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CO2 des camions : des normes poids plume pour un secteur qui pèse lourd ?

En matière de réduction des émissions de CO2 des camions, l’urgence à agir est saisissante et la mise en place d’un cadre réglementaire pertinent au niveau français et européen se fait attendre.

image camions

L’Union Européenne négocie actuellement l’introduction de premières normes limitant les émissions de CO2 pour les poids lourds neufs mis sur le marché à partir de 2019. Mais les propositions sur la table sont bien loin de répondre à l’importance des enjeux climatiques et économiques. Par ailleurs, la France et l’UE peinent à instaurer un cadre fiscal permettant de prendre en compte les externalités environnementales du secteur et favoriser le développement de véhicules et modes de transport véritablement moins polluants.

Pourquoi la réglementation du secteur est-elle indispensable ?

L’Union européenne ne dispose à l’heure actuelle d’aucun cadre règlementaire pour encadrer les émissions de CO2 du transport de marchandises par véhicules lourds. Or les poids lourds, qui comptent pour seulement 5% de l’ensemble de la flotte de véhicules au niveau européen, représentent 25 % des émissions de CO2 du transport routier. Ces émissions, comme celles de l’ensemble du secteur des transports, sont par ailleurs en nette augmentation : un boom de 10% est prévu par l’Union Européenne entre 2010 et 2030.

Les transports constituent par ailleurs la principale cause de pollution atmosphérique dans les zones urbaines, où les niveaux sanitaires de concentration d’oxydes d’azote et de particules sont dépassés de manière récurrente. Selon une étude réalisée par l’Agence Européenne de l’Environnement en 2017, 40% de la pollution par oxyde d’azote est imputable aux transports routiers. Selon les derniers chiffres de l’Agence, la pollution de l’air cause le décès prématuré de 422 000 personnes chaque année au niveau européen.

Quelles sont les propositions réglementaires envisagées au niveau français et européen ?

Au niveau européen, une première étape a été validée avec la mise en place d’un outil harmonisé, VECTO, permettant de mesurer les émissions de CO2 des poids lourds neufs vendus à partir de 2019. A partir de là, des normes permettant leur réduction s’appliqueront à chaque constructeur à deux dates clés : en 2025, puis en 2030.

Or les objectifs actuellement en discussion sont quelque peu timorés : en mai dernier, la Commission européenne a fait une proposition réglementaire établissant une trajectoire de réduction de 15% à l’horizon 2025, et d’«au moins» 30% à l’horizon 2030. Au-delà de ces objectifs, elle a aussi introduit dans sa proposition des mécanismes dérogatoires qui engendrent une importante complexité et laissent présager un futur affaiblissement des normes. Ainsi, il est proposé que les constructeurs bénéficient de « super-crédits » pour la mise sur le marché de camions dits « zéro ou à faibles émissions ». Concrètement cela signifie qu’ils pourront profiter d’un affaiblissement des normes s’ils mettent sur le marché des véhicules moins émetteurs. Les critères de définition de tels véhicules font également débat et nécessitent d’être examinés avec précaution à l’aune de garde-fous climatiques et environnementaux. De nombreuses analyses ont par ailleurs mis en avant l’inefficacité de telles dispositions, les constructeurs n’étant alors pas incités à réellement engager une transition de leur flotte. Ce mécanisme n’a d’ailleurs pas été retenu dans le cadre de la révision des normes d’émissions de CO2 des voitures.

Les parlementaires européens se sont montrés un peu plus ambitieux sur le sujet : ils ont acté des objectifs de réduction de 20% en 2025 et d’au moins 35% en 2030 et ont proposé un remplacement des super-crédits par des seuils cibles de ventes de camions moins polluants, qui resteront cependant optionnels et non contraignants pour les constructeurs.

Les Etats membres doivent maintenant à leur tour définir leurs positions. Les premières indications données lors des Conseils des ministres européens de l’environnement du 25 juin et 9 octobre derniers restent largement floues. Tout devrait se jouer lors du prochain Conseil du 20 décembre.

La France, qui se définit par ailleurs comme gardienne de l’accord de Paris, n’a toujours pas adopté de position finalisée et tarde à soutenir la mise en place de normes ambitieuses.

Quels sont les repères climatiques et économiques permettant d’évaluer ces propositions ?

Ces propositions réglementaires restent insuffisantes au regard des efforts qu’il faudrait atteindre pour réduire drastiquement les émissions du secteur et respecter les objectifs fixés par l’accord de Paris. Les modélisations effectuées à partir de ces objectifs nous indiquent ainsi qu’aller au-delà d’un scénario 2˚C et se rapprocher d’1.5˚C autant que possible implique une réduction des émissions de CO2 des poids lourds d’au moins 50% à l’horizon 2030. D’autres modélisations effectuées par l’Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique appliquée (TNO) montrent par ailleurs que le respect de l’objectif de 1.5˚C impose une proportion de 33% de véhicules « zéro émission » parmi les véhicules neufs vendus en 2030 combinée à une amélioration de 40% de la performance énergétique des poids lourds fonctionnant au diesel ou à l’essence.

Si l’on adopte une vision plus globale, d’autres analyses donnent des indications de l’ampleur des efforts à fournir pour orienter le secteur vers un horizon plus climato-compatible : Le GIEC nous a récemment rappelé dans son dernier rapport l’importance de la réduction drastique des émissions du transport. Il a également souligné que les efforts à effectuer à l’horizon 2030 seront sans précédent et déterminants pour respecter nos objectifs climatiques.

L’établissement de futures normes comporte par ailleurs d’importants enjeux économiques et de compétitivité pour l’économie européenne. Les émissions de CO2 des camions sont en effet directement liées à la consommation de carburant des véhicules. De nombreuses entreprises ont fait part de leur frustration au niveau européen face à la faiblesse des innovations de marché et des économies de carburant réalisées.  Dans une lettre adressée au président de la Commission Jean-Claude Juncker en avril 2018, plusieurs entreprises dont Carrefour, IKEA, Unilever, Heineken, Nestlé, et Geodis, ont en effet déclaré qu’un objectif de moins 24 % en 2025 était nécessaire. Elles ont récemment réitéré leurs demandes afin de soutenir les propositions les plus ambitieuses sur la table en amont du vote du Parlement européen sur ce dossier.

Il faut dire que les économies de carburant à la clé sont particulièrement alléchantes, et atteignables d’un point de vue technologique d’après les récentes études publiées sur le sujet par l’ICCT : les chercheurs ont ainsi montré que des objectifs de réduction de l’ordre de 27% en 2025 et 43% en 2030 permettraient de générer des économies de carburant venant largement compenser l’augmentation du coût d’achat des camions sur la durée de vie des véhicules, et ce avec des technologies déjà disponibles relatives à l’amélioration de l’aérodynamique, des pneus ou par le biais de nouvelles techniques de motorisation telles que l’hybridation. De plus, seuls environ 15% des nouveaux camions mis sur le marché profitent des innovations technologiques disponibles permettant d’effectuer de réelles économies.

De manière quelque peu édifiante, la propre étude d’impact de la Commission européenne vient étayer ces faits : elle montre que 20% de réduction des émissions de CO2 en 2025 est non seulement faisable avec les technologies déjà disponibles sur le marché, mais que cela présente également un bénéfice économique net pour les utilisateurs.

Et la Fiscalité ?

La diminution des émissions de CO2 liées au transport routier de marchandises par poids lourds est également intimement liée à l’évolution du cadre fiscal français et européen.

En France, le transport routier de marchandises ne contribue pas de manière équitable au financement des infrastructures, le gouvernement français ayant reculé sur la mise en place d’une vignette poids lourds. Il bénéficie également d’un avantage fiscal pour sa consommation de gazole au détriment notamment du report vers le fret ferroviaire et en dépit de ses impacts sur la santé et le climat.

Au niveau européen, une harmonisation du cadre réglementaire est actuellement envisagée ainsi qu’une généralisation des principes pollueur/payeur et utilisateur/payeur par le biais de la révision de la Directive Eurovignette. Le 25 octobre dernier, les députés européens se sont prononcés pour la mise en place d’une redevances kilométrique et écologique prenant en compte les niveaux de pollution. Cependant, les Etats membres dont la France rechignent à mettre en place une telle harmonisation et la faible progression des négociations au sein du Conseil ne présage rien de bon pour une adoption du nouveau texte avant les élections de mai 2019.

Une révision d’ampleur de la fiscalité au niveau français et européen reste donc nécessaire afin de contrer l’augmentation croissante des émissions de CO2 et de favoriser des modes de transport de marchandises véritablement moins polluants.

ACTUALITES

Le 19 février dernier, les Etats membres et le Parlement ont trouvé un accord sur la réglementation encadrant la réduction des émissions de CO2 des poids-lourds neufs qui s’appliquera après 2020. Les objectifs de réduction retenus de -15% en 2025 et -30% en 2030 par rapport à 2019, restent bien en deçà de la trajectoire nécessaire pour que le secteur contribue au respect de l’Accord de Paris, qui implique une réduction de ces émissions d’au moins 50% en 2030. Par ailleurs, si l’Union européenne a souhaité envoyer un signal aux constructeurs pour sortir du diesel par le biais d’un seuil minimum de vente de camions à « faibles émissions » en 2025, celui-ci reste non contraignant et des dérogations aux objectifs de réduction fixés restent possibles pour l’industrie jusqu’à cette date. Le Réseau Action Climat regrette également que certains Etats, dont la France, n’aient pas agi pour augmenter les efforts à fournir dès 2025, alors que le Parlement européen et les principales entreprises du secteur de la logistique et de la distribution demandaient des réductions beaucoup plus rapides.

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