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Une Europe neutre en gaz à effet de serre d’ici 2050 : le plan de la Commission

À la veille de la COP24, le Commissaire européen au climat, Miguel Arias Cañete, a présenté au nom de la Commission européenne, une Stratégie pour rendre l’Europe neutre en gaz à effet de serre d’ici 2050. Le Réseau Action Climat décrypte pour vous les bons points et les moins bons.

Copyright : Gérard Colombat
Siège de la Commission européenne, Bruxelles

La Commission reconnaît que la politique actuelle nous amènerait à réduire nos émissions de seulement 60% d’ici 2050 et que l’Europe serait donc complètement hors des clous de l’accord de Paris. Afin de remédier à cela, la Commission souhaite donner à l’Europe une trajectoire de réduction des émissions pour atteindre la neutralité en gaz à effet de serre d’ici 2050. C’est en effet le minimum pour maintenir des chances de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C.

Cette Stratégie de long-terme pour le climat arrive à point nommé pour ouvrir le débat sur ce que l’Europe doit faire pour prendre sa juste part dans la lutte globale contre le dérèglement climatique. Elle envoie un message d’espoir pour l’Europe, mais encore faut-il que les États la valident.

Pourquoi une nouvelle Stratégie pour le climat ?

La dernière Stratégie européenne sur le climat date de 2011 et fixe un objectif de réduction de 80% à 95% des émissions en 2050. Un tel objectif est obsolète au regard de l’accord de Paris et doit être révisé.

L’accord de Paris prévoit que tous les pays atteignent la neutralité en gaz à effet serre, c’est-à-dire l’équilibre entre les émissions anthropiques et les absorptions par les puits, d’ici la seconde moitié du siècle. Pour contribuer de manière équitable et juste à cette transition, l’Europe doit atteindre cet horizon bien avant 2050.

Le récent rapport du GIEC publié en octobre démontre qu’il est impératif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C pour considérablement réduire les risques qui pèsent sur les populations. La Stratégie européenne doit intégrer cet objectif.

Ce qui paraissait impossible en 2011 est aujourd’hui atteignable car nous avons toutes les solutions en main. Comme le rappelle la Commission européenne, le coût des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique a drastiquement baissé, rendant les technologies de la transition écologique extrêmement compétitives.

Les risques économiques du dérèglement climatique ont explosé, rendant le coût de l’inaction beaucoup plus élevé que le coût de l’action pour lutter contre la crise climatique.

Coût du dérèglement climatique en Europe dans un monde à 3°C

L’Agence européenne de l’environnement évalue les pertes économiques dues au dérèglement climatique à plus de 190 milliards d’euros par an.

Quelle transition pour l’Europe ?

La Commission explique que la transition écologique est une politique sans regret car elle améliorera considérablement la qualité de vie des européens, réduira la pollution de l’air et créera des millions d’emplois partout sur le continent.

L’équation financière de cette transition est largement positive. Si l’investissement annuel est compris entre 520 et 575 milliards d’euros, les bénéfices économiques sont, quant à eux, considérables. Au-delà du nombre de vies sauvées, les économies engendrées sur les dépenses de santé liées à la pollution de l’air pourraient s’élever à plus de 200 milliards d’euros par an. L’Europe économiserait également 266 milliards d’euros par an en importations d’énergies fossiles.

266
c’est le montant des importations d’énergies fossiles que l’Europe économiserait si elle était neutre en émissions (en milliards d’euros)

Une Stratégie de long-terme pour une action de court terme ?

De nombreux acteurs économiques, syndicats et organisations de la société civile se mobilisent en faveur d’une Europe neutre en gaz à effet de serre d’ici 2050 car ils ont compris que les transformations profondes de l’économie, des modes de production et de consommation ouvraient d’innombrables opportunités. Un objectif de long terme donne un signal à l’ensemble des acteurs, autorités publiques, collectivités, entreprises et permet ainsi de planifier la transition écologique et de répartir les investissements dans le temps.

Le rapport du GIEC rappelle que retarder l’action ne fait que réduire nos chances et augmenter les risques qui pèsent sur les populations. C’est pour cela que la Stratégie européenne pour le climat doit non seulement fixer une vision et un cap de réduction de gaz à effet de serre à long-terme, mais aussi des politiques publiques à mettre en œuvre dès maintenant.

Or sur ce point, même si la Commission reconnaît que l’Union ne fait pas assez, elle refuse de proposer un nouvel objectif climatique pour 2030 et de réviser les politiques et mesures sur le court terme. C’est une opportunité manquée.

Quel processus politique pour adopter cette Stratégie ?

La Commission lance un grand débat sur le futur de l’Union européenne à travers la publication de cette stratégie. Sa mise en oeuvre bouleversera l’ensemble des secteurs économiques et de la société.

Les chefs d’États et de gouvernements devront trancher sur quelle sera la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pour l’Europe lors d’un sommet sur le futur du projet européen le 9 mai 2019.

L’objectif d’une Europe neutre en gaz à effet de serre bien avant 2050 doit être soutenu et décliné par les Etats dans leurs stratégies nationales. La France devra porter cet horizon en Europe ainsi que la nécessaire mise en cohérence des politiques et objectifs de court-terme, tout en accompagnant cette transition de mesures socialement justes.

Quelle trajectoire secteur par secteur ?

Tous les secteurs d’activités devront contribuer à cette transition. La Commission met sur la table des propositions intéressantes, mais attention aux fausses solutions pour le climat.

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Énergie

✅ La Commission européenne souhaite la diminution par deux de la consommation européenne d’énergie. La rénovation profonde des bâtiments est la priorité dans cette bataille car elle pourra à la fois réduire la facture écologique et la facture sociale en faisant sortir de la précarité énergétique les 50 millions d’européens qui s’y trouvent.

✅La Commission reconnaît le rôle incontournable des énergies renouvelables dans cette transition, notamment grâce à la baisse drastique de leurs coûts, faisant de cette énergie la plus compétitive.

❌Malheureusement, elle ne dessine pas une Europe 100% alimentée par des énergies renouvelables alors même que plusieurs études ont montré la faisabilité et la désirabilité d’une telle transition.

❌ Pire, la Stratégie de la Commission laisse clairement la porte ouverte aux énergies fossiles, en particulier le gaz fossile, mais aussi le charbon, en refusant de détailler un plan de sortie de ces énergies. Elle va même jusqu’à accepter le maintien de centrales à charbon, notamment celles en cours de construction en Pologne, si elles s’équipent en technologies de captage et de stockage de carbone (CCS). Cette technologie est extrêmement coûteuse et surtout très peu maîtrisée à ce jour, ce qui représente un risque important tant pour l’environnement que pour les populations.

❌ Par ailleurs, la Commission estime que le nucléaire devrait être maintenu en Europe et s’établir autour de 15% du mix électrique européen. Alors que les centrales nucléaires françaises frôlent les 40 ans d’exploitation, les maintenir jusqu’en 2050 serait un risque considérable en termes de sûreté et de coût. De même, les nouveaux programmes nucléaires type EPR sont des fiascos financiers et techniques, puisqu’ils coûtent deux fois plus cher que des installations renouvelables. Le nucléaire n’est pas une solution viable pour le climat en 2050.

Avec la baisse drastique de leurs coûts, seul un mix énergétique reposant sur 100% d’énergies renouvelables est véritablement compatible avec une Europe neutre en gaz à effet de serre.

Transport

✅Pour la première fois, la Commission européenne reconnaît qu’un changement de mobilité des européens sera nécessaire pour la transition écologique de l’Europe. Les formes de mobilité active, comme le vélo ou la marche, sont mises en avant. Ces solutions ne doivent pas être sous-estimées face aux évolutions technologiques mises en avant par la Commission. Le GIEC estime que réduire la demande et assurer un report vers des modes propres constituent un levier tout aussi important pour garantir une neutralité en 2050.

✅De la même manière, la Commission reconnaît que certains modes de transport doivent être privilégiés pour réduire drastiquement les émissions de CO2, c’est le cas du fret ferroviaire.

Une transition technologique est également nécessaire pour la plupart des modes de transport en Europe. La Stratégie prend en compte différentes solutions technologiques, comme l’électrification ou l’hydrogène.

❌En revanche, elle ne précise pas que cette transition doit s’accompagner de garde-fous environnementaux, notamment pour l’électrification des flottes et l’utilisation des carburants alternatifs.

L’utilisation de carburants alternatifs est ainsi massivement renforcée au sein de la Stratégie. Cela pose notamment des questions de compétition sur l’usage des terres en Europe et dans le reste du monde. Celle-ci accélère la déforestation et impacte négativement la sécurité et la souveraineté alimentaire des populations dans les pays du Sud. L’Union Européenne doit mettre fin à l’utilisation des agrocarburants dans les transports, et l’utilisation de carburants avancés doit être soumise à de strictes critères de soutenabilité.

❌Si la Commission sort du prisme du tout-voiture, qui reste le paradigme dominant dans la majorité des sociétés européennes, elle ne prévoit pas de plan de sortie des énergies fossiles dans le transport à un horizon compatible avec l’objectif 1,5°C, et reste très prudente sur les transformations industrielles qui devront être faites dans le secteur de l’automobile.

✅La Commission entend favoriser l’égalité entre tous les modes de transport, ce qui est positif. Ce constat doit être traduit de manière concrète par le biais de mesures réglementaires et fiscales visant à mettre fin à la concurrence déloyale de secteurs polluants largement sous-taxés, notamment l’aviation.

Agriculture et secteur des terres

La Commission européenne n’a pas pris la mesure des enjeux concernant le secteur agricole et des terres. En effet, elle ne propose que des solutions centrées sur la technologie et sur l’importation massive de biomasse, plutôt que de recentrer sa Stratégie sur l’améliorer de la qualité alimentaire des européens et la transformation de notre modèle agricole, vers l’agroécologie notamment.

❌ Elle place, sur un même pied d’égalité, et ce contrairement aux enseignements du dernier rapport du GIEC, la réduction permanente des émissions et la séquestration de celles-ci dans le secteur agricole. En omettant les limites et dangers de la compensation des émissions, la Stratégie comporte un risque pour la souveraineté alimentaire.

Les solutions pour le climat dans l’agriculture sont connues et ont été soulignées par plusieurs études : elles impliquent la transformation de notre modèle agricole vers une agriculture européenne sans pesticides, sans engrais de synthèse pour réduire le protoxyde d’azote et par un changement de nos modes de production et de nos habitudes alimentaires, notamment par la réduction de la consommation de produits animaux et l’amélioration de la qualité des produits (élevage tout à l’herbe, agriculture biologique, etc).

❌ L’approche 100% technologique de la Commission n’est donc pas la bonne voie pour l’Europe car elle ouvre la porte aux OGM et à l’agriculture de conservation qui est associée à l’utilisation du glyphosate. Ça n’est bon ni pour les Européens, ni pour la planète.

❌ Enfin, la Commission estime que la demande de biomasse devrait bondir de 80% d’ici 2050 que ce soit pour l’énergie (agrocarburants, bois énergie etc.) ou pour les matériaux. Cela implique une intensification de l’exploitation forestière en Europe et dans le monde et un changement radical de l’usage des sols, ce qui a nombreuses conséquences négatives : déforestation directe ou indirecte, accaparement des terres, violation des droits des peuples autochtones, impacts sur la souveraineté alimentaire et accentuation de la volatilité des cours mondiaux des produits alimentaires de base.

Cette politique est une menace pour les puits carbones que sont les forêts et les sols, et pour les populations en Europe et dans les pays du Sud.

Quelle fiscalité pour cette transition ?

La Commission rappelle que l’application du principe de pollueur-payeur doit être généralisée, notamment dans le secteur du transport, ce qui implique de mettre fin aux subventions aux énergies fossiles. Pourtant, la Stratégie ne mentionne aucune piste supplémentaire pour mettre en oeuvre une fiscalité écologique. Alors que l’aviation est en plein essor, l’Europe a les moyens d’internaliser le coût environnemental de ce mode de transport par la mise en place d’une taxe sur le kérosène à l’échelle du continent.

Concernant, les subventions aux énergies fossiles, la Commission est en contradiction avec elle-même : elle a récemment refusé de couper les robinets pour les énergies fossiles, et en particulier le gaz, dans sa proposition de Budget européen, ce qui représente plus de 1200 milliards d’euros pour 2021-2027. La Stratégie européenne pour le climat doit lui permettre de rectifier le tir.

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