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Décryptage de la COP 27 : une décision historique sur les pertes et dommages mais un gros point noir sur les énergies fossiles

La COP27 vient de s’achever à Sharm el-Sheikh. Elle devait permettre de répondre aux impacts du changement climatique, de plus en plus criants. Si la création d’un fonds pour financer les pertes et dommages dans les pays en développement est une énorme avancée, aucun accord n’a été trouvé sur la sortie des énergies fossiles.

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© Bianka Csenki

Pertes et dommages : une victoire historique

Cette COP s’est déroulée en Afrique, un continent particulièrement touché par les impacts du changement climatique alors qu’il est responsable de moins de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour une fois, il s’agissait de mettre à l’agenda les priorités des pays en développement, notamment une question mise sur la table il y a plus de 30 ans par les petits États insulaires et qui avait jusque-là fait l’objet d’un blocage complet des pays développés, celle du financement des pertes et dommages. Ce sont les impacts irréversibles du changement climatique (liés aux inondations ou cyclones meurtriers, l’inéluctable montée du niveau des mers..). La plupart des pays en développement n’ont pas les moyens de reconstruire les infrastructures, de dédommager les populations touchées et de les reloger correctement. Pourtant, ils ne sont pas responsables de la crise climatique, étant très peu pollueurs par rapport aux pays du Nord, comme ceux de l’Union Européenne ou les États-Unis. C’est donc un enjeu de justice climatique que de sécuriser un appui des pays développés pour aider ceux du Sud à se reconstruire et d’appuyer les communautés dont le quotidien a été bouleversé à rebâtir une vie dans des conditions décentes.

Après de longues tergiversations, on a vu un progrès notable : ENFIN, les pays développés ont reconnu la nécessité de financer les pertes et dommages. La politique de l’autruche est terminée, l’Union européenne a même été force de proposition et a changé de position depuis la COP26. Après des négociations houleuses, notamment sur la question d’équité (qui doit contribuer à ce fond), les pays développés ont fini par adopter la proposition des pays en développement. Les pays devront maintenant s’atteler à définir les fonctions de ce fonds, où trouver l’argent pour l’abonder et comment s’assurer que l’argent est alloué aux populations qui en ont le plus besoin. Autre bonne nouvelle : les États ont trouvé un accord pour rendre opérationnel dès 2023 le Réseau de Santiago sur les pertes et dommages, créé à Madrid en 2019. Ayant pour rôle de fournir une assistance technique aux pays vulnérables afin qu’ils puissent évaluer et chiffrer leurs besoins en pertes et dommages et identifier le type d’interventions nécessaires pour y répondre, le Réseau de Santiago est une pièce maîtresse du puzzle pour une réponse efficace aux pertes et dommages. Reste maintenant aux pays riches à garantir une mise en route efficace de cet outil dans les meilleurs délais à l’aide de contributions financières car les quelques dizaines de millions promis jusque-là, notamment par plusieurs pays européens, ne seront pas suffisants.

Des financements climat toujours aussi loin du compte

Les pertes et dommages sont essentielles dans la lutte contre le changement climatique, mais pour les réduire le plus possible, il faut aussi financer deux autres volets importants de l’action climatique : l’atténuation (la réduction des émissions de gaz à effet de serre) et l’adaptation (se protéger pour mieux faire face aux impacts). Effectivement, moins les émissions baisseront, plus les impacts du changement climatiques augmenteront . Et si les pays en développement mettent en place des mesures d’adaptation à ces impacts, comme l’évolution de l’agriculture, des villes et des infrastructures pour résister à de plus fortes chaleurs ou à la montée du niveau des mers, les réparations (pertes et dommages) seront moins coûteuses. Il faut donc traiter ces trois aspects avec la même ambition.

Or malheureusement, la COP27 a cruellement manqué de résultats concrets sur la finance pour l’adaptation et l’atténuation dans les pays en développement. Pourtant, l’adaptation était une des priorités affichées par la présidence égyptienne. L’an dernier, les pays développés s’étaient engagés à doubler la finance pour l’adaptation d’ici 2025. La COP27 aurait dû fixer une feuille de route claire pour atteindre cet objectif. Cela n’a pas été le cas. Plus décevant encore, les pays riches n’ont toujours pas honoré leur engagement pris en 2009 de fournir 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 aux pays en développement Les sommes ne sont pas livrées dans leur entièreté (83,3 milliards en 2020) et le sont essentiellement sous forme de prêts à rembourser. La COP27 n’a pas apporté la garantie que la promesse serait enfin tenue.

Les énergies fossiles restent un sujet tabou

Si cette COP a contribué à apporter un début de réponse aux impacts du changement climatique, peu de progrès ont été réalisés sur les causes du changement climatique. Si quelques pays ont poussé pour que la sortie de toutes les énergies fossiles figure dans le texte final, d’autres pays y étaient au contraire fortement opposés. La présence en masse des lobbies des entreprises fossiles et une présidence égyptienne qui leur a déroulé le tapis rouge n’a pas contribué à porter ce sujet sur le devant de la scène.Résultat, aucun progrès sur le front de la réduction des émissions par rapport à Glasgow. Il est pourtant nécessaire de sortir le plus rapidement des énergies fossiles pour pouvoir respecter l’Accord de Paris et limiter le réchauffement de la planète à +1,5°C, mais ce sujet reste épineux.

Marchés carbone et agriculture : des fausses solutions à la place des transformations nécessaires

Le fameux article 6, se chargeant de mettre en place l’opérationnalisation des marchés carbone, a très peu avancé. En effet, les règles de mise en œuvre de ces marchés restent peu claires alors que s’ ils ne sont pas encadrés, ils peuvent mener à des projets néfastes pour la biodiversité locale et/ou qui entraînent des violations  de droits humains de communautés locales ou de peuples autochtones. Typiquement, nous retrouvons le plus souvent des projets de plantations d’arbres pour permettre aux pays, mais aussi aux entreprises de compenser leurs émissions. Au delà du fait que ces plantations sont trop souvent en monocultures et peuvent entraîner des expulsions ou d’autres violations  pour les populations locales, ils détournent les pollueurs d’avant tout réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il est urgent que cet article gagne en règles de mise en œuvre robustes et en garde-fous stricts pour les droits humains, et malheureusement la COP27 n’y est pas parvenue. Les textes adoptés n’assurent pas la protection des droits humains et introduisent des failles qui pourraient remettre en cause l’intégrité environnementale de l’Accord de Paris .

Les négociations du programme de Koronivia sur l’agriculture se sont clôturées et les discussions ont été prolongées sous la forme d’un programme de travail de 4 ans pour la mise en place de l’action climatique en agriculture et pour la sécurité alimentaire. Malgré une reconnaissance du rôle des agriculteurs et agricultrices à petite échelle, et des savoirs des Peuples Autochtones, l’impulsion politique est insuffisante pour transformer les systèmes alimentaires. Les pays ont manqué l’opportunité d’orienter le futur programme de travail vers l’agroécologie, et de l’élargir en intégrant la notion de “systèmes alimentaires” qui permettrait de prendre en compte tous les aspects entrant en jeu dans l’alimentation, comme les enjeux de consommation et de gaspillage alimentaire.

Par ailleurs, en dehors des négociations officielles, ce sont les solutions marchandes et basées sur les nouvelles technologies qui ont le vent en poupe. Drones et intelligence artificielle en agriculture, le tout accompagné de crédits carbone, ont occupé la journée thématique sur l’agriculture et l’adaptation. Ces approches, souvent qualifiées d’“intelligentes face au climat” ne correspondent pas aux besoins et priorités des paysan.ne.s dans les pays en développement, et vont souvent à l’encontre des droits des paysans et autres personnes vivant en zone rurale.

La biodiversité, grande absente de la COP27

Les crises du climat et de la perte de la biodiversité sont liées : sans écosystèmes sains et protégés, impossible de rester sous 1,5°C de réchauffement global. Sans réduction drastique des émissions, impossible de protéger notre biodiversité. Fort des données scientifiques apportées par les experts de l’IPBES et du GIEC sur les liens entre climat et biodiversité, ce lien intrinsèque a été reconnu dans le texte final de la COP pour la première fois à la COP26 à Glasgow. Pour cette année, la société civile attendait de voir dans le texte final un appel à adopter un accord mondial ambitieux pour protéger et restaurer la biodiversité, tout en assurant des projets respectueux des communautés vivant dans ces précieux écosystèmes (comme l’Amazonie par exemple) et les peuples autochtones. Or, le texte final n’a fait aucune référence à la COP15 sur la biodiversité qui devra se tenir en décembre 2022 à Montréal pour augmenter l’ambition politique des Etats dans ce domaine au travers d’un accord “jumeau” de l’accord de Paris sur le climat. Encore une occasion manquée pour les délégations de se mobiliser à la fois sur le climat et la biodiversité. Sans ce signal politique la COP27 prive la COP15 biodiversité d’un engagement politique dont elle aura grandement besoin pour répondre à l’urgence de protéger nos écosystèmes.

2023, l’année pour rendre des comptes

La COP28 qui aura lieu à Dubaï en novembre 2023 sera cruciale avec la tenue pour la première fois du Bilan Mondial, le mécanisme d’évaluation de l’Accord de Paris. Ce bilan doit avoir un impact concret puisqu’il va recommander aux Etats des priorités à considérer pour leurs prochains objectifs climatiques afin de faire mieux sur la réduction des émissions, l’adaptation, les pertes et dommages et tous les piliers de l’Accord de Paris. La sortie des énergies fossiles de manière équitable devra également de nouveau figurer dans les discussions à Dubaï, même si la présidence émiratie portera probablement davantage sur la promotion de fausses solutions, plutôt que sur la réduction effective de nos émissions de gaz à effet de serre. Il va donc falloir continuer à faire monter ce sujet : le combat continue.

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