Climat et inégalités : un PLF qui fait PLouF

Le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2020 a été présenté en conseil des ministres. Malgré certaines avancées, le Réseau Action Climat reste consterné devant l’absence d’ambition et de cohérence du budget de la France, au regard de ses engagements climatiques et environnementaux.

Justice

Les évaluations récentes de la mission gouvernementale IGF-CGEDD sur le verdissement du budget de la France montrent qu’il y existe encore, dans le budget, 25 milliards d’euros défavorables à la transition écologique qui financent la pollution.

Le PLF ouvre pour la première fois la porte pour aborder le sujet des niches fiscales néfastes pour le climat, mais les avancées proposées sont trop hésitantes et, sauf pour le diesel non routier (hors secteur agricole), aucun calendrier de suppression n’est précisé. Ceci est pourtant primordial pour le climat et pour l’accompagnement des salariés des secteurs concernés.

En termes de financements de la transition écologique, le PLF est également insuffisant. Il s’agit aujourd’hui de présenter un budget juste avec des solutions accessibles à tous, notamment aux ménages les plus modestes. Bien que le budget du ministère de l’écologie ait été augmenté (mais que incompréhensiblement son nombre de postes soit appelé à baisser drastiquement), les sommes pour la rénovation de passoires énergétiques ou l’accompagnement des ménages vers les mobilités plus durables restent largement insuffisantes par rapport aux besoins.

Il est de la responsabilité du Gouvernement et des parlementaires de rehausser l’ambition du PLF et d’œuvrer pour un budget qui permette une transition écologique ambitieuse et la lutte contre les inégalités sociales.

Pour le Réseau Action Climat et ses associations membres, un PLF écologique et solidaire à la hauteur de l’urgence climatique et sociale doit contenir les orientations suivantes :

Budget vert & juste

La France est certes le premier pays qui fait une évaluation verte de son budget, mais il faut maintenant passer aux actes et aller vers un réel verdissement du budget. Cela implique notamment la suppression de la totalité des financements défavorables à l’environnement et une augmentation des financements en faveur de la transition écologique. Par ailleurs, le mouvement des gilets jaunes montre l’importance d’une double évaluation : une évaluation verte et une évaluation sur les inégalités sociales. Le sujet de la taxe carbone a été banni du PLF. Ce n’est pas une surprise mais il revient aux parlementaires et à la convention citoyenne de fixer les conditions pour une taxe carbone ambitieuse et juste ; notamment via un dispositif de redistribution d’une partie des recettes aux ménages pour protéger le pouvoir d’achat des plus modestes.

Garanties à l’exportation

« Incohérent, « irresponsable » sont les mots d’Emmanuel Macron à la tribune des Nations unies le 24 septembre pour qualifier les pays qui continuent à soutenir la construction de nouvelles infrastructures polluantes à travers leurs aides à l’exportation. Trois jours plus tard, le Gouvernement refuse pourtant, dans son projet de loi de finances, d’inscrire la fin du soutien public aux énergies fossiles via les garanties à l’exportation. Il n’y propose que la fin des soutiens au secteur du charbon, un engagement déjà mis en œuvre depuis 2016. Une fois de plus, le Gouvernement fait passer les intérêts des grands pollueurs avant l’urgence d’agir face au dérèglement climatique.

Rénovation

La rénovation énergétique des bâtiments est l’un des secteurs où le retard accumulé et le sous-financement sont particulièrement marqués : le CLER dénonce le contresens d’un désinvestissement national dans ce domaine et demande que les aides à la rénovation dans le budget de l’Etat soient au moins maintenues et attribuées en priorité à la réalisation de rénovations très performantes, au bénéfice des ménages les plus en difficulté (jusqu’à un “reste à charge 0” pour les plus modestes), pour générer d’importantes économies et lutter efficacement contre la précarité énergétique. L’Etat doit également affecter des ressources pour un véritable Service Public de la Performance Energétique de l’Habitat, qui stimule et accompagne citoyens et entreprises vers les projets les plus pertinents, en toute indépendance pour éviter malfaçons, abus et fraudes que les manques actuels ont malheureusement engendrés.

Mobilité

Si la réduction de deux centimes de la niche fiscale du transport routier de marchandises et l’écotaxe sur les billets d’avion vont dans le bon sens, elles sont insuffisantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de ces secteurs très émetteurs. Les parlementaires doivent renforcer ces mesures dès ce PLF. Le dispositif de prime à la conversion doit être revu pour d’une part cesser d’encourager l’achat de voitures diesel neuves qui maintiennent les automobilistes dans un piège, et, d’autre part, encourager d’autres façons de se déplacer. Le malus automobile devrait être renforcé pour dissuader l’achat des véhicules lourds comme les SUV. Avec l’argent dégagé, les aides pourraient être plus généreuses pour les ménages avec peu de ressources.

Agrocarburants

La politique fiscale du Gouvernement continue de soutenir, par le biais de la taxe relative à l’incorporation de biocarburants, des filières qui ont en moyenne un bilan carbone 50 % plus néfaste que les carburants fossiles. L’augmentation de la consommation d’agrocarburants issus de cultures dédiées au niveau français et européen conduit par ailleurs à l’accaparement des terres, menace la biodiversité et augmente la volatilité des prix au détriment de la sécurité alimentaire des pays. La France doit mettre en place un plan de sortie des agrocarburants de première génération. L’huile de soja constitue, après l’huile de palme, la matière première présentant le bilan climatique le plus néfaste.

Artificialisation des sols

A l’issue de la réception en France des experts de l’IPBES, le “GIEC de la biodiversité”, Emmanuel Macron avait évoqué, en mai dernier, une action résolue en matière de lutte contre l’artificialisation. Celle-ci concerne désormais 9 % du territoire, alors que 23000 hectares par an disparaissent toujours sous le béton ou le ciment. Mais c’est surtout un invraisemblable cycle de concertation et de groupes de travail qui vient de s’achever, avec pas moins d’une dizaine d’enceintes d’échanges et de co-construction. Les diagnostics établis et partagés, il faut maintenant les traduire en mesures concrètes, y compris fiscales. Il y a urgence si l’on veut éviter l’”apocalypse territoriale” que préfigure l’explosion de la vacance et du gâchis foncier.

Agriculture & alimentation

Le dernier rapport de la Cour des comptes est sans appel : “les objectifs de la France sont inatteignables sans changements de comportements significatifs”. Dans le secteur agricole et alimentaire, le PLF se concentre sur les recettes affectées à celui-ci mais fait l’impasse sur l’épineuse question de la taxation des externalités négatives de l’agriculture industrielle. Alors que les engrais chimiques de synthèse constituent une cause majeure du dérèglement climatique, leur production n’est visée que par une taxe insuffisamment incitative (TGAP). Pour être à la hauteur de l’enjeu de transformation de notre système agricole, les instruments de taxation doivent être revus à la hausse. De même, concernant les dépenses publiques, la demande des ONG est d’apporter une aide à l’investissement pour le secteur de la restauration collective qui est un levier extraordinaire de transition écologique. Il faut s’y engager enfin si l’on veut espérer atteindre les objectifs de la loi Alimentation dans le temps imparti. C’est un enjeu de justice sociale et écologique.

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