Corse : Des risques du fond des mers au sommet des montagnes

Fortes chaleurs, sécheresses, fonte des glaciers, inondations... Le Réseau Action Climat propose un panorama des conséquences du changement climatique dans toutes les régions de France. Quelles sont les impacts qui concernent la Corse ?

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© Pascal Pochard-Casabianca - AFP

Faire face à un nouveau climat

Le climat de la Corse présente la particularité d’être à la fois très influencé par son littoral et par ses zones montagneuses. Bien qu’une hausse des températures soit observée dans toute l’île, elle est loin d’être uniforme entre ces deux types d’espaces. Par rapport aux années 1970, ce réchauffement est estimé à +1 °C sur la côte et à +2 °C au-dessus de 500 mètres d’altitude[1]. Au global, il est estimé à +0,36 °C par décennie depuis les années 1980[2] et se poursuivra quel que soit le scénario à un rythme qui dépendra de nos futures émissions de gaz à effet de serre. Dès 2050, la température devrait atteindre +1,4 à +1,9 °C par rapport à 1976-2005[3] : la zone côtière de la Corse sera alors soumise à un climat qui ressemble à celui de Tunis aujourd’hui. En fin de siècle, le réchauffement de la Corse atteindrait jusqu’à +4 °C – et donc encore plus en montagne – selon le pire scénario.

Comme pour le reste de la France, les fortes chaleurs sont elles aussi en hausse : sur les 35 épisodes de vagues de chaleur enregistrés, 30 ont eu lieu depuis l’année 2000. Du fait de la concentration des populations sur les littoraux, mieux ventilés, l’exposition de la population est relativement moins élevée que pour la plupart des régions de France. Néanmoins, cette exposition croît dangereusement : d’ici 2100, la Corse connaîtra 35 à 63 journées chaudes (dont la température dépasse les 25 °C) supplémentaires par an par rapport à la fin du XXe siècle selon notre niveau d’émissions de gaz à effet de serre. Les zones autour des massifs montagneux d’Évisa et de Zonza seraient les plus exposés de l’île[4]. De même pour le nombre de nuits tropicales, c’est-à-dire celles dont la température ne descend pas sous les 20 °C. D’ici 2050, 9 habitants sur 10 connaîtront plus de 30 nuits tropicales par an, avec de réelles répercussions sur les organismes, qui récupèrent mal lors de ces épisodes de chaleur. En Corse, qui abrite la population la plus âgée de France, cela représente un risque majeur de santé publique, en particulier dans les territoires urbanisés et les grandes villes, qui subissent un effet d’îlot de chaleur urbain[5]. Au-delà de la fréquence de ces épisodes, leur intensité est également de plus en plus forte. Le record actuel de 43,4 °C a été enregistré à Sartène en 2009, mais il devrait être largement dépassé dans les décennies à venir. Les 46 °C, voire plus, seront vraisemblablement atteints dans les décennies à venir[6].


Nombre moyen de nuits tropicales chaque été pour les périodes 1976-2005 et 2021-2050[7]

En haute altitude, ce réchauffement va encore plus vite : la température a bondi de +5,2 °C depuis 1970 à 2000 mètres d’altitude[8]. À ce rythme-là, les conséquences sur les écosystèmes sont désastreuses, tout comme sur le cycle de l’eau. Les précipitations tombent de plus en plus sous forme de pluie au détriment de la neige, qui fond également plus vite. Par conséquent, l’enneigement est en forte baisse, ce qui impacte l’alimentation des cours d’eau. De plus, l’évolution du régime des précipitations entraîne aussi un déficit de recharge des réserves d’eau. En effet, même si leur cumul ne baisse pas (ou peu), les pluies sont moins bien réparties au cours de l’année et les épisodes de précipitations extrêmes se multiplient. Dans ces cas, en plus d’entraîner un risque de débordement des cours d’eau, la pluie tombe en trop grande quantité pour être absorbée par les sols et une proportion importante est donc évacuée directement dans la mer.


Cartes des anomalies du nombre de jours de fortes précipitations[9]

En plus de ces deux éléments pesant sur la recharge en eau, la hausse des températures accélère l’évapotranspiration[10], entraînant une baisse du taux d’humidité des sols. Ces trois facteurs expliquent l’augmentation, en fréquence et en intensité, des épisodes de sécheresse. En conséquence, le débit des cours d’eau a déjà diminué de 20 à 30 % par rapport aux années 1980[11]. Depuis les années 1990, la fréquence des années considérées comme sèches est passée d’une année sur cinq à une année sur deux. Cette tendance se poursuivra au cours du siècle, en fonction des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. À Ajaccio par exemple, les périodes de sécheresses seront plus longues de 2 jours si le réchauffement est maintenu en dessous de 2 °C, et de 11 jours si les émissions de gaz à effet de serre restent élevées[12]. En outre, elles seront plus étendues sur l’année, s’allongeant avant et après l’été, pouvant entraîner des restrictions d’usages de plus en plus fréquentes.

Ces périodes de déficit hydrique sont particulièrement impactantes pour le secteur de l’agriculture, qui va devoir s’adapter à ce nouveau climat. La sécheresse limite les productions, les fortes chaleurs provoquent un échaudage[13] des cultures, les hivers doux sont propices aux épisodes de gels tardifs, les précipitations extrêmes entraînent des pertes de récoltes… L’année 2017, particulièrement sèche et chaude, avait par exemple entraîné d’importantes baisses de production pour le miel, les clémentines, les châtaignes ou encore le vin. Tout comme 2019, où le secteur viticole avait enregistré 20 à 25 % de pertes. Les agriculteurs vont devoir se tourner vers de nouvelles cultures plus adaptées (pistaches, figues, olives…) ou faire face à de grandes problématiques liées au manque d’eau. Même constat pour l’élevage, qui subit d’une part les risques liés à l’exposition du bétail à la chaleur, et d’autre part un déficit de fourrage lié aux sécheresses.

Incendies, submersions… la Corse en proie aux risques

Sécheresses et fortes chaleurs sont également deux ingrédients qui nourrissent le risque de feux de forêts, réunissant les conditions propices à leur déclenchement, leur maintien et leur propagation. Ce risque devrait augmenter de 10 à 30 % d’ici la fin du siècle selon les estimations du Cerema. Les données de Météo France indiquent que le nombre de jours à fort risque d’incendie, déjà compris entre 5 et 50 jours dans les années 70, devrait augmenter de 4 à 25 jours supplémentaires[14]. Ces paysages forestiers sont par ailleurs amenés à changer, avec des végétations plus basses se rapprochant de garrigues.

Les littoraux sont, pour leur part, en proie aux risques de submersion marine et à l’érosion des sols, deux phénomènes aggravés par l’élévation du niveau de la mer. Ce dernier augmente à un rythme estimé à plus de 3 mm par an, qui continue d’accélérer avec le réchauffement climatique. Cela accélère l’érosion côtière, qui grignote peu à peu les plages et espaces littoraux. À Porticcio par exemple, on perdrait 3 à 6 mètres de plage pour une hausse du niveau de la mer de 30 cm. À ce rythme, 10 à 20 % de la plage pourrait avoir disparu en 2050. Allié à des événements météorologiques extrêmes comme les tempêtes, dont l’intensité est également en hausse dans la région, cela amplifie le risque de submersion marines, en particulier pour les zones côtières basses. En 2018, d’importants dégâts avaient été causés par la tempête Adrian dans les villes de Bastia, Erbelonga et Ajaccio.

L’ensemble de ces risques, combiné aux épisodes de canicule, ont un impact négatif sur l’attractivité touristique de la Corse, or la consommation liée à ce secteur ne représentait pas moins de 39 % du PIB de la région en 2017, soit 5 fois plus que la moyenne nationale[15].

Une riche biodiversité en danger

La Corse est un véritable écrin de biodiversité en Europe. Comme la majorité des îles de Méditerranée, elle abrite de nombreuses espèces endémiques, de flore et de faune, comme la salamandre de Corse ou encore l’emblématique mouflon Corse. Le changement climatique entraîne un véritable bouleversement des écosystèmes lié à la hausse des températures, au stress hydrique ou encore aux événements extrêmes (précipitations, incendies, submersions…). Les milieux d’eau douce sont particulièrement affectés par la baisse du débit des cours d’eau ainsi que leur réchauffement. Cela impacte la reproduction et modifie les aires de répartition des espèces, dont certaines sont amenées à disparaître sous la pression de nouvelles concurrences ou ne trouvant pas de milieu adapté pour se réfugier. Par exemple, les anguilles, plus habituées aux eaux chaudes, remontent petit à petit les cours d’eau, ce qui menace les truites. De manière générale, les espèces les moins spécialisées seront favorisées – notamment celles qui possèdent une tolérance élevée aux variations de températures – comme les silures, de plus en plus présentes en haute montagne.

Dans le milieu marin, on retrouve cette même problématique : on observe de plus en plus d’espèces habituées aux eaux chaudes comme le mérou blanc ou le barracuda, et certaines qui posent problème dans d’autres régions méditerranéennes, à l’image du poisson ballon ou du poisson pierre. Cela impacte les espèces habituées aux eaux plus froides, qui subissent une nouvelle concurrence qui vient s’ajouter aux autres pressions liées aux activités humaines : pêche, tourisme, pollution…

Les herbiers marins, indispensables à la biodiversité sous-marine, sont particulièrement menacés. L’élévation du niveau de la mer impacte notamment les herbiers de posidonie du fait de la réduction de la lumière au fond de l’eau. De plus, on observe de véritables canicules marines qui entraînent des épisodes de mortalités massives. À l’été 2022 par exemple, la température de l’eau a connu une hausse de +1,9 °C en moyenne[16], causant un fort stress thermique pour de nombreuses espèces. Cela provoque le blanchissement des coraux, qui correspond à un dessèchement heureusement réversible, mais qui peut entraîner leur mort s’ils n’ont pas eu le temps de se régénérer entre deux vagues de chaleur. En parallèle, ils sont fragilisés par l’acidification croissante des océans. On estime que la réserve naturelle de Scandola a déjà perdu 70 % de son effectif corallien[17]. Comme indiqué par un rapport de l’UICN de 2018, “les conséquences du changement climatique provoqueront la disparition des principaux « monuments naturels » de Corse”.

Les répercussions sont nombreuses, pour la nature comme pour les activités humaines. Les herbiers de posidonie, par exemple, constituent un formidable puits de carbone : leur dégradation amène donc une libération de CO2 qui amplifie le changement climatique. De plus, comme les récifs coralliens, ils constituent un formidable refuge pour de nombreuses espèces (poissons, mollusques…) leur disparition entraîne ainsi un bouleversement de leurs conditions de vie et impacte toute la chaîne alimentaire marine. Pour finir, ils constituent un rempart indispensable face à l’érosion littorale, contribuant à fixer les sédiments au sol. Ce sont au final l’ensemble des services écosystémiques qui sont impactés par les conséquences du changement climatique.

Le rapport complet

Sources

[1] UICN – Changement climatique et milieu marin en Corse

[2] Cerema – Analyse des effets du changement climatique en Corse

[3] Météo France via Ouest France

[4] Insee – Horizon 2050 : la Corse trois fois plus exposée aux nuits tropicales

[5] Voir lexique

[6] Corse Matin – Les effets du changement climatique en Corse (tempêtes)

[7] Insee – Horizon 2050 : la Corse trois fois plus exposée aux nuits tropicales

[8] Corse Matin – Les effets du changement climatique en Corse (montagne)

[9] Météo France, DRIAS ; modèle Aladin de Météo France, scénario climatique RCP 4,5 – via Cerema

[10] Voir lexique

[11] UICN – Changement climatique et milieu marin en Corse

[12] Cerema – Analyse des effets du changement climatique en Corse

[13] Voir lexique

[14] Météo France via Ouest France

[15] Insee via Corse Matin

[16] Corse Matin – Les effets du changement climatique en Corse (biodiversité marine)

[17] Cerema – Analyse des effets du changement climatique en Corse

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