Des canicules plus fréquentes et des régions sèches plus étendues dans un monde plus chaud

Canicules de 2003 et 2015 en Europe, de 2010 en Russie, de 2012 aux Etats-Unis, sécheresses récurrentes dans le Bassin Méditerranéen ou dramatique en 2017 dans la Corne de l’Afrique, le Yémen et le Nigéria, menaçant 20 millions de personnes de famine : la communauté scientifique étudie ces évènements extrêmes.

Canicule
Canicule

Les extrêmes de chaleur attribuables au changement climatique

Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), en 2013, indiquait qu’il était « très probable » (probabilité de plus de 90%) que le nombre de jours chauds ait augmenté sur l’ensemble du globe depuis 1950 (voir tableau RID.1 (Résumé à l’intention des décideurs) du GIEC)) [a].

« En France, entre 1900 et 2017, la température a augmenté en moyenne de 1,5°C et, dans le sud-ouest, de 1,8°C. Par ailleurs, sur l’année, les jours dont la température dépasse les 25°C sont de plus en plus nombreux. Mais une canicule n’est pas qu’un pic de chaleur : elle se définit par une température dépassant de 5°C la normale pendant au moins cinq jours consécutifs. Et, oui, on est en mesure aujourd’hui d’affirmer que leur nombre a augmenté de façon significative. » Serge Planton

Depuis, « le nombre d’études liées aux évènements extrêmes ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui, on peut attribuer au changement climatique, avec une haute probabilité, les extrêmes de chaleur  », note Serge Planton, climatologue au Centre national de recherches météorologiques de Météo France et expert du GIEC, un des coordinateurs du projet Extremoscope [b], alors que le GIEC ne notait cette incidence que comme « probable » (> 66%, voir tableau RID 1) . Face à ces observations, chaque année, un numéro spécial du Bulletin of the American Meteorological Society [1] recense les événements extrêmes de l’année passée et leurs liens avec le changement climatique.

« On est dans le scénario que nous qualifions de « laisser faire », dans lequel on prévoit une augmentation de la température de 3,2°C à 5,4°C d’ici 2100. Dans ces projections-là, après 2070, une canicule comme celle de 2003 pourrait se produire tous les deux ans en moyenne. Et, bien sûr, il pourra y en avoir des moins importantes, comme des plus intenses ! Si l’on respecte l’accord de Paris, la température mondiale continuera de croître pour se stabiliser en 2050 à 2°C d’augmentation, voire 1,5°C dans le meilleur des cas. Elle serait alors de 2°C en France, par rapport à celle moyenne de 1900. Les canicules y auront augmenté, dès le milieu du XXIe siècle, en nombre, en intensité et en durée. » Serge Planton

canicule_de_2003_temperature_ete_1900-2013_et_2071-2100_europe

Sources :
[1] Alvarez-Castro et Al, 2016
[2] Attribution of Extreme Events with the. HadGEM3-A model, Nikos Christidis – Met Office, Hadley center, 2014
[3] Agence Européenne de l’Environnement, décembre 2016

Ces projections sont pour le scenario SRES A2 qui avait été utilisé dans le rapport AR4 de l’IPCC. Il a en moyenne un réchauffement global de 3.5°C pour la fin du 21eme siècle Schaer et al. 2004 (Fig. 4b)).

« Ces résultats dépendent de la définition même de l’événement (localisation, durée, intensité, etc.) et de l’échelle spatiale et temporelle considérée, mais ils doivent nous alerter sur les évolutions majeures des fréquences de ces phénomènes », détaille Mathieu Vrac. Durant la canicule de 2003 en France [Stott P. et al., 2004 [2]], les températures maximales moyennées étaient de 36° à 37°C entre le 5 et 13 août (voir Bilan météorologique de la canicule d’août 2003, 2004 [d]) et de 28,6° pour l’été (juin-août 2003), avec des températures moyennes estivales françaises de 3,2° supérieures à la moyenne 1981-2010, contre 1,5° pour l’été 2015. Cette vague de chaleur a été en partie attribuée au changement climatique [Christoph Schär et al., 2004 [3]] [Carmen Alvarez-Castro et al. 2016 [4]], comme celle de Russie en 2010 [Otto F. et al., 2012 [5]] et celle de la Chine en 2013 [Ying Sun et al., 2014, [6]].

« Pour se protéger des canicules, la première solution est la prévision, qui s’améliore d’un jour tous les dix ans et l’alerte, comme la carte de vigilance météo, qui sert à communiquer rapidement sur des évènements exceptionnels et à avertir le grand public. De même pour ce qui concerne les mesures de précautions comme celles du plan national canicule : les leçons de 2003 ont permis de réduire les effets de celle de 2006, moins intense mais plus longue. Ce dispositif est un premier exemple d’adaptation au réchauffement climatique et il y en a d’autres. Dans une ville comme Paris par exemple, on a calculé que si l’on généralisait la climatisation, la température extérieure augmenterait de 2°C ! Elle est donc une mauvaise solution. A contrario, la végétalisation des rues et des toits, elle, pourrait y réduire la température de 2°C. » Serge Planton

Des études récentes montrent que non seulement les extrêmes de chaleurs sont très probablement attribuables au changement climatique, mais que celui-ci a également augmenté la probabilité d’extrêmes de températures saisonnières chaudes et diminué celle d’extrêmes de températures saisonnières froides dans de nombreuses régions du monde (Stott P. et al., 2016[7]].

Canicules, sécheresses… Quel est l'impact du réchauffement de la planète ?

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Publiée par Réseau Action Climat sur Lundi 21 janvier 2019

Bassin méditerranéen et Californie plus secs

« Il y a une région où l’on observe des signaux d’asséchement, avec des modèles robustes, c’est sur tout le pourtour méditerranéen », explique Sonia Seneviratne, chercheuse à l’Institut pour la science atmosphérique et climatique de Zurich, en Suisse.

Le dernier rapport du GIEC (voir tableau RID.1 (Résumé à l’intention des décideurs) du GIEC) notait qu’il était seulement probable (> 66%) que la fréquence et l’intensité des sécheresses aient augmentées dans cette région. Dans un article publié en 2016, Joel Guiot et Wolfgang Cramer se basent sur des analyses de pollen pour reconstituer les biomes d’il y a 4700 ans et les comparer aux projections des différents scenarii du GIEC. Selon leur étude parue en 2016, en cas de scénario RCP 2.6 (voir Scénarios RCP du GIEC et température en 2100), les milieux naturels deviendraient similaires à l’époque la plus chaude de l’Holocène. Pour les plus pessimistes (RCP8.5…), il y aurait une progression des zones désertiques dans le sud du bassin méditerranéen. Seul le scénario RCP2.6L, avec moins d’émissions de CO2 que dans le RCP2.6, qui correspond à une augmentation moyenne de température de 1,5°C, permettrait un maintien des milieux tels qu’ils étaient à l’Holocène [Guiot and Cramer, 2016 [8]]. Depuis 2011, des projets spécifiques sur la question des impacts du changement climatique et de l’adaptation à celui-ci dans le Bassin Méditerranéen ont été développés, tel que le projet CYPADAPT. L’équipe de George Zittis a réalisé de nombreuses simulations sur un modèle climatique régional et ainsi montré que la partie sud de la Méditerranée pourrait connaître plus de deux mois supplémentaires de jours chauds et nuits tropicales. Le Nord de la Méditerranée serait, lui, exposé à une augmentation des vagues de chaleur avec des amplitudes allant de 6 à 10°C d’écart par rapport à la moyenne. [Zittis G. et al.,2015, [9]] [Lelieveld J. et al., 2016, [10]].

De nombreuses difficultés techniques persistent pour chaque type d’évènement. Sonia Seneviratne précise : « Pour les sécheresses, c’est complexe dans beaucoup de régions car il y a différents facteurs à prendre en compte. Par exemple, pour celle de Californie de 2012 à 2014, il faut étudier le changement de circulation de l’air et la quantité d’évaporation d’eau du sol, ce qui est aussi lié à la végétation ». Le changement climatique y provoquerait à la fois les faibles précipitations sur plusieurs années et les records de températures [Diffenbaugh N., et al., 2015 [11]] et [Griffin, D., and K. J. Anchukaitis, 2014 [12]]. « Les populations humaines locales ont également un rôle sur la genèse des sécheresses par leurs impacts directs sur cette couverture végétale, poursuit-elle. De même que pour les inondations, il y a un aspect lié à la gestion de l’évènement. Un même événement n’aura pas le même impact au Bangladesh ou aux Pays-Bas. On se rend compte qu’il faut considérer la dimension sociétale  ». D’autres évènements ont été étudiés et déjà attribués au changement climatique, comme la sécheresse de 2011 au Kenya et en Somalie [Lott, F. C., N. Christidis, and P. A. Stott, 2013 [13]].

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Source : Greve, P., and S. I. Seneviratne, 2015

Selon les travaux d’Orlowsky, Seneviratne, Greve, Zittis et Lelieveld, d’ici 2100, on verrait des sécheresses plus fréquentes non seulement dans le Bassin Méditerranéen mais également au Moyen Orient, en Afrique du Sud ainsi qu’en Amérique centrale, [Orlowsky et Seneviratne, 2013 [14]], [Greve et Seneviratne, 2015 [15]], [Greve et al., 2014 [16]] alors qu’elles diminueraient en Afrique de l’Est ou dans la corne de l’Afrique [Orlowsky et Seneviratne, 2013 [14]], [Greve et Seneviratne, 2015 [15]], Dialogue de recherche à Bonn, CCNUCC, mai 2017 [e].

Ces impacts sont attendus dans le réchauffement climatique : le surplus d’air chaud équatorial s’y élève en altitude et sa zone de descente sous forme de vents très secs au niveau des tropiques va se déplacer vers les latitudes plus hautes (voir « Sécheresses et fortes pluies : Comprendre et anticiper », page 10, Réseau Action Climat, 2012).

« La première solution pour diminuer les sécheresses et s’y adapter est bien évidemment de réduire puis stopper nos émissions de gaz à effet de serre. Limiter le réchauffement global à +1.5°C requiert un budget carbone global neutre d’ici à 2050, c’est-à-dire arrêter les émissions de gaz à effet de serre d’ici là, ce qui requiert de ne plus utiliser de combustibles fossiles tels que le pétrole ou le charbon. Ensuite, vient la question de la gestion de la sécheresse. Aller vers une irrigation au goutte à goutte, cultiver des espèces plus résistantes aux sécheresses, faire une agriculture de conservation, sans labour, et avec un couvert permanent pour réduire l’évaporation, arrêter d’arroser les jardins quand il y a des risques de sécheresse… En somme, il va falloir changer nos comportements pour réduire la pression exercée sur les ressources en eau. » Sonia Seneviratne

Adaptation et résilience aux changements climatiques

L’étude des évènements extrêmes a un fort impact politique. Car si l’atténuation des changements climatiques et de leurs impacts repose d’abord sur la diminution de la déforestation et des émissions de gaz à effet de serre d’origine fossile et liées à l’usage des sols, les effets de ces catastrophes dépendent d’une part de la qualité des infrastructures des pays ainsi que de la manière dont ils peuvent les améliorer. Et pour qu’ils s’y adaptent et augmentent leur résilience, les politiques doivent agir dès à présent pour mettre en place des infrastructures résistantes et des moyens. C’est dans l’objectif de mieux comprendre la vulnérabilité des pays aux catastrophes naturelles que des indices de risques ont été créés. Celui de l’association GermanWatch [f], qui se base sur le nombre d’évènements extrêmes, de décès et le coût des pertes, indique qu’entre 1996 et 2015, ce sont le Honduras, le Myanmar et Haïti qui ont été les plus touchés par les évènements météorologiques. L’indice de risque mondial de l’Université des Nations unies [g] inclut, lui, l’exposition des pays aux catastrophes naturelles, la probabilité que les pays soient endommagés lors de leur survenue, la capacité à y faire face ainsi que les stratégies d’adaptation. Il établit également des cartes des catastrophes naturelles survenant dans l’année en cours.

indice_de_risque_mondial_-_catastrophes_naturelles_et_vulnerabilite

Source : WorldRiskReport 2016, Université des Nations unies, 2016

Selon le Rapport du risque mondial 2016 des Nations unies, le Vanuatu, les îles Tonga et les Philippines seraient les pays les plus vulnérables aux catastrophes naturelles.

Références et notes

Références (revues scientifiques à comité de lecture) :
[1] Bulletin of the American Meteorological Society, Explaining Extreme Events from a Climate Perspective, numéro spécial de 2011 à 2016
[2] Stott P. et al., Human contribution to the European heatwave of 2003 in Nature, Vol 432, 610-614, 2004.
[3] Schär C. and Jendritzky G., Hot news from summer 2003. in Nature, VOL 432, 2004
[4] M Carmen Alvarez-Castro, Davide Faranda, Pascal Yiou. Atmospheric dynamics and West European summer hot temperatures since 1871, 2016.
[5] Otto F. et al., 2012 Reconciling two approaches to attribution of the 2010 Russian heat wave
[6] Ying Sun et al., Rapid increase in the risk of extreme summer heat in Eastern China. Nature Climate Change, 12 OCTOBER 2014 | DOI : 10.1038/NCLIMATE2410
[7] Stott P. et al., 2016. Attribution of extreme weather and climate-related events. WIREs Clim Change 2016, 7:23– 41. doi : 10.1002/wcc.380
http://onlinelibrary.wiley.com/enha… (Graphes et légendes des graphes)
[8] Guiot J. and Cramer W., 2016. Climate change : The 2015 Paris Agreement thresholds and Mediterranean basin ecosystems. SCIENCE, 28 OCTOBER 2016, VOL 354 ISSUE 6311
[9] George Zittis, Panos Hadjinicolaou, Mohammed Fnais, Jos Lelieveld, 2015. Projected changes in heat wave characteristics in the eastern Mediterranean and the Middle East. Reg Environ Change, DOI 10.1007/s10113-014-0753-2
[10] J. Lelieveld, Y. Proestos, P. Hadjinicolaou, M. Tanarhte, E. Tyrlis & G. Zittis, 2016. Strongly increasing heat extremes in the Middle East and North Africa (MENA) in the 21st century. Climatic Change DOI 10.1007/s10584-016-1665-6
[11] Diffenbaugh N., Swain D., and Touma D. 2015. Anthropogenic warming has increased drought risk in California. PNAS, vol 112, N°13 3931–3936, doi : 10.1073/pnas.1422385112
[12] Griffin, D., and K. J. Anchukaitis (2014), How unusual is the 2012–2014 California drought ?, Geophys. Res. Lett., 41, 9017–9023, doi:10.1002/2014GL062433.
[13] Lott, F. C., N. Christidis, and P. A. Stott (2013), Can the 2011 East African drought be attributed to human-induced climate change ?, Geophys. Res. Lett., 40, 1177–1181, doi:10.1002/grl.50235.
[14] B. Orlowsky and S. I. Seneviratne, 2013. Elusive drought : uncertainty in observed trends and short- and long-term CMIP5 projections. Hydrol. Earth Syst. Sci., 17, 1765–1781, 2013
[15] Greve, P., and S. I. Seneviratne (2015), Assessment of future changes in water availability and aridity, Geophys. Res. Lett., 42, 5493–5499, doi:10.1002/2015GL064127
[16] Peter Greve, Boris Orlowsky, Brigitte Mueller, Justin She eld, Markus Reichstein and Sonia I. Seneviratne, 2014. Global assessment of trends in wetting and drying over land. NATURE GEOSCIENCE | VOL 7 | OCTOBER 2014. DOI : 10.1038/NGEO2247

Notes :

[a] Résumé à l’intention des décideurs, Tableau RID.1, p 7, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 5è rapport (AR5), Groupe de travail 1 (GT1), « Les éléments scientifiques », 2013
[b] Extremoscope, Interprétation et attribution des événements météorologiques et climatiques extrêmes dans un cadre climatique en France, Centre National de Recherches Météorologiques, 2016
[c] Climate stabilization targets :emissions, concentrations, and impacts over decades to millennia National Academy of Sciences, 2011
[d] Bilan météorologique de la canicule d’août 2003, Météo-France, 2004
[e] Les experts appellent à de meilleurs services et une meilleure observation régionale du climat Dialogue de recherche à Bonn, Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), 13 mai 2017
[f] Indice mondial des risques climatiques 2017, Novembre 2016, GermanWatch et Federal Ministry for Economis Cooperation and Development of Germany
[g] WorldRiskReport 2016, Alliance Development Works et Université des Nations unies, Institut pour l’environnement et la sécurité humaine de l’université des Nations Unies (UNU-EHS), 2016.

Informations complémentaires :

  • Gestion des risques des événements extrêmes pour l’adaptation au changement climatique (SREX), Rapport spécial, GIEC, 2012
    http://www.ipcc.ch/report/srex/
  • Figure SPM 5 (Evolution du nombre maximum de jours secs consécutifs en 2081-2100 par rapport à 1980-1999) : http://www.ipcc.ch/report/graphics/index.php?t=Special%20Reports&r=SREX&f=SPM
  • European Climate and weather Events : Interpretation and Attribution (EUCLEIA),
    http://eucleia.eu/attribution-science/
  • Selon le HCR, le risque de décès dû à la famine est croissant dans la Corne de l’Afrique, au Yémen et au Nigéria ; les déplacements sont déjà en hausse, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 11 avril 2017 http://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2017/4/58ece3dfa/hcr-risque-deces-d-famine-croissant-corne-lafrique-yemen-nigeria-deplacements.html
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