Décryptage : pourquoi la COP26 n’a pas été à la hauteur
La COP26 vient de s’achever à Glasgow. Reportée d’un an en raison de la pandémie de COVID-19 et alors que les impacts du changement climatique s’intensifient partout dans le monde, cette COP suscitait de fortes attentes, en particulier vis-à-vis des pays riches, historiquement responsables des émissions de gaz à effet de serre.
Au cœur des demandes : augmenter les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à court terme et accroître les financements pour permettre aux pays du Sud de s’adapter au changement climatique. Malgré quelques avancées, les décisions de cette COP26 ne reflètent toujours pas l’urgence d’agir. Pire, elles ne fournissent aucune solution concrète pour les communautés déjà affectées par les conséquences du changement climatique.
Pour l’Accord de Paris, quelques avancées, bien trop maigres face à l’urgence climatique
Six ans après la COP21, Glasgow sera parvenu à finaliser le manuel d’application de l’Accord de Paris, en concluant notamment des négociations qui duraient depuis plusieurs années sur ses règles de fonctionnement . L’Article 6 de l’Accord de Paris (sur le fonctionnement des marchés carbone) a été adopté, ainsi que les textes sur la mise en œuvre du cadre de transparence et les calendriers communs, indispensables pour s’assurer que les États uniformisent la manière de dresser le bilan de leurs efforts dans la lutte contre le changement climatique. L’adoption de ces textes était attendue et clôture désormais la phase de négociations sur l’Accord de Paris pour rentrer dans la mise en œuvre effective et, dans deux ans, la première évaluation (appelée dans le jargon le “Bilan Global”).
Zoom Sur… l’article 6 de l’Accord de Paris
Deux nouveaux marchés du carbone, c’est -à -dire des marchés permettant d’échanger des unités de réduction de CO2, ont été instaurés sous l’Accord de Paris. L’accord trouvé à la COP 26 permet d’engranger quelques garanties sur l’intégrité environnementale (notamment en interdisant le double comptage) mais annonce également des lacunes dangereuses pour l’ambition climatique. De même, les marchés carbone s’appuyant pour beaucoup sur les méthodes de compensation comme un levier d’action mettent ainsi en péril l’objectif premier de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.
Concernant les droits humains, malgré la mention d’un mécanisme de plainte indépendant, le langage de l’Accord trouvé n’est pas suffisamment fort et opérationnel au regard des risques que ces nouveaux marchés de l’Article 6 vont faire peser sur les communautés locales et en particulier sur les peuples autochtones.
Un florilège d’annonces politiques, finalement peu contraignantes
Les attentes étaient claires : cette COP devait permettre de combler l’écart entre les plans actuels de réductions d’émissions des pays (qui nous mettent sur une trajectoire de +2,4°C d’ici 2100) et les objectifs que les pays devraient avoir pour respecter l’Accord de Paris et limiter le réchauffement à +1,5°C.
A Glasgow, les pays étaient unanimes : il faut accélérer l’action climatique afin de respecter l’Accord de Paris. Ces deux semaines de COP ont donc vu un florilège d’annonces sectorielles, en parallèle des négociations. Parmi les plus importantes :
30 pays, dont la France, qui a pris tardivement le train en marche, ont signé une déclaration pour mettre fin au financement des énergies fossiles non-compensées à l’étranger d’ici à 2022.
Une déclaration pour réduire les émissions de méthane de 30% d’ici à 2030 a également été signée par plusieurs pays
La Beyond Oil and Gas Alliance (BOGA), qui vise à mettre fin à la production de pétrole et gaz (sans calendrier), a officiellement été lancée et rejointe par la France.
Si ces initiatives ne sont pas complètement inintéressantes, elles sont trop floues ou incomplètes pour entraîner les basculements nécessaires.
Les nombreuses lacunes de ces alliances et déclarations permettent également aux pays de continuer le business as usual. A titre d’exemple, la France a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne changerait pas son calendrier de fin des financements aux énergies fossiles à l’étranger, qui est fixé à 2025 pour les projets pétroliers et à 2035 pour les projets gaziers.
Même si la France s’est engagée à arrêter les financements aux énergies fossiles d’ici 2022, une clause spécifie que cela ne s’appliquerait pas aux projets avec des activités de captage et de stockage du carbone, or cela représente la totalité des projets fossiles en France.
Autre limite, avec la complicité des Etats-Unis et de l’Union Européenne, qui ne s’y sont pas formellement opposés, New Delhi et Pékin ont imposé des changements à la dernière minute dans le texte final, rendant moins contraignants les engagements pris sur les énergies fossiles. D’un arrêt total des énergies fossiles, nous sommes donc passés à une réduction progressive du charbon. Ces pays refusant à juste titre, que si les pays riches et développés ne font pas leur part, ce n’est pas à eux de faire la leur en premier.
La justice climatique, la grande oubliée de la COP26
Encore une fois, cette COP n’est pas parvenue à répondre aux attentes des pays en développement qui sont en première ligne des impacts climatiques alors même qu’ils en sont les moins responsables. Ils demandaient notamment aux pays riches de tenir enfin leur promesse de fournir les financements nécessaires à leur adaptation mais aussi de débloquer des fonds additionnels pour pouvoir faire face aux pertes et dommages, c’est à dire les conséquences irréversibles du changement climatique (disparition de petites îles face à la montée du niveau des mers, salinisation des terres..).
Les 100 milliards de dollars par an, promis en 2009 par les pays riches pour financer l’adaptation et l’accélération de la transition énergétique des pays du Sud ne seront pas atteints avant 2023, sans qu’aucune compensation ne soit prévue pour le manque à gagner des pays du Sud d’ici là.
Le texte final de la COP mentionne que la part du financement consacrée à l’adaptation sera doublée d’ici à 2025 (par rapport aux niveaux de 2019) afin d’atteindre 40 milliards de dollars, mais cela est tout à fait insuffisant. En effet, que si les pays riches avaient respecté leur promesse, le montant alloué à l’adaptation aurait déjà dû être de 50 milliards de dollars en 2020. Les pays riches ont catégoriquement refusé d’inscrire dans les textes l’objectif de consacrer 50% de leur finance climat aux projets d’adaptation, laissant les pays pauvres avec un maigre lot de consolation, très loin de leurs besoins.
Les pertes et dommages, une percée fulgurante mais encore insuffisante pour faire une réelle différence pour les pays affectés
Après des années de refus des pays riches et développés d’aborder la question du financement des pertes et dommages, ce sujet s’est hissé en haut de l’agenda politique de cette COP en raison de la mobilisation des pays du Sud et de la société civile. L’enjeu est pour le moins sensible: il s’agit d’obtenir un engagement des pays pollueurs à payer les coûts des pires impacts du changement climatique qu’ils ont causé de par leurs émissions de gaz à effet de serre et que subissent de plein fouet les pays les plus vulnérables.
Au cœur des demandes portées à cette COP : opérationnaliser le réseau de Santiago pour les pertes et dommages afin de fournir un soutien technique aux pays touchés et mobiliser des financements dédiés aux pertes et dommages, additionnels aux 100 milliards de dollars.
Zoom sur… Le Réseau de Santiago
Créé à la COP25, le « réseau de Santiago », a pour objectif de connecter les pays vulnérables du Sud avec des personnes et organisations dotées d’une expertise technique et de ressources pour les aider à prévenir, limiter et répondre aux pertes et dommages.. Son problème ? Jusqu’à maintenant, il se limitait à un site web où les pays du Sud pouvaient poster leurs besoins mais sans vraiment obtenir de réponse. A Glasgow, un accord a été trouvé sur le fond c’est-à-dire sur les fonctions que remplira le réseau mais pas sur le forme c’est-à-dire par qui et comment il va être piloté. Cela devra attendre la COP27. Les annonces en toute fin de COP de plusieurs pays comme l’Allemagne et le Danemark d’enveloppes financières pour faire fonctionner le réseau sont toutefois un signal encourageant.
En revanche, sur le sujet épineux des financements pour les pertes et dommages, on a assisté à un blocage en bonne et due forme des pays du Nord, notamment les Etats-Unis et l’Union européenne dont la France. Pendant la COP, le bloc de négociations le plus conséquent, comprenant 135 pays pauvres et émergents (le G77 + la Chine) et représentant 5 milliards d’individus, avait proposé la création d’un instrument financier intitulé “facilité de Glasgow pour les pertes et dommages”. Or cette proposition n’a jamais été intégrée dans aucun des brouillons du texte de la COP, et encore moins dans sa version finale, démontrant le peu de cas des pays riches vis-à-vis des attentes des pays vulnérables. A la place, un dialogue de deux ans sera organisé pour discuter des “arrangements financiers pour prévenir, limiter et répondre aux pertes et dommages, sans garantie aucune qu’il aboutira à un soutien financier concret de la part des pays riches.
Seule lueur d’espoir: l’Écosse et la Wallonie ont entendu l’appel des pays les plus vulnérables et ainsi annoncé respectivement 2,3 millions et 1 million d’euros pour répondre aux pertes et dommages, brisant un tabou parmi les riches nations.Malheureusement, pour l’instant, aucun autre pays ne leur a emboîté le pas. Or les besoins pour répondre aux pertes et dommages sont estimés à 580 milliards d’euros par an d’ici 2030, uniquement pour les pays du Sud.
Une COP des pays riches… sans les pays du Sud
Alors que la présidence britannique avait assuré vouloir organiser “la COP la plus inclusive de tous les temps” et que le nombre de participants enregistrés a atteint un record (30.000), de nombreux obstacles logistiques et administratifs ont empêché une participation équitable. Le système de tickets mis en place par la présidence britannique lors des deux premiers jours a empêché les observateurs d’assister aux négociations et la plateforme digitale censée permettre de suivre les débats en ligne ne fonctionnait que par intermittence.
Enfin, certaines personnes ont décrit cette COP comme “la plus blanche jamais vue”, du fait de l’absence de nombreux observateurs de la société civile du Sud, empêchés de faire le voyage à cause des difficultés d’accès au territoire britannique.
Et la biodiversité dans tout ça ?
Les crises de la biodiversité et celle du changement climatique sont interconnectées. Lutter contre le changement climatique implique donc forcément de protéger et restaurer la nature et les écosystèmes. Pourtant, la biodiversité, qui bénéficie de ses propres COP (la COP15 biodiversité devait se tenir en Chine en octobre a été repoussée en mai prochain,) a souvent été absente des COP dédiées au climat. L’une des attentes de la société civile était donc de s’assurer que la protection et la restauration de la nature figurait également dans les décisions de la COP26.
Pour la première fois, le texte final mentionne la protection de la nature et des écosystèmes en lien avec la nécessité de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C mais sans mise en œuvre réelle.
Après la COP26, les prochains rendez-vous pour le Climat
Les pays se retrouveront l’année prochaine en Egypte pour la COP27. C’est maintenant au niveau national et européen que l’action climatique doit s’intensifier pour réduire davantage les émissions et accroître la solidarité climatique. En tant que prochaine Présidente du Conseil de l’Union Européenne, la France aura un rôle particulièrement important à jouer dans les prochains mois.
Cet article est réalisé grâce à l’appui financier de l’Agence française de développement. Les contenus présentés et les opinions exprimées sont celles du Réseau Action Climat-France. Elles n’engagent ni la responsabilité ni les positions de ses partenaires et services associés.
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