secteurs en transformation.
  5. Renforcer la part des financements alloués à la reconversion des emplois en situation de fragilité, en faisant notamment le lien avec la refonte en cours des dispositifs de reconversion professionnelle.
  6. Renforcer la transparence sur les choix des projets et l’affectation des financements, via un reporting plus régulier.
  7. A l’échelle territoriale, utiliser les GPEC comme lignes directrices (la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), et favoriser l’appui à la réorientation stratégique ou à l’émergence de Gestion des Emplois et Parcours Professionnels au sein des entreprises, en particulier pour les moins outillées en ingénierie ou les plus fragiles (PME, sous-traitance…).
  8. Mettre en place une gouvernance partagée au niveau national et territorial pour accompagner les appels à projets, adapter les dispositifs, faciliter la remontée d’alertes et de bonnes pratiques issues des territoires, etc. Dans ce cadre, la place des partenaires sociaux doit être nettement renforcée.
  9. Assurer la mise en cohérence régulière des trois volets du FTJ, en favorisant l’appui prioritaire aux secteurs en transformation, sur le plan de l’investissement, de l’emploi et des compétences.
  10. Mettre le FTJ au service d’une trajectoire énergétique, écologique et industrielle de la France dans le cadre d’une planification écologique et industrielle cohérente, ambitieuse, territorialisée. Clarifier globalement la direction prise de manière stratégique pour l’économie et les secteurs en transition.

Le Fonds de transition juste, un outil clé pour accompagner la mutation des emplois en France
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