Biodiversité et climat : même combat

Le changement climatique entraîne de graves conséquences sur la biodiversité. Les perturbations du climat s'ajoutent aux pressions exercées par les activités humaines. Enrayer l’effondrement de la biodiversité est primordial pour répondre à la crise climatique, et sera indispensable pour la survie des écosystèmes mais aussi de l’humanité.

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La biodiversité affronte aujourd’hui une crise globale sans précédent : nous sommes à l’aube de la 6e extinction majeure.

La biodiversité, c’est quoi ?

La biodiversité désigne le tissu vivant de notre planète. Il ne s’agit pas simplement d’une liste d’espèces animales et végétales, mais d’un ensemble dynamique en métamorphose permanente. Les scientifiques distinguent 3 niveaux de lecture : la diversité des écosystèmes, la diversité des espèces et la diversité génétique. Le terme de biodiversité renvoie à la multiplicité des interactions entre les organismes au sein de milieux en constante évolution.

La notion d’écosystème désigne “un système formé par un environnement et par l’ensemble des espèces qui y vivent, s’y nourrissent et s’y reproduisent”. (Larousse)

Ce n’est pas la première crise à laquelle la biodiversité doit faire face, mais celle-ci est exceptionnelle pour deux raisons. Premièrement, parce qu’elle progresse extrêmement vite : elle est 100 à 1 000 fois plus rapide que toutes les crises du passé.

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En moins de 50 ans, on observe une chute de 69 % de l’abondance des populations d’espèces sauvages surveillées dans le monde (Source : WWF – Living Planet Report 2022)

Deuxièmement, c’est la première fois qu’une crise de la biodiversité est due à l’une des espèces qui la compose : l’Homo sapiens. En effet, toutes les causes de l’effondrement de la biodiversité que nous traversons sont liées aux activités humaines. Ce sont notamment :

  • Les changements d’usages des espaces terrestres et marins (dont la déforestation, l’artificialisation des sols…), dus entre autres à l’urbanisation et à l’agriculture intensive. Cela entraîne la destruction et la fragmentation des habitats naturels, et constitue actuellement la première cause de perte de biodiversité ;
  • La surexploitation des espèces animales et végétales (via la pêche, les exploitations forestières…) ;
  • La pollution (chimique, physique, lumineuse, sonore) ;
  • Les importations d’espèces envahissantes et de maladies ;
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78 000 km2 de forêts sont détruits chaque année (en moyenne sur la période 2010-2018), soit environ l’équivalent d’un terrain de football toutes les 3 secondes.

À tous ces facteurs s’ajoute le changement climatique, qui exerce une forte pression supplémentaire sur les espèces animales et végétales de tous les milieux. Selon le GIEC, « Le changement climatique a causé des dommages considérables, et de plus en plus de pertes irréversibles, dans les écosystèmes terrestres, d’eau douce, côtiers et océaniques. » On parle souvent de double crise du climat et de la biodiversité. Ces deux crises fortement imbriquées sont toutes deux causées par les activités humaines et s’amplifient mutuellement. Pour les résoudre, ces deux problèmes doivent être traités ensemble.

Si on ne limite pas le réchauffement climatique à +1,5°C (par rapport aux années 1850-1900), le changement climatique deviendra probablement la principale cause de perte de biodiversité dans les décennies à venir.

Les impacts du changement climatique sur la biodiversité

Avec la hausse des températures et la modification du climat, de nombreuses espèces sont confrontées à des conditions qu’elles n’ont jamais affrontées, qui dépassent leur capacité à s’adapter. Cela perturbe le calendrier saisonnier d’événements biologiques majeurs (floraisons, fin des hibernations, migrations annuelles…), causant des déséquilibres importants dans les écosystèmes et les chaînes alimentaires. Ces nouvelles conditions favorisent aussi la propagation de certains insectes et parasites, amplifiant la transmission de maladies chez les animaux et végétaux.

Le climat entraîne par ailleurs des disparitions locales : près de la moitié (47 %) des espèces étudiées par le GIEC ont subi des extinctions de populations locales, associées à une hausse des températures. Les espèces peuvent aussi être contraintes à se déplacer pour survivre, afin d’atteindre, lorsque c’est possible, des latitudes plus hautes, des altitudes plus élevées, des eaux plus profondes… Cela peut les sauver mais aussi générer de nouvelles formes de compétition entre elles au sein des écosystèmes.

On observe également des épisodes de mortalité massive d’animaux et de plantes, notamment dus aux événements météorologiques extrêmes (incendies, sécheresses, inondations…). Par exemple, une vague de chaleur en Australie en 2018 a entraîné la mort de plus de 23 000 chauves-souris en seulement deux jours.

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Le crapaud doré et le melomys de Bramble cay, deux espèces disparues à cause des impacts climatiques.

Le changement climatique accentue le risque de disparitions d’espèces, voire cause directement des extinctions. C’est le cas pour le crapaud doré, disparu dans les années 1990 à la suite d’inondations extrêmes au Costa Rica, ou encore du melomys de Bramble Cay, un rongeur d’Océanie disparu en raison de l’élévation du niveau de la mer et des tempêtes.

18 %
Si le réchauffement de la planète dépasse +2°C d’ici la fin du siècle (la trajectoire actuelle nous mène à +2,8°C environ), 18 % de toutes les espèces terrestres seront fortement menacées d’extinction. S’il atteint +4,5 °C, environ la moitié des espèces végétales et animales recensées seront menacées.

Tous les milieux sont impactés à différentes échelles : les forêts tropicales voient leur faune et leur flore décliner dangereusement, les vagues de chaleur marines ainsi que l’acidification des océans (due à l’augmentation des concentrations de CO2) perturbent les espèces aquatiques, les écosystèmes côtiers sont menacés par la montée des eaux… La situation est particulièrement critique dans les points chauds de la biodiversité, c’est-à-dire les zones avec une biodiversité très riche mais directement menacée par l’activité humaine. Par exemple, dans les îles de ces points chauds (comme Madagascar, les îles des Caraïbes…), 100 % des espèces endémiques (vivant exclusivement dans cette région) seront menacées d’extinction dans les décennies à venir à cause du changement climatique, quel que soit le scénario.

Tous ces risques sont déjà importants au niveau de réchauffement actuel, estimé à +1,1°C à l’échelle mondiale. Ils sont en outre aggravés par les autres pressions humaines citées précédemment, qui réduisent la résilience des écosystèmes au changement climatique. Ils seront de plus en plus élevés à chaque dixième de degré supplémentaire. C’est pourquoi une réduction urgente et drastique des émissions de gaz à effet de serre est indispensable pour protéger la biodiversité.

Quelles conséquences pour les sociétés humaines ?

Ces différents impacts entraînent de graves conséquences pour les sociétés humaines : comme l’explique le GIEC, “la survie de l’espèce humaine dépend d’écosystèmes sains et d’une biodiversité riche”. Nous faisons partie du tissu du vivant et en sommes directement dépendants pour respirer, nous habiller ou encore nous nourrir, puisque tout ce que nous mangeons est issu du vivant.

« L’humanité dépend de 50 000 espèces sauvages pour sa survie » (Rapport de l’IPBES « Utilisation durable des espèces sauvages », 2022)

Les différentes espèces permettent à l’humanité de bénéficier d’une large variété d’avantages, appelés services écosystémiques : accès à la nourriture, mais aussi oxygène, filtration de l’eau, rafraîchissement de l’air, etc. Les écosystèmes participent aussi à limiter le réchauffement du climat en absorbant des émissions de gaz à effet de serre (principalement par le sol et l’océan…) et jouent un rôle dans l’adaptation aux impacts climatiques (limitation du risque d’inondation, résilience aux événements extrêmes…). Les récifs coralliens illustrent bien ces services écosystémiques : ils sont non seulement un formidable havre de biodiversité, mais jouent aussi un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire, les économies locales (via la pêche, le tourisme), le maintien des écosystèmes voisins, la lutte contre l’érosion ou encore la protection contre les vagues de tempête. Ils sont malheureusement fortement menacés : 70 à 90 % des récifs coralliens pourraient disparaître à +1,5°C, et jusqu’à 99 % à +2°C.

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Les récifs coralliens, formidables réserves de biodiversité mais aussi indispensables pour les sociétés humaines et l’adaptation au changement climatique.

Le déclin de ces services va entraîner des pertes économiques et de moyens de subsistance, des menaces pour la sécurité alimentaire, mais aussi une altération des pratiques culturelles. Les populations autochtones sont en première ligne face à ces impacts, et en particulier les femmes, qui dépendent davantage des écosystèmes en raison des inégalités structurelles qui limitent leur accès à d’autres ressources, matérielles et financières.
De nombreux territoires actuels de culture et d’élevage vont devenir inadaptés, avec des conséquences sévères pour les agriculteurs, pêcheurs, mais aussi toutes les personnes qui dépendent directement ou indirectement de ces écosystèmes.
Certaines zones qui permettaient de stocker du carbone (et donc de limiter l’impact des gaz à effet de serre) en deviennent, au contraire, des sources. C’est le cas par exemple des glaces arctiques, dont le dégel entraîne des émissions de méthane.

Agir pour la biodiversité et le climat

L’assemblée générale des Nations unies a reconnu en 2022 que tout le monde avait le droit de vivre dans un environnement propre, sain et durable. Des lois et politiques doivent être mises en place par les gouvernements pour garantir ce droit : sortir des énergies fossiles, protéger les espèces et espaces en danger, arrêter les financements pour les activités qui dégradent les écosystèmes… Les solutions existent, mais nécessiteront des changements transformationnels à toutes les échelles, de nos façons de produire et de consommer à nos technologies et nos systèmes économiques.

Pour réduire les impacts du réchauffement climatique, il est avant tout essentiel de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Le déclin de la biodiversité ne peut être enrayé si on ne limite pas le réchauffement sous 2°C (ou préférablement 1.5°C).

En parallèle de cette limitation du réchauffement, il est indispensable de mettre en place des mesures permettant d’augmenter la résilience de la biodiversité au changement climatique. Cela induit de protéger et de gérer de manière durable les écosystèmes fragiles. Dans certains cas, il est possible de restaurer ceux qui ont été détériorés et les services qu’ils fournissent. Ces mesures ne sont toutefois efficaces que si elles sont mises en place en accord avec les populations locales.

On parle parfois de solutions fondées sur la nature pour désigner ces mesures. Si elles sont efficaces en théorie, les résultats qu’elles obtiennent peuvent être variables en fonction des mesures mises en œuvre et des modalités de déploiement. Il faut être vigilant sur ces conditions pour éviter le greenwashing voire des dégradations supplémentaires des écosystèmes, et s’assurer du respect des droits humains.

En plus de ces mesures pour mieux résister aux impacts climatiques, il est important de minimiser les autres contraintes humaines, sources de stress et de perturbation pour les écosystèmes (surexploitation, déforestation, pollution…). Une gestion plus durable des espèces animales et végétales doit être mise en place. Par exemple, réduire nos déchets ou encore adopter une part plus importante de produits d’origine végétale dans notre alimentation peut contribuer à limiter l’expansion future de l’utilisation des sols et à favoriser la restauration des écosystèmes.

La préservation de la biodiversité est une solution majeure pour lutter contre le changement climatique. Cela favorise l’absorption des émissions de gaz à effet de serre, mais offre aussi de nombreux avantages comme la résilience face aux événements météorologiques extrêmes (vagues de chaleur, inondations…) la protection des côtes, l’amélioration de la qualité de l’eau, la réduction de l’érosion des sols…

Des exemples pour limiter les risques climatiques en renforçant la nature

En plus des bienfaits pour la biodiversité elle-même, certaines mesures présentent des bénéfices pour limiter les impacts du changement climatique. Par exemple :

  • Dans les villes, créer des parcs, des mares, végétaliser les rues, les toits, les murs afin de réduire l’effet des vagues de chaleur ;
  • Développer l’agroécologie (dont l’agriculture biologique) pour diversifier les récoltes et le bétail, mais aussi améliorer la santé des sols, ce qui permet une meilleure résilience aux événements extrêmes (sécheresses, inondations…).
  • Réduire les risques d’inondations autour des rivières en protégeant les zones humides, en restaurant les cours naturels des rivières.

Il est primordial de traiter les crises du climat et de la biodiversité ensemble, or certaines réponses au changement climatique présentent des risques pour les écosystèmes. Par exemple, des mesures d’adaptation aux impacts climatiques, comme la construction de digues face aux inondations, peuvent perturber les espèces : on parle alors de maladaptation. De même pour certaines solutions permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi ces mesures, comme le déploiement d’énergies renouvelables, doivent être déployées en tenant rigoureusement compte des risques qu’ils représentent pour la biodiversité afin de minimiser ces derniers.

Le GIEC précise par ailleurs que les différentes solutions pour protéger la biodiversité doivent s’appuyer sur “une gouvernance inclusive” et une concertation avec les peuples autochtones : “La prise en compte des connaissances autochtones et locales et de l’expertise pratique est essentielle pour une adaptation efficace basée sur les écosystèmes”.

Les peuples autochtones sont les premiers habitants d’une zone géographique, avec des traditions et une culture associées à un territoire, basées sur des générations d’histoire. Ils jouent un rôle primordial dans le maintien de la biodiversité : ils gèrent l’exploitation d’espèces sauvages (pêche, cueillette…) dans 87 pays et sur plus de 38 millions de km2 de terres, soit 40 % des zones terrestres conservées. Le déclin de la biodiversité a de profondes conséquences sur leurs modes de vie.

S’ils ont des pratiques et des cultures diverses, ils possèdent généralement des valeurs communes de respect de la nature et une meilleure compréhension des écosystèmes. La protection d’un territoire doit respecter et promouvoir les droits des peuples qui y vivent, mais aussi s’appuyer sur leurs connaissances. Selon l’IPBES (groupe international d’experts sur la biodiversité), on observe une meilleure conservation quand les politiques sécurisent les droits fonciers et l’accès équitable aux terres de ces populations, et en leur sein des groupes les plus exclus de ces droits, dont les femmes.

Maintenir la santé de la planète est une condition nécessaire pour lutter contre le changement climatique. Notre santé, notre économie, notre bien-être, et plus simplement l’avenir de l’espèce humaine sont dépendants de la biodiversité et des systèmes naturels.

Sources

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