COP29 : L’échec d’une conférence marquée par la victoire des égoïsmes
La voie qui mène à la COP30 de Belém en novembre 2025 est étroite mais cruciale. D'ici là, les pays riches doivent faire face à leurs engagements inadéquats et trouver des moyens concrets de fournir un véritable financement pour le climat - et non des prêts ou des promesses vides.
Pour la société civile, la COP29 s’est soldée par un échec diplomatique. Si après plusieurs tentatives, les États ont fini par adopter un paquet de décisions dont le nouvel objectif de financement, celui-ci est largement insuffisant et incomplet. Aujourd’hui le défi reste entier pour s’assurer que les pays vulnérables aux effets des changements climatiques reçoivent des soutiens adaptés à leurs besoins. Pour autant, si les résultats de la COP29 sont décevants, le processus de la COP vaut toujours la peine qu’on s’y engage. C’est le seul espace multilatéral où les plus vulnérables peuvent faire entendre leur voix et obtenir des avancées significatives et structurantes pour l’avenir : par exemple, lors de la COP28, les États se sont collectivement engagés pour l’abandon des combustibles fossiles. Malgré les résistances fortes qui s’organisent, ces caps adoptés permettent d’ouvrir la voie à des politiques publiques nationales plus fortes pour réduire leurs dépendances aux énergies les plus polluantes, pour réorienter les subventions des énergies fossiles vers la production d’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique. Pour aller plus loin, la Convention Cadre des Nations unies aux changements climatiques doit désormais engager des réformes importantes au sein du processus lui-même, notamment pour empêcher les poids lourds et intérêts des énergies fossiles (à commencer par les milliers de lobbyistes) de continuer à nuire à la crédibilité des instances et en saper l’ambition.
Est-ce que les nations riches oseront se regarder dans le miroir et corrigeront-elles le cap avant Belém, ou continueront-elles à mettre en péril notre avenir ?
Finance : un écran de fumée après un manque d’anticipation flagrante
La COP29 de Bakou s’est achevée dimanche 24 novembre avec plus de 36 heures de retard par un accord imposé aux pays en développement sur les financements climat. Et, il est totalement incompréhensible d’arriver à un résultat aussi décevant sachant qu’il y a eu 3 ans de dialogues technique sur le nouvel objectif financier post 2025 (NCQG). Le principal objectif fixé – mobiliser 300 milliards de dollars par an d’ici 2035 – masque une réalité inquiétante :
- avec l‘inflation, ces 300 milliards vaudront en réalité bien moins en 20351. Cet objectif ne représente donc pas une augmentation significative par rapport aux besoins réels, comparé à l’engagement précédent de 100 milliards de dollars pris par les pays riches il y a plus de dix ans ;
- cette somme est encore plus ridicule lorsqu’on la met en regard des besoins réels – des milliers de millions de dollars que les expert.e.s estiment nécessaires2.
En plus, cet objectif n’a même pas besoin d’être atteint avant onze ans (d’ici 2035). En comparaison, les subventions aux énergies fossiles dans les 23 pays développés – ceux qui se sont engagés à fournir un financement climatique en 1992 et qui sont toujours responsables de sa fourniture en vertu de l’Accord de Paris – ont totalisé au moins 378 milliards de dollars US en 20233.
Par ailleurs, le second chiffre, l’objectif d’investissement de 1 300 milliard de dollars n’est pas contraignant/un vrai engagement. Il s’agit simplement d’une aspiration, et personne n’est responsable de sa réalisation – seul l’objectif des 300 milliards de dollars est censé être atteint par les pays. Et même là, les responsabilités restent floues. Au lieu d’être les acteurs responsables des 300 milliards de dollars, comme c’était le cas avec l’objectif précédent des 100 milliards, les pays riches sont simplement appelés à « prendre le lead” et les pays en développement sont « encouragés à faire des contributions”, en incluant la coopération Sud-Sud. Il n’y a pas non plus de garanties sur la qualité des financements, alors que le Sud global fait face à une crise de dette sans précédent. Aucun enseignement n’a été tiré de l’objectif passé de 100 milliards. Les pays riches sont entièrement libres de privilégier les prêts plutôt que les subventions et de mobiliser des financements privés. Les deux options pousseraient les nations vulnérables plus loin dans l’endettement. Enfin, il est inadmissible que la décision sur le NCQG n’aborde pas explicitement les droits humains et l’impératif d’un financement climatique sensible au genre.
Les paysannes et les paysans, oubliés de l’accord
Si les enjeux agricoles et alimentaires ne figuraient pas en haut de l’agenda de la COP29, il était indispensable de sécuriser un cœur de financement public et accessible pour celles et ceux qui sont parmi les plus affectés par la crise climatique dans le Sud Global. Mais l’accord final est scandaleux, ignore complètement les besoins et laisse penser que la mobilisation de financements privés pourrait garantir l’adaptation des producteurs et productrices à petite échelle, c’est une erreur qui encore une fois remet à plus tard l’urgence de la transition agroécologique.
Finalement, ne nous laissons pas tromper par l’écran de fumée de la rhétorique réaliste des pays développés. L’argent est là, il suffit d’avoir le courage et la volonté politique d’aller le chercher !
L’atténuation et la finance ne sont pas antinomiques, mais bien complémentaires
Dès le début de la COP, on a assisté à un affrontement acharné entre certains pays développés déterminés à obtenir des avancées sur le front de la réduction des émissions (atténuation) et les pays en développement venus discuter le nouvel objectif de finance climat (NCQG) à la lumière de leur besoin. Il est vrai que depuis la décision de la précédente COP28 à Dubaï, mentionnant la nécessité que tous les États doivent entamer leur sortie des énergies fossiles, on n’a pas vu de progrès, voire même un recul. Beaucoup de producteurs du Nord ou du Sud, souhaitant enterrer l’accord de Dubaï, ont continué de planifier l’ouverture de nouveaux puits de pétrole ou de gaz d’un côté, et de nouvelles centrales à charbon, à gaz ou des raffineries de pétrole. Il était donc crucial de réaffirmer l’engagement collectif pris à la COP28 et d’insister sur l’importance pour chaque pays de présenter, lors de la COP au Brésil en 2025, leur feuille de route climat (Contributions Nationales Déterminées) intégrant un plan clair de sortie des énergies fossiles.
Cependant, le signal a été désastreux (la décision relative au dialogue des Émirats arabes unis sur la mise en œuvre des résultats du bilan mondial ne fait que « réaffirmer » dès son premier alinéa les résultats du premier bilan mondial). Les pays ne sont pas allés plus loin que la déclaration des dirigeants et dirigeantes du G20 à Rio du 19 novembre. Il y a une explication : l’argent pour faire cette transition juste hors des énergies fossiles n’a pas été posé sur la table. Pourtant, c’était bien une COP qui avait comme un des focus principaux la finance climat : il n’est pas possible de demander aux pays en développement de continuer à s’engager sur la sortie des énergies fossiles sans leur permettre de la financer. Et cela a été en tension continue pendant la COP alors que l’interdépendance des deux sujets est très claire et évidente.
La science climatique connaît des turbulences au sein des négociations
En Janvier 2025, seulement 2 mois après avoir quitté Bakou, les scientifiques et les États vont participer à la plénière du GIEC et vont prendre plusieurs décisions importantes pour son prochain rapport d’évaluation et qui impacteront le prochain Bilan Mondial de la CCNUCC, en 2028. En effet, la COP33 négociera le 2ème bilan Mondial sous l’Accord de Paris, et sa préparation commence dès maintenant. Pour rappel, le 1er bilan mondial, négocié à la COP28 à Dubaï avait permis d’arracher une victoire inédite sur un sujet très longtemps tabou : la transition hors des énergies fossiles. Mais la COP29 a mis sur la table un problème de calendrier : le prochain rapport du GIEC interviendra trop tard pour influencer les conclusions du Bilan Mondial et celui-ci sera négocié sur la base de données scientifiques anciennes (2022), et obsolètes au regard de la dégradation rapide du climat et des écosystèmes. La COP29 a donc discuté d’envoyer une demande officielle au GIEC pour accélérer son calendrier afin que le prochain Bilan Mondial puisse intégrer son dernier rapport d’évaluation d’ici à 2028.
Deux arguments ont été porté pour ne pas avoir recours à cette demande:
- Tout d’abord, parce que le GIEC commence seulement à évoluer en matière d’inclusion et de représentativité. Même s’il rassemble des scientifiques du monde entier, les scientifiques des pays riches y sont plus représentés. Plusieurs pays en développement, dont l’Inde par exemple, mais aussi les pays africains, demandent un meilleur soutien de la part du GIEC pour intégrer les scientifiques du Sud et les savoirs des peuples autochtones. Si leurs connaissances ne sont pas reconnues comme « scientifiques » dans la mentalité occidentale, elles sont pourtant inégalables concernant beaucoup de sujets, comme la protection des écosystèmes. Cette demande existe depuis longtemps et la plénière de Janvier 2025 doit commencer à y répondre. C’est pourquoi certains pays estiment qu’il est préférable d’attendre les conclusions de la plénière pour savoir si ce prochain rapport en 2028 sera vraiment plus inclusif, avant de défendre sa prise en compte dans le Bilan Mondial de 2028.
- Mais d’autres cachent un intérêt différent dans ce problème de calendrier. Certains pays, comme les pays pétroliers et gaziers du Golfe, savent très bien que leurs émissions vont augmenter entre 2022 et 2028, et que pour tenter de réduire leur contribution croissante au changement climatique, il est préférable de faire illusion avec des chiffres plus anciens. Enfin, ils argumentent que si le rapport de 2028 n’est pas utilisable, il est possible d’ouvrir à des rapports et données scientifiques autres que le GIEC au sein de la CCNUCC pour le prochain Bilan Mondial. La CCNUCC n’a pas la rigueur scientifique du GIEC : ses fonctionnaires n’auront pas les capacités de sélectionner au mieux les contributions et c’est une porte intéressante pour les pays pollueurs de faire intégrer leur fausses solutions, comme les technologies de capture et de stockage de carbone.
On assiste donc à une critique ouverte de la science climat et de son principal ambassadeur, le GIEC. Sur les questions d’inclusion, des mesures sont déjà prises, comme l’organisation de rassemblements et de formations de scientifiques dans les pays du Sud, et il est important de les perpétuer. Mais on a également assisté à la volonté de décrédibiliser la science climatique au profit d’autres sources dites scientifiques, menées par des intérêts privés, comme les entreprises de l’industrie fossile. Il sera important à la plénière du GIEC, mais aussi lors de la COP30 et de sa préparation, de s’assurer de travailler pour un GIEC plus inclusif tout en gardant sa rigueur et son indépendance de intérêts privés, et aussi d’adapter son calendrier pour que ces résultats en 2028 soient bien intégrés au bilan mondial.
Le programme de travail sur le genre : malgré une forte résistance, quelques avancées à concrétiser pour la COP30
Le changement climatique renforce et aggrave les inégalités préexistantes, et touche plus durement les groupes les plus vulnérables. Il renforce donc les inégalités de genre, impactant de manière démesurée les femmes, les filles et les minorités de genre. Quelques statistiques à trouver dans le Plan d’Action Genre (PAG) de l’Union Européenne sont indéniables : 80% des personnes déplacées à cause du changement climatique sont des femmes et des filles, ces déplacements forcés augmentent les violences basées sur le genre, en outre, les catastrophes climatiques résultent souvent dans une augmentation des mariages forcés de mineures, et dans une perte plus importante de revenus pour les femmes que pour les hommes. C’est pourquoi les questions de genre ont fini par émerger dans les COP. En 2014, les États adoptent le premier programme de travail de Lima sur le genre et le changement climatique, qui est prolongé à la COP22 puis renforcé à la COP25, avec la création d’un PAG comme outil concret de mise en œuvre et qui fait de l’égalité de genre une priorité transversale en matière de lutte contre le changement climatique. Durant cette COP29, les Etats devaient négocier le renouvellement du programme de travail de Lima et de son PAG. En général, ce sujet de négociation est un sujet de tensions entre les Etats, dues à l’absence de financements dédiés et à un recul général sur la scène internationale des droits des femmes, des adolescentes et des filles. Malgré quelques avancées à la COP29, cette tendance s’est bien confirmée.
Après d’âpres négociations, les Parties ont finalement adopté à la COP29 un programme de travail de Lima renouvelé sur le genre. Il s’agit d’une avancée importante car cette décision établit un programme de travail de 10 ans, encourage l’intégration de données ventilées par sexe et par âge et fournit une feuille de route claire pour l’élaboration d’un plan d’action sur le genre (PAG), qui pourra être adopté à la COP30.
Les négociations ont toutefois été marquées par des demandes inacceptables de recul sur le vocabulaire relatif aux droits humains et à l’intégration systématique de l’égalité de genre dans les politiques climatiques. Ceci reflète une tendance inquiétante : la montée des mouvements anti-droits et anti-genre. Ces mouvements sont intimement liés à la propagation de l’autoritarisme et aux systèmes de pouvoir qui sont à l’origine de la crise climatique et aggravent les inégalités. Nous sommes profondément déçu.e.s que les demandes d’intégrer l’intersectionnalité dans le texte n’aient pas été acceptées. Plaider pour l’intersectionnalité signifie se confronter aux réalités du pouvoir : qui le détient, qui le définit, qui en a besoin, et comment nous construisons et définissons une transition juste. La reconnaissance et la prise en compte de ces besoins et de ces expériences devraient être un élément crucial du programme de travail.
Nous reconnaissons l’engagement de certains pays qui ont tenu bon en veillant à ce qu’il n’y ait au moins aucune régression par rapport au langage précédemment convenu et qui ont fait pression pour un programme de travail plus inclusif. De même, nous saluons le plaidoyer inlassable, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, des membres de la Women and Gender Constituency (WGC), dont les efforts ont permis de faire en sorte que le programme de travail sur le genre reste une priorité pour les Parties et la présidence de la COP29.
La prolongation du calendrier sur 10 ans permettra d’intensifier l’action au niveau national et de mieux intégrer le genre dans la prise de décision climatique dans le nouveau plan d’action genre à venir. Néanmoins, il faut s’alerter de la réticence de certains pays à prendre un engagement solide et collectif en faveur de l’égalité de genre.
Déjà en route pour la COP30 : le rôle des mouvements pour la justice climatique
Bien que la COP29 soit un échec, le mouvement pour la justice climatique a montré une unité sans précédent. Des syndicats aux jeunes grévistes, des défenseurs et défenseuses autochtones aux communautés de première ligne, les groupes de la société civile ont maintenu la pression tout au long des négociations et ce malgré les répressions.
At #COP29, we are silenced. But we will not stay silent. People's Plenary walked out with a strong, silent message. #PayUp
— Climate Action Network (CAN) Europe (@caneurope.bsky.social) 21 novembre 2024 à 14:51
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Today’s fossil goes to a country that doesn’t understand the gravity of the Presidency, or the value of civil society. Azerbaijan 🇦🇿has fallen short of the leadership needed here, which shouldn’t be that hard given the previous two COPs were hosted by the fossil fuel industry. pic.twitter.com/Sva3amhNzt
— Climate Action Network International (CAN) (@CANIntl) November 22, 2024
It’s 10pm at Baku #COP29 and activists from across constituencies are NOT GIVING UP on their demands of a meaningful outcome from this ‘Finance COP’. Pay up or shut up! pic.twitter.com/BNFunLkl4g
— Demand Climate Justice (@gcdcj) November 22, 2024
La COP29 a marqué le début de l’échéance officielle pour les pays de soumettre de nouvelles contributions déterminées au niveau national (9 à 12 mois avant la COP30) et de renforcer les engagements actuels, qui sont encore loin d’être alignés avec la limite de 1,5 °C. À ce jour, seuls deux pays ont soumis leurs CDN pour 2035 : les Émirats arabes unis et le Brésil. Un nouvel outil de suivi des CDN pour 2035 a été lancé par le WRI (World Resources Institute) pour surveiller les CDN qui couvrent cet horizon temporel.
Bien que de nombreux pays travaillent sur l’élaboration de leurs CDN, les pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, des Caraïbes et du Pacifique ont clairement exprimé leur besoin que les pays développés prennent les devants et tiennent leurs engagements financiers pour soutenir la mise en œuvre. Ils ont également souligné que les résultats du processus NCQG ne sont pas suffisants pour encourager davantage d’ambition dans les CDN des pays en développement l’année prochaine.
Le Secrétaire exécutif de la CCNUCC, Simon Stiell, a annoncé le lancement d’une « campagne pour les plans climatiques » en coordination avec les efforts du Secrétaire général des Nations unies et de la présidence brésilienne entrante de la COP.
[1] The Guardian, Cop29 deal fails to consider inflation so is not tripling of target, economists say https://www.theguardian.com/environment/2024/nov/25/cop29-deal-fails-consider-inflation-not-tripling-target-economists
[2] Markandya and Gonzalez-Equino (2019) on loss and damage,
UNEP Adaptation Gap Report (2023) on adaptation,
IEA NetZero Roadmap (2023) on mitigation.
[3] IISD, COP 29 Outcome Moves Needle on Finance, 2024, https://www.iisd.org/articles/statement/cop-29-moves-needle-on-finance
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