Actions locales

Surproduction et surconsommation : revitaliser les territoires en luttant contre l’e-commerce

Agir contre l’étalement urbain, pour la préservation des emplois, pour réduire la surproduction et la surconsommation des géants du e-commerce : voilà des mesures sur lesquelles les élus locaux ont un pouvoir.

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À l’occasion du Black Friday, le géant du e-commerce Amazon prépare son expansion en France avec 10 nouveaux projets d’implantation : méga-entrepôts, centres de tri et agences de livraison, qui vont accroître les impacts sociaux et environnementaux du marché en ligne, alors que 13 projets ont déjà été autorisés par l’Etat depuis un an. Agir contre l’étalement urbain, pour la préservation des emplois, pour réduire la surproduction et la surconsommation des géants du e-commerce : voilà des mesures sur lesquelles les élus locaux ont un pouvoir. Cet article revient sur les raisons et les moyens pour agir localement contre l’urbanisation excessive ainsi que sur les conséquences pour le climat du e-commerce à outrance à l’échelle locale, tout en proposant des actions concrètes aux élus pour y répondre.

Pourquoi agir localement contre les entrepôts de e-commerce et les grandes surfaces ?

Mettre fin à l’artificialisation des sols

Demandé par la Convention Citoyenne pour le Climat, le moratoire sur les entrepôts de e-commerce et les zones commerciales en périphérie est une mesure clé nationale, qui peut être déclinée localement, notamment pour lutter contre l’artificialisation des sols.

Un département entier de sol naturel, soit quelques 600000 hectares, disparaît tous les sept ans par l’étalement urbain, à cause de la construction incessante de grandes infrastructures routières (ponts, contournements routiers, autoroutes, etc) et de consommation (surfaces logistiques, entrepôts, grandes surfaces, etc). Les conséquences sont nombreuses et dramatiques :  pollution des sols, disparition des terres agricoles, déplacement ou destruction de la biodiversité, augmentation des nuisances (sonores, lumineuses, etc) et des risques d’inondations, etc.

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Champ de blé en Côte d’Or, Bourgogne, France.

Les impacts indirects de l’aménagement

Chaque nouveau projet d’aménagement aura des effets sur la société, sur les transports, la consommation, les emplois locaux, les conditions de travail et la qualité de vie. Par exemple, la création d’un centre commercial en périphérie d’une ville va rendre son centre désertique et provoquer une augmentation des déplacements de véhicules individuels thermiques (diesel, essence…).  A contrario, la construction d’un lotissement à un endroit précis peut dynamiser cet espace etc. Il faut penser les questions d’aménagement de manière globale.

Le e-commerce : un problème qui va au-delà de l’aménagement

En plus des conséquences relatives à l’urbanisation, la construction et/ou l’extension d’entrepôts de e-commerce et de grandes surfaces génèrent d’autres effets négatifs au niveau du climat, de l’environnement et de l’emploi :

  1. Sur la surproduction et la surconsommation, en particulier de produits électroniques et textiles. Les urgences climatique et écologique impliquent un changement profond de nos systèmes de production et de consommation, mais aussi une refonte de nos modes de vie. Tendre vers une société décarbonée, plus respectueuse de l’humain et de l’environnement, doit passer par une transformation des aspirations profondes des citoyens et citoyennes, dont une part croissante rejette la consommation effrénée.
  2. Sur les produits importés. Un rapport du Haut Conseil pour le Climat fait des équipements électriques et électroniques le 3ème secteur d’émissions importées (ce qui ne tient pas compte de tous les produits textiles par exemple, commandés en ligne). Or, les émissions importées et les émissions de la production intérieure sont 70 % plus élevées que les émissions domestiques de la France, représentant un pan entier des émissions de gaz à effet de serre non traitées dans les politiques publiques. Ces produits importés impliquent une hausse du fret aérien : ainsi les volumes mondiaux de fret aérien liés au e-commerce augmentent de plus de 20 % par an. La croissance du e-commerce est à l’origine par exemple de l’extension du terminal 4 de Roissy.
  3. Sur la logistique du dernier kilomètre. Dans le cadre du e-commerce, les derniers kilomètres de livraison sont réalisés par des véhicules utilitaires thermiques souvent très émetteurs de gaz à effet de serre et faiblement remplis. Cela implique donc de rationaliser les dispositifs de transport et de livraison en encourageant les moins polluants pour les derniers kilomètres et en aménageant sur le territoire des circuits courts et des consignes (points de livraison, logistique décarbonée).
  4. Le e-commerce peut aussi avoir pour conséquence une hausse des niveaux de surproduction et de la consommation, et donc des émissions de gaz à effet de serre, et les corollaires déplorables la destructions des invendus, le non traitement des déchets, etc.
  5. Sur les emplois et leur qualité : ceux créés sont faiblement rémunérés, présentent des taux de maladies professionnelles anormalement élevés et entraînent une suppression des emplois existants : aux États-Unis, un emploi créé par la multinationale Amazon détruit ainsi plus de 4,5 emplois du commerce traditionnel.
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L’entrepôt d’Amazon à Boves dans la Somme. – Amazon

Que peuvent faire les collectivités territoriales ?

S’engager publiquement pour un moratoire des ouvertures ou extension de grandes surfaces et entrepôts de e-commerce

Une prise de position officielle constitue la première étape pour peser dans le débat public en tant qu’élu·e. Il s’agit d’un levier d’action important afin de sensibiliser, créer des fenêtres médiatiques sur le sujet et ainsi renforcer la pression politique sur les problématiques soulevées.

Le document phare : le Plan Local d’Urbanisme

Le plan local d’urbanisme (PLU, ou PLUi s’il est intercommunal) est le principal document de planification de l’urbanisme dans la commune. Il définit les règles de construction, les zones qui doivent rester naturelles, celles réservées aux constructions futures… tout en respectant les documents de planification de l’urbanisation des échelons supérieurs (schéma de cohérence territoriale [SCoT] notamment).

Il comprend plusieurs volets, dont :

  • Le rapport de présentation, composé notamment du diagnostic territorial, d’un état des lieux initial de l’environnement, des incidences prévisibles du PLU sur l’environnement et de la compatibilité du PLU avec les différentes lois et règlements ;
  • Le projet d’aménagement et de développement durable (PADD), qui expose les objectifs et projets de la collectivité locale en matière de démographie, de développement économique et social, d’environnement et d’urbanisme à l’horizon de dix à vingt ans ;
  • Le zonage de la commune, en quatre types : « urbanisées » (U), « à urbaniser » (AU), « naturelles » (N) et « agricoles » (A).

Les communes peuvent également créer des Zones d’aménagement concerté (ZAC) et des Zones d’activité économique (ZAE) pour orienter le secteur d’activité des installations en fonction des besoins locaux.

Comment agir en tant que citoyenne, citoyen ?

Le PLU est généralement établi pour une longue durée, environ dix ans. Il peut être modifié ou révisé par délibération du conseil municipal après enquête publique. Les citoyen·nes qui le souhaitent peuvent se renseigner sur ce plan d’urbanisme dans leur commune afin d’être informé·es des plans d’urbanisation prévus, et éventuellement s’y opposer ou demander sa révision par un plaidoyer direct auprès des élu·es. Ils peuvent a contrario s’exprimer pour l’extension des zones naturelles ou agricoles dans leur commune ou plus d’ambition écologique des politiques locales. Des seuils de surface (moins de 5000 m2 par exemple) pour les installations économiques et industrielles comme des zones commerciales ou des entrepôts de e-commerce peuvent être fixés, empêchant de fait leur implantation sur une zone destinée à l’activité économique à réserver aux acteurs de proximité.

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Se saisir de l’Opération de Revitalisation du Territoire (ORT)

Depuis la loi Élan du 23 novembre 2018, les communes peuvent signer une convention avec l’État pour la mise en œuvre d’opérations de revitalisation du territoire (ORT). Cela leur permet d’investir dans le centre-ville grâce à une dispense d’autorisation d’aménagement commercial et donne la possibilité au préfet de suspendre pour une durée de trois ans, renouvelable un an, toute autorisation d’exploitation commerciale accordée à un projet en périphérie.

Comment agir en tant que citoyenne, citoyen ?

C’est un excellent moyen pour inciter les élu·es à protéger les petits commerces de la concurrence déloyale des géants de la grande distribution tels qu’Amazon.

Utiliser le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT)

Les prescriptions du SCoT s’imposent, entre autres, aux documents d’urbanisme communaux et intercommunaux (cartes communales, plans locaux d’urbanisme, etc). Le SCoT définit notamment les zones économiques et commerciales que l’on peut développer, agrandir ou créer. Cela signifie qu’à l’inverse, toute zone qui ne serait pas inscrite dans le SCoT ne pourrait pas être créée, à moins de le modifier !

Comment agir en tant que citoyenne, citoyen ?

Il s’agit d’un outil à disposition des élu·es pour contrôler l’urbanisation dans leur territoire et donc à disposition des citoyen·nes pour exercer un plaidoyer sur ce document technique et ainsi faire échouer des projets d’aménagements climaticides.

D’autres acteurs ont également un rôle pour l’aménagement urbain tels que les préfets ainsi que la commission départementale d’aménagement commercial pour les grandes surfaces (CDAC).

Soutenir l’implantation de petits commerces

Les élus peuvent agir pour soutenir une économie locale, éthique et durable et favoriser ainsi l’installation de petits commerçants :

  • En développant les circuits de distribution de proximité des productions locales, à travers des projets alternatifs facilitant l’installation des acteur·ices de l’économie sociale et solidaire (ESS : recycleries, ressourceries, associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP)…), ou en réservant des espaces pour des projets citoyens.
  • Créer des sociétés, contrôlées en partie (groupement d’intérêt économique) ou entièrement (comme une société publique foncière et commerciale) par la commune, qui gèrent plusieurs surfaces et lui permettent de faire baisser le coût des baux commerciaux et d’en flécher les attributions.

Se joindre aux recours en justice contre les projets de e-commerce

Il n’est pas rare qu’une petite commune accepte l’implantation d’un entrepôt de e-commerce pour obtenir des rentrées fiscales (via les impôts locaux) et des créations d’emplois directes sur la commune. Contrairement à une zone commerciale, qui passe obligatoirement en Chambre départementale d’aménagement commercial, ce qui permet aux autres communes d’éventuellement s’opposer au projet, il n’y a aucune évaluation de l’impact sur les emplois locaux de l’autorisation d’un entrepôt de e-commerce par les services de l’Etat et les porteurs du projet. Donc une collectivité a toute latitude d’autoriser un projet qui va détruire 4,5 fois plus d’emplois à terme dans les communes environnantes qu’il n’en crée sur place. C’est pour cette raison que toutes les collectivités dans un rayon de 150 km d’un projet d’entrepôt doivent porter ou rejoindre les recours juridiques contre lui, en faisant prévaloir le fait qu’elles seront impactées et qu’elles n’ont pas été consultées sur lui. Concrètement, il faut attaquer ou se joindre aux recours existants contre :

le permis de construire (juge administratif),
l’autorisation d’exploiter donnée par le préfet (juge administratif).

Comment agir en tant que citoyenne citoyen ?

Plusieurs associations et citoyens sont déjà mobilisés localement sur les questions d’aménagement et d’urbanisation et de lutte contre les géants de l’e-commerce.

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A Strasbourg, élus locaux et citoyen.ne.s se mobilisent contre Amazon > https://www.facebook.com/alternatibastrasbourg/posts/3529685290451493

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