Énergie

Urgence climatique : notre analyse après les annonces d’Emmanuel Macron le 27 novembre 2018

La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) est la feuille de route nationale pour la lutte contre le dérèglement climatique. elle fixe des budgets carbone, c’est à dire des plafonds d’émissions de gaz à effet de serre pour 3 périodes de 5 ans.

Centrale nucléaire

La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) est la feuille de route nationale pour la lutte contre le dérèglement climatique. elle fixe des budgets carbone, c’est à dire des plafonds d’émissions de gaz à effet de serre pour 3 périodes de 5 ans.

Elle s’appuie sur des hypothèses (nombre de rénovations de logements, évolution de la part modale du vélo, baisse du cheptel, …) associées à des orientations nécessaires des politiques publiques pour atteindre ces objectifs. Ces hypothèses forment un scénario de référence qui est la vision de l’État de notre futur en matière de climat et d’énergie dans tous les domaines concernés : transports, bâtiment, industrie, agriculture… Ce scénario s’appelle AMS pour “Avec Mesures Supplémentaires”.

La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est la feuille de route nationale pour la transition énergétique et doit respecter les objectifs de la loi sur la transition énergétique. Elle s’appuie sur les besoins en énergie du scénario AMS et les traduit en mix de production d’énergie, puis en mix électrique. Elle fixe des objectifs par filière, en particulier pour les énergies renouvelables.

Ces documents n’ayant pas encore été publiés, l’analyse ci-dessous s’appuie sur le discours d’Emmanuel Macron et sur le dossier de presse du Ministère de la transition écologique et solidaire. Elle sera actualisée ultérieurement.

1-La France acte le fait qu’elle va émettre davantage d’émissions de gaz à effet de serre que prévu jusqu’à 2023 tout en gardant l’objectif de neutralité carbone en 2050

Les précédente SNBC, publiée en 2015 en amont de la COP21, fixait des budgets carbone, c’est à dire des plafonds d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser jusqu’en 2028. Depuis, les émissions ont augmenté et largement dépassé les budgets carbone pour 2016 et 2017. 

En cause, la rénovation performante des logements qui peine à se massifier. de même les ventes de carburant ont augmenté ces dernières années et les alternatives à la voiture ou au fret routier n’ont pas été développées.

Face à ces mauvais résultats, les nouvelles projections montrent un dépassement des budgets carbone qui étaient prévus jusqu’à 2023. Ceux-ci sont donc mis à jour avec des quantités supérieures d’émissions, alors même que le dernier rapport du GIEC nous rappelle qu’il faut accélérer au plus vite l’action.

Pour autant, l’objectif de neutralité carbone en 2050 est atteint dans les projections avec des baisses très fortes des émissions après 2023.

L’enjeu est maintenant d’accélérer l’action et d’au moins respecter les nouveaux budgets carbone car, si les mauvais résultats devraient perdurer, cela occasionnerait une nouvelle remise en cause des futurs budgets carbone dans 5 ans.

Mais le respect des nouveaux budgets carbone implique des modifications importantes des politiques publiques qui ne sont pas encore complètement engagées.

2-L’objectif de baisse de la consommation d’énergies fossiles est renforcé alors que l’objectif de baisse globale de la consommation d’énergie est amoindri

Le dossier de presse indique une baisse de 35 % de la consommation d’énergies fossiles en 2028 alors que la loi sur la transition énergétique prévoit une baisse de 30 % de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles en 2030. Si nous nous félicitons d’une hausse des ambitions dans ce domaine, sa concrétisation dans les faits dépendra d’une modification profonde des politiques publiques. Les annonces dans les secteurs comme la mobilité ou la rénovation des logements ne semblent pour l’instant pas être cohérentes avec cette hausse de l’ambition (voir plus bas).

Par ailleurs, l’objectif de baisse de 20 % de la consommation d’énergie finale en 2030 devrait être revu à la baisse puisque le dossier de presse indique une baisse de 14 % seulement en 2028. Pourtant, baisser la consommation d’énergie a de nombreux autres bénéfices : réduction de la précarité énergétique, créations d’emplois dans la rénovation des logements par exemple ou baisse du déficit de la balance commerciale française. Alors que les Français sont inquiets pour leur pouvoir d’achat, la baisse de la consommation d’énergie devrait être un objectif prioritaire.

3-La confirmation de la fermeture des quatres dernières centrales à charbon d’ici 2022

La France a encore quatre centrales à charbon en fonctionnement en métropole, source d’énergie particulièrement néfaste pour le climat. Leur fermeture, déjà actée dans la précédente PPE de 2016, a été confirmée par Emmanuel Macron pour 2022. L’arrêt de ces centrales est un signal important. Elles sont responsables d’environ 2 % des émissions de gaz à effet de serre françaises. Depuis quelques mois, des projets de reconversion des centrales à charbon en centrales à biomasse (bois, notamment issu de déchets d’ameublement) sont portés par des acteurs locaux (élus, syndicats…). Mais ces reconversions présentent des risques environnementaux en cas d’usage de quantités importantes de bois ou économiques si ces quantités (et donc la durée annuelle de fonctionnement des centrales) étaient réduites. Le dossier de presse confirme la fermeture des dernières centrales à charbon. La question de l’accompagnement des territoires et des salariés concernés reste ouverte et devra être une priorité pour le gouvernement et les acteurs locaux. Mettre en place un Contrat de transition écologique, en mettant autour de la table des acteurs économiques d’activités en développement comme l’éolien, comme annoncé par Emmanuel Macron, est indispensable pour préparer au mieux les reconversions.

4-Un immobilisme sur le nucléaire qui met en péril l’avenir du système électrique français et la transition énergétique en Europe

Les annonces faites le 27 novembre actent la fermeture des 2 réacteurs nucléaires de Fessenheim dans la première période de la PPE (au printemps 2020 selon le dossier de presse). Deux réacteurs supplémentaires seront fermés en 2027-2028 et deux autres, de manière conditionnelle, en 2025-2026. En clair, il pourrait ne pas y avoir d’autre fermeture de réacteur que ceux de Fessenheim pendant deux quinquennats.

Les autres fermetures de réacteurs prévues sont annoncées pour 2029, soit dans plus de 10 ans, après deux quinquennats et deux révisions de PPE. Du fait des changement importants apportés 3 ans seulement après le vote de la loi sur la transition énergétique, les annonces concernant un horizon aussi lointain semblent fragiles.

L’objectif de 50 % de nucléaire dans la production d’électricité est décalé à 2035, contre l’avis des Français alors qu’un récent sondage montre que la majorité des Français souhaite maintenir l’échéance de 2025 (43 %) ou la repousser à 2030 (10 %), soit 53 % au total.

Pourtant RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, indique la possibilité, si l’on substitue le nucléaire au fur et à mesure du développement des énergies renouvelables, de fermer 16 réacteurs nucléaires d’ici 2030 et 11 de plus entre 2030 et 2035, permettant ainsi de descendre à 50 % de nucléaire dans la production d’électricité dès 2030 et à 41 % en 2035.

Emmanuel Macron fait donc le choix de freiner la transition énergétique. Sans place laissée aux énergies renouvelables et aux économies d”énergie, la France va continuer à rester enfermée dans son choix du nucléaire, sans marge de manœuvre. Par ailleurs, les chiffres annoncés par Emmanuel Macron, avec un report de la fermetures de réacteurs nucléaires et un développement annoncé des énergies renouvelables, aboutissent à une hausse très forte (multiplication par 3 ou 4) des exportations d’électricité qui n’est ni réaliste, ni souhaitable (voulons-nous prolonger de nombreux réacteurs nucléaires vieillissants en France pour alimenter en électricité nos voisins… qui ne veulent pas de cette électricité fortement nucléarisée ?).

Remettre à plus tard la fermeture des réacteurs nucléaires, c’est parier sur le fait qu’ils pourront être prolongés jusqu’à 50 ou 60 ans, voire plus, alors que rien ne montre que ce soit possible. Emmanuel Macron s’est engagé à la fermeture de 14 réacteurs d’ici à 2035. Cela signifie que 44 réacteurs anciens seront encore en fonctionnement à cette date. Ils auront en moyenne 49 ans et entre 36 et 55 ans de durée d’exploitation. Emmanuel Macron n’a donné aucune perspective sur la fermeture de ces réacteurs après 2035, laissant pour ses successeurs ce fardeau et ce risque d’avoir à fermer en quelques années seulement un nombre important de réacteurs parce que ces fermetures auront été décalées.

Reporter la fermeture de réacteurs nucléaires, c’est aussi renforcer les risques et augmenter la production de déchets nucléaires alors que nous n’avons aucune solution satisfaisante pour les gérer. Cette inertie sur le nucléaire est un mauvais signal envoyé aux partenaires européens de la France au moment où les trajectoires de transition énergétique nationales devraient peu à peu s’aligner pour construire l’Europe de l’énergie. L’Allemagne, notamment, attendait un geste dans la PPE afin d’accélérer la sortie du charbon Outre-Rhin sans risquer d’importer les surplus d’électricité nucléaire français.

Par ailleurs, le dossier de presse indique que de nouvelles capacités nucléaires n’apparaissent pas nécessaires pour le système électrique avant l’horizon 2035. Mais le discours du président de la république évoque une demande faite à EDF de travailler à l’élaboration d’un programme de nouveau nucléaire, en prenant des engagements fermes sur le prix pour qu’il soit plus compétitif. “Tout doit être prêt en 2021, pour que le choix qui sera proposé aux Français puisse être un choix transparent et éclairé.” Pourtant il suffit de regarder les déboires, retards et surcoûts de l’EPR de Flamanville pour se rendre compte de l’impasse de cette filière. Économiquement, ce choix ne tient pas la route : le nouveau nucléaire coûte deux fois plus cher, ou même plus, que les énergies renouvelables dont le coût continue encore de chuter.

5-Mobilités : des pas en avant mais un projet de loi insuffisant face à l’urgence climatique

Le projet de loi sur les mobilités fait un pas vers un système de mobilité plus durable, mais le gouvernement ne s’est pas donné les moyens d’en faire un véritable bouclier contre les dérèglements climatiques et la hausse des prix du carburant en cédant face aux pressions de certains secteurs particuliers. Il devra être renforcé dans le cadre du débat parlementaire pour être cohérent avec les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris, ne pas trahir les objectifs fixés dans la PPE / SNBC dévoilés mardi, et répondre à l’urgence sociale et écologique de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, au tout routier et à la voiture individuelle.

Les avancées pour la mobilité durable dans tous les territoires

Le projet de loi d’orientation des mobilités apporte des avancées sur la lutte contre la pollution de l’air et donc notre santé avec le déploiement des zones à faibles émissions dans les agglomérations les plus polluées et le plan vélo (stationnement vélo en gare, fonds vélo pluriannuel). Il permettra aussi de lancer de nouveaux projets pour les transports du quotidien.

Néanmoins, les moyens budgétaires sont en deçà des besoins. Pour sortir de la dépendance à la voiture individuelle dans tous les territoires, les recettes dégagées grâce à la hausse des taxes sur les carburants doivent être redistribuées sous forme d’aides et d’investissements dans les alternatives au tout routier et à la voiture individuelle carburant au pétrole.

Avec ce projet de loi, le gouvernement veut désenclaver la France périphérique et confirme le rôle clé des territoires pour mener la transition dans la mobilité. Pour passer des bonnes intentions aux effets concrets et durables, des financements spécifiques sont nécessaires pour permettre aux régions et aux collectivités locales de mener à bien leurs missions de mobilité solidaire et durable et sauver les lignes de train.

Reculs,  incohérences et oublis

Le gouvernement a renoncé à traduire son engagement de mettre fin à la vente des véhicules diesel et essence dans la loi. Or pour obliger les constructeurs automobiles à vendre des véhicules plus économes et moins polluants afin de sortir durablement du piège à pétrole, la fin du diesel et de l’essence en France doit être gravé dans la loi à un horizon compatible avec l’accord de Paris (horizon 2030). Suite à la demande des employeurs, ces derniers pourront toujours refuser le remboursement des trajets domicile travail faits en covoiturage ou à vélo, le forfait mobilité durable restant facultatif.

Les mesures facultatives ne suffisent pas pour susciter un changement de comportement à grande échelle, nécessaire pour faire face à l’urgence climatique.

Le Réseau Action climat déplore la décision du gouvernement de reporter la vignette poids lourds alors que le transport routier bénéficie d’une concurrence déloyale face au fret fluvial et ferroviaire qui sont, malgré leur intérêt écologique, en déclin. Il est nécessaire et possible de supprimer les avantages fiscaux du kérosène utilisé par le transport aérien et du gazole routier utilisé par les transporteurs routiers.

Le gouvernement n’a malheureusement pas écouté les recommandations du conseil national de transition écologique (CNTE) composé d’ONG, de syndicats et d’autres organisations représentatives de la société civile, qui visait à renforcer le projet de loi dans ce sens.

Pour être 100 % compatible avec l’accord de Paris, il faut aussi mettre un terme aux projets routiers qui n’ont pas leur place dans la transition puisqu’ils pourraient empirer la situation (accroissement du trafic et donc des nuisances). Le gouvernement a eu la sagesse d’abandonner l’A45, il doit appliquer une règle d’or climatique au plan d’investissement de manière écarter tous les projets néfastes pour l’environnement qui entretiennent la dépendance à la voiture individuelle (par ex projets de contournements routiers à Rouen, Strasbourg, Arles.). Pour mettre cette loi au service de l’intérêt général, le gouvernement et les parlementaires devront résister aux groupes de pressions aux intérêts court-termistes en mettant notamment à contribution les transports les plus polluants et les employeurs dans la transition écologique du secteur des transports.

Le Réseau Action Climat fait une évaluation régulière de la loi sur les mobilités. Aujourd’hui, 38% du chemin est parcouru.

6-Le grand écart entre les objectifs de la SNBC sur le bâtiment et les actions réellement mises en oeuvre

L’atteinte des objectifs nécessite une nette accélération du rythme de la transition écologique avec des changements structurels ainsi qu’un lancement rapide de cette accélération via la modification des règles et incitations qui encadrent la rénovation et la construction. Le premier enjeu est la rénovation radicale du parc existant, pour aboutir au niveau bâtiment basse consommation (BBC) sur la totalité de ce parc (en moyenne) en 2050, avec des exigences thermiques et énergétiques ambitieuses ainsi que des exigences fortes en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Cela implique l’accélération progressive du rythme de rénovation pour atteindre 500 000 rénovations sur le quinquennat, conformément au plan rénovation, puis 700 000 rénovations en moyenne sur la période de niveau équivalent BBC. L’atteinte des objectifs demande également une montée en puissance progressive, mais très rapide, de la profondeur (qualité et ampleur) des rénovations.

Pourtant, la rénovation performante des logements n’est toujours pas favorisée. Changer les chaudières au fioul est un objectif louable, mais il doit s’accompagner d’une rénovation performante du logement pour ne pas avoir des factures de chauffage qui explosent.

La transformation du CITE en prime en 2020 est également un bon signal pour les ménages qui n’auront plus à avancer ces sommes, mais il reste le chantier de la révision des aides financières pour mieux les flécher vers les rénovations performantes et vers les ménages les plus précaires.

Par ailleurs, la massification des rénovations performantes ne se réalisera pas sans un conseil indépendant de proximité, à même de rassurer les ménages sur les meilleurs travaux à réaliser et de les informer sur les aides financières. Pourtant, le financement de ce Service public de la performance énergétique de l’habitat n’est toujours pas pérennisé.

7-La baisse de la consommation de viande actée… mais non encore traduite dans les politiques publiques

L’agriculture est responsable de près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, en particulier via le méthane des ruminants et le protoxyde d’azote des engrais. La nouvelle SNBC devrait confirmer l’objectif de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole en 2050, dans le cadre de la neutralité carbone. Le dossier de presse évoque une évolution de la demande alimentaire vers des produits de meilleure qualité, en respectant les nouvelles préconisations nutritionnelles. En effet, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, notamment de méthane, il convient de limiter les excès de consommation de produits animaux et de produits transformés et d’augmenter la consommation de légumineuses et de fruits et légumes et la montée en gamme des produits consommés. Ces recommandations devront être intégrées et chiffrées dans la SNBC, d’une part, et assorties de politiques publiques concrètes d’autre part. En ce sens, nous demandons l’inscription de l’objectif suivant dans le texte : une division par 2 de la consommation de protéines animales d’ici à 2050 et la baisse de 20 % de la consommation de protéines animales d’ici à 2022.

Les politiques publiques à la hauteur doivent rapidement être mises en place afin de respecter les objectifs de la SNBC :

  • Un Programme national nutrition santé (PNNS) ambitieux, qui fixe des repères nutritionnels en adéquation avec les derniers résultats scientifiques (ANSES, 2017) incitant clairement à une diminution de la consommation de produits animaux et des produits transformés et une augmentation des légumineuses, des fruits et légumes et des produits issus de l’agriculture biologique.
  • Rendre obligatoire le nutriscore (système d’étiquetage nutritionnel) sur tous les produits agroalimentaires et chez tous les distributeurs
  • Interdire la publicité agroalimentaire télévisuelle à l’heure d’écoute des enfants.

Encourager ainsi la baisse de la consommation de produits animaux et des produits transformés, associé à une augmentation de la consommation de produits issus de l’agriculture biologique, sera économe pour tous, les consommateurs et les agriculteurs et améliorera la santé de tous (face à l’épidémie inégalée jusqu’alors de maladies chroniques liées à l’alimentation : diabète de type 2, obésité, maladies cardio-vasculaires, certains cancers, sans parler des maladies professionnelles des agriculteurs et travailleurs agricoles liés aux pesticides). Des économies substantielles pourront en outre être mesurées pour les dépenses de santé.

8-Les renouvelables boostés, mais avec un traitement différent pour chaque filière

Les objectifs annoncés pour le développement des énergies renouvelables sont globalement bons, sauf pour l’éolien en mer où l’ambition est freinée. La France, engluée dans son choix historique du tout nucléaire, a laissé passer des opportunités industrielles autour des énergies renouvelables. Ainsi, alors même que notre pays dispose de vaste côtes, nous avons pris un retard considérable sur nos voisins pour l’éolien en mer et les usines se sont installées en Allemagne. Les objectifs peu élevés sur l’éolien en mer devraient malheureusement accentuer ce retard.

Les orientations du dossier de presse proposent de privilégier le développement du photovoltaïque au sol. Les derniers appels d’offres pour de grands parcs au sol ont abouti à un prix moyen de l’électricité de 52 €/Mwh, largement plus compétitif que de la plupart des autres filières. Alors que la France accuse un retard conséquent sur ses objectifs en matière d’énergies renouvelables et fait figure de mauvais élève parmi les pays européens, l’accent est mis sur cette filière. Mais est-ce une si bonne idée de concentrer des moyens dans la filière qui produit à un coût le plus bas actuellement ? L’important est de regarder le coût du système électrique, voire énergétique, dans son ensemble. Pour couvrir les besoins, il est nécessaire d’avoir un mix électrique diversifié avec du solaire, certes, mais également de l’éolien, de l’hydraulique, etc… C’est ce foisonnement de productions variées, bien réparties sur le territoire national, qui permettra d’assurer un meilleur approvisionnement.

La concentration de parcs photovoltaïques dans les régions les plus au sud risque de se heurter à un problème d’accès au foncier, et à des critères de durabilité, notamment concernant la biodiversité. Ne regarder que le prix de l’électricité produite pourrait masquer des obstacles forts, mais aussi mettre de côté des projets de photovoltaïque sur les toits, plus facile à réaliser en terme d’acceptabilité, même s’ils produisent une électricité un peu plus chère. Impliquer les collectivités, les acteurs économiques des territoires et les citoyens, leur donner un possibilité de s’impliquer dans la transition énergétique près de chez eux, créer des emplois et de la valeur dans les territoires, voilà des enjeux que la PPE ne peut pas mettre de côté.

Quant à la hausse du soutien public aux énergies renouvelables dont le dossier de presse indique qu’ils seront “maîtrisés”, il est utile de rappeler que les montants devront être plus précisément évalués par le comité de gestion de la CSPE créé par la loi sur la transition énergétique et qu’ils dépendent du prix de marché de l’électricité. Or, moins on ferme de réacteurs nucléaires, plus le prix de marché pourrait être amené à baisser, rendant plus élevé le soutien public aux énergies renouvelables.

Enfin, alors que la disparition progressive des agrocarburant de première génération devrait être actée car ils n’apportent pas de valeur ajoutée pour le climat et présente des risques (changement d’affectation des sols entre autres), le dossier de presse évoque le maintien de l’objectif de 7 % d’incorporation jusqu’à 2028.

9-Agrocarburants et aviation

La SNBC devrait reprendre l’objectif de l’OACI de 50 % d’agrocarburants en 2050 dans le carburant aérien (soit environ 285 millions de tonnes) – également soutenu par la CE en 2011, avant les débats qu’a donné lieu RED2, qui planifie plutôt une réduction de l’usage des agrocarburants de 1ere génération. Cette annonce est très préoccupante. Le trafic aérien mondial continue de croître : de quelques millions de passagers en 1950 à 3,3 milliards en 2014, le milliard de passagers a été franchi en 1987. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) estime que le nombre de passagers aériens atteindra 6 milliards d’ici 2030 (conséquences : les émissions de GES du secteur de l’aviation augmentent plus rapidement que celles de n’importe quel autre secteur. Entre 1990 et 2014, les seules émissions de l’aviation internationale ont augmenté de 87 %.)

À l’heure actuelle, environ 2 % seulement des biocarburants sont utilisés dans les réservoirs d’avions, en raison de coûts économiques au niveau mondial. Mais un type de biodiesel HVO, déjà disponible en quantités industrielles, a été proposé à l’ASTM (autorité internationale compétente). S’il devait être approuvé, le marché pourrait potentiellement atteindre 43,3 millions de tonnes supplémentaires. Cela équivaut à trois fois le volume de l’ensemble du marché des biocarburants de l’UE, soit 1,6 fois la production totale de biodiesel dans le monde.

Or, en l’état actuel du marché mondial, ce biodiesel sera obtenu à base d’huile de palme. Le marché mondial de l’huile de palme, déjà responsable de déforestation massive et donc fortement émetteur de GES (dans les pays exportateurs), sera donc amené à exploser. Nous devons donc rappeler que nous sommes fermement opposés à l’usage de l’huile de palme dans le secteur des transports, et plus largement aux agrocarburants de 1ère génération (obtenus à partir de cultures alimentaires).

10-Les territoires, grands oubliés des mesures et des moyens

Si les territoires ont été évoqués par Emmanuel Macron dans son discours, peu de mesures concrètes ont été abordées, hormis les Contrats de transition écologique (CTE) déjà en cours de discussion depuis plusieurs mois pour les sites concernés par des fermetures de centrale au charbon. Dans le dossier de presse du ministère de la transition écologique et solidaire, les territoires sont absents. Peu étonnant alors que la PPE et la SNBC sont des exercices nationaux déconnectés des plans régionaux (SRADDET) et intercommunaux (PCAET). Pourtant 70 % des actions de lutte contre le dérèglement climatiques sont à mener au niveau local : accompagnement des ménages pour rénover leur logement, offre de mobilités alternatives, développement de projets d’énergies renouvelables, autant d’enjeux pour lesquels les collectivités et les acteurs territoriaux ont un rôle clé à jouer.

Le CTE ne pourra pas être l’outil unique de mobilisation et d’accompagnement des territoires, surtout s’il ne couvre pas équitablement l’ensemble du territoire et ne répond pas au manque de moyens humains et financiers des collectivités. D’autant que, si la Loi sur la transition énergétique a transféré des compétences aux collectivités, les moyens financiers ne suivent pas, alors que de plus en plus de collectivités s’engagent vers le 100 % énergies renouvelables ou ont engagé des dynamiques via les Territoires à énergie positive (TEPOS ou TEPCV). Que signifierait une PPE ayant des objectifs ambitieux si les acteurs disposant des principaux leviers pour les mettre en oeuvre n’en avaient pas les moyens ? Des ressources pérennes (de type dotation climat – énergie) doivent être mises à disposition des territoires pour sortir du « stop and go » et leur permettre de s’engager dans la durée avec une vision claire des moyens dont ils peuvent disposer, par exemple dans le cadre d’un contrat avec l’Etat qui devrait pouvoir concerner à terme la totalité des territoires. Parmi les domaines où des réponses sont attendues depuis des mois, le Service public de la performance énergétique de l’habitat, instauré par la loi sur la transition énergétique, mais dont le financement n’est toujours pas calé.

11-Des mesures pour une transition juste qui restent insuffisantes

Aucune mesure nouvelle n’a été annoncée alors que le montant du chèque énergie reste largement insuffisant.

Le débat public sur la PPE avait pourtant bien mis en avant l’expression par le grand public d’un sentiment d’injustice de la politique énergétique particulièrement marqué pour la fiscalité environnementale. Dans le bilan du débat : “Les « gros pollueurs » ne sont pas taxés. La taxation est injuste puisqu’elle n’est pas proportionnelle à la consommation. La transition énergétique n’est « accessible qu’aux bobos ».”

Pas sûr qu’une nouvelle concertation menée en 3 mois apporte des avancées majeures si des mesures nouvelles ne sont pas envisagées pour accompagner la hausse de la fiscalité écologique dans une optique de transition juste.

12-La préservation des puits de carbone naturels nécessite des mesures supplémentaires pour réduire l’artificialisation des sols

La SNBC devrait fixer de meilleurs objectifs de lutte contre la “déséquestration” : fixer un objectif de baisse moins forte des prairies et un objectif zéro d’artificialisation.

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