Industrie

Décarboner l’industrie cimentière : une course contre-la-montre

L’industrie du ciment projette une décarbonation ambitieuse. En pratique, le timing est serré, les potentiels leviers montrent leurs limites, dont une constante : leur coût élevé. L’Etat doit aider l’industrie, en favorisant l’économie circulaire et les solutions bas-carbone plutôt que des paris technologiques risqués et couteux.

Chantier de construction

La décarbonation de l’industrie française ne se fera pas sans l’industrie cimentière

La production de ciment engendre annuellement en France près de 10 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2), ce qui équivaut à environ 3% des émissions totales du pays. Ce secteur se distingue par le fait que les deux tiers de ces émissions sont directement attribuables au processus chimique de fabrication du ciment, en particulier lors de la production du clinker, l’élément central du ciment qui est élaboré à partir de calcaire et d’argile. Le tiers restant des émissions provient de la combustion d’énergies fossiles.

10
millions de tonnes de CO2 sont émises chaque année pour la production du ciment en France

Avec une cible nationale officielle de réduction des émissions des grands sites industriels de 45% en 2030 en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050, le chemin à parcourir est considérable. Cependant, le syndicat français du secteur, France Ciment, s’est fixé un objectif encore plus ambitieux, visant une réduction de 50% des émissions d’ici 2030. La réussite de ce défi technique repose sur trois principaux leviers de décarbonation :

  • Le remplacement des combustibles fossiles par des combustibles alternatifs, comme la biomasse ;
  • Le développement de nouveaux ciments, parfois à base de composants recyclés ou de co-produits d’autres industries, afin de réduire le taux de clinker dans la formulation du ciment ;
  • Le captage, stockage ou utilisation du carbone en sortie d’usine.

Décarboner l’industrie cimentière, un pari difficile, risqué et coûteux

La stratégie de décarbonation du secteur comporte plusieurs limites. Tout d’abord, le potentiel d’augmentation de production de la biomasse en France est restreint, étant donné que de nombreuses industries souhaitent y avoir accès, et entre en concurrence avec d’autres usages (production alimentaire, biodiversité, etc.).

Définition : La biomasse

La biomasse désigne l’ensemble des matières organiques pouvant se transformer en énergie. On entend par matière organique aussi bien les matières d’origine végétale (résidus alimentaires, bois, feuilles) que celles d’origine animale (cadavres d’animaux, êtres vivants du sol).
Source : connaissance des énergies.

En revanche, le levier le plus prometteur, qui consiste à développer des ciments à faible teneur en clinker, est en théorie déjà disponible. Néanmoins, l’étape la plus longue et complexe reste celle de la mise sur le marché de ces nouvelles formules de ciment bas carbone qui nécessite des démarches administratives pouvant s’étendre sur une décennie. Actuellement, des questions se posent sur l’assurabilité de ces nouveaux ciments, dont la composition diffère considérablement de celle des ciments conventionnels, alors que les normes actuelles se basent sur la composition plutôt que sur la performance des ciments. Par conséquent, le rythme de normalisation des ciments semble difficilement compatible avec les échéances auxquelles l’industrie doit réduire ses émissions.

Enfin, le captage et stockage du carbone (CCS) issu des cimenteries demeure une solution technologique extrêmement coûteuse avec le risque de retarder la mise en œuvre des autres leviers de décarbonation. Cette solution engendre un coût significatif (entre 100 et 150 euros la tonne de CO2 évitée pour un investissement initial de 100 à 400 millions d’euros). Les entreprises ont déjà sollicité le soutien de l’État pour le financement de ces projets. Or, les possibilités de stockage étant limitées, l’installation de modules de capture devra faire l’objet d’arbitrage de la part de l’État.

C’est pour toutes ces raisons que cette technologie doit être déclenchée en dernier recours, principe fondamental de la stratégie CCUS française.

Par ailleurs, le Réseau Action Climat s’inquiète de voir chez certains cimentiers le développement de projets de valorisation du carbone : le carbone contenu dans les gaz en sortie d’usine est récupéré avant d’être émis dans l’atmosphère afin de le transformer en carburants de synthèse destinés aux transports maritimes et aériens. Le carbone initialement capté dans les cimenteries est donc relâché dans l’atmosphère au moment de la combustion de ces carburants. Investir dans de telles infrastructures, aussi coûteuses pour un bilan carbone non neutre relève de la gabegie technologique et financière.

Le rôle de l’État : entre arbitre et soutien

Le clinker étant un élément facilement transportable (contrairement au ciment), le secteur est fortement soumis à la concurrence d’autres producteurs établis dans des pays aux normes environnementales moins strictes. Par conséquent, il est essentiel que l’État apporte son aide aux industriels pour protéger la compétitivité du ciment français bas-carbone. 

Néanmoins, cela doit se faire à bon escient, sur des projets qui privilégient en premier lieu les solutions les moins coûteuses, basées sur l’économie circulaire et la sobriété des matériaux.La commande publique (de l’Etat, des collectivités) représente un levier d’aide efficace et indispensable : privilégier les ciments et bétons bas carbone ou à taux de recyclage élevé dans la commande publique peut inciter et soutenir les industriels à orienter leurs productions vers ce type de produits. Cette approche peut jouer un rôle significatif pour orienter les pratiques industrielles vers des produits plus respectueux de l’environnement, en alignement avec les objectifs de durabilité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le problème de la décarbonation du ciment est régi par des contraintes techniques, économiques et réglementaires complexes que le Réseau Action Climat tente de décrypter et d’approfondir, via notamment sa participation aux commissions de normalisation du ciment et du béton ainsi qu’à des évènements tels que le « CarbonZero Global Conference and Exhibition » le 26 octobre prochain. L’occasion d’échanger avec les acteurs du ciment pour mieux comprendre les problématiques de décarbonation et les solutions en cours de développement.

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