Autonomie protéines végétales: une stratégie toujours en attente

Discutée et annoncée depuis plus d’un an, proclamée dans le plan de relance, la stratégie protéines se fait toujours attendre. Elle doit pourtant répondre à de nombreux enjeux environnementaux, sociaux et économiques. Voici les demandes des ONG.

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Récolte lentille verte du Puy

Le plan de relance publié le 3 septembre (voir notre décryptage) annonce la sortie prochaine de la stratégie protéines végétales. C’est une bonne nouvelle mais certains points nous inquiètent.

Le budget de 100 millions d’euros prévu pour la stratégie protéines (sur un budget de 100 milliards d’euros pour le plan de relance) est largement sous-dimensionné par rapport aux besoins de transformation des filières de légumineuses. Il n’est à aucun endroit fait mention à des critères environnementaux dans les modes de cultures ou de prise en considération d’une approche systémique dans la diversification des cultures pour l’octroie des aides.

Surtout, l’objectif précisé dans le plan de relance de « permettre à la France de réduire sa dépendance » ne va pas assez loin alors qu’elle devrait viser l’autonomie protéique totale pour l’alimentation humaine et animale. Et en attendant cette autonomie, dans la période transitoire où les importations de soja en provenance d’Amérique du Sud seront toujours indispensables, il n’est pas prévu de mesures pour s’assurer que le soja importé ne contribue pas à la conversion d’écosystèmes.

Pour répondre à ces carences, le Réseau Action Climat formule 5 recommandations.

Nos recommandations

– CAP. Nous avons besoin d’un cap beaucoup plus ambitieux visant l’autonomie protéique totale pour l’alimentation humaine et animale. Afin d’être en adéquation avec nos objectifs de lutte contre le dérèglement climatique, cette autonomie doit être atteinte au minimum en 2050. Cette stratégie doit progressivement nous affranchir des importations de soja dont l’impact sur la biodiversité et le climat est désastreux.

– GOUVERNANCE ET FLECHAGE DES FONDS. Une grande partie de l’enveloppe des 100 millions doit être distribuée dans les territoires, via des acteurs locaux au plus près du terrain. Les ONVAR (CIVAM, GAB, CUMA, etc.) et les collectivités territoriales sont les mieux à même d’enclencher la transition protéique au plus près des besoins environnementaux, agronomiques et sociaux. Tout l’argent ne devra pas passer par l’interprofession national. Cela peut notamment passer par l’élaboration de nouveaux critères d’allocation des aides des programmes CASDAR et de l’enveloppe du programme national pour l’alimentation (critères, montants, nature des financements, bénéficiaires).

– FILIERES QUALITE. Cette stratégie doit prioritairement soutenir les filières de légumineuses en agriculture biologique (AB). C’est particulièrement le cas pour les filières de légumes secs à destination de l’alimentation humaine dont les filières en agriculture biologique (AB) ont un clair avantage concurrentiel par rapport aux filières conventionnelles concurrencées par les importations.

– TRANSFORMATION. Cette stratégie doit prioritairement soutenir la création de filières alimentaires de produits pas ou faiblement transformés, au détriment des produits ultra transformés (ingrédients, cracking, etc.). En effet, la consommation d’aliments ultra transformés est associée à un risque accru de maladies cardiovasculaires. La stratégie doit donc être articulée avec le PNNS qui encourage l’augmentation de la consommation des produits peu transformés.

– ARTICULATION POLITIQUES PUBLIQUES. Ceci passera nécessairement par l’évolution du modèle d’élevage (dont une meilleure autonomie pour leur alimentation) et la réduction de la production de viande, d’œufs et de produits laitiers associé à une diminution de la consommation de viande, prioritairement industrielle. Il faut donc que cette stratégie inclut des mesures visant à accompagner l’évolution de l’élevage ainsi qu’une réduction du cheptel de façon articulé avec la PAC. Elle doit également être en cohérence avec le Programme national nutrition santé (PNNS) qui encourage l’augmentation de la consommation de légumes secs et la diminution de la consommation de viande. A travers le déploiement des légumineuses, cette stratégie doit en outre être complétée par un objectif de diminution de l’utilisation des engrais azotés de synthèse et ainsi pouvoir prétendre atteindre les objectifs fixés par la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Enfin, articulé avec la stratégie protéines, le Gouvernement doit mettre en œuvre de façon effective la Stratégie Nationale de lutte contre la Déforestation Importée, et en particulier l’élaboration d’un mécanisme de gestion des risques permettant d’éviter les importations de soja issu de conversions d’écosystèmes et agir au niveau européen pour interdire la mise sur le marché de produits liés à la conversion d’écosystèmes naturels.

Dans un contexte de crise climatique, d’effondrement de la biodiversité et de nécessaire résilience du monde agricole, la transition protéique apportera de nombreuses solutions.

Les enjeux auxquels la stratégie protéines végétales devra répondre sont nombreux :

  • Le dérèglement climatique et l’objectif de la France de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole (SNBC 2018), notamment à travers la diminution des besoins en engrais azotés grâce à la fixation symbiotique de l’azote par les légumineuses.
  • La déforestation importée et les engagements de la France à travers sa stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée  (SNDI) ou encore les déclarations de Amsterdam en 2015 ou de New York en 2014.
  • La création d’emplois, l’amélioration des conditions de travail et l’amélioration de la résilience des fermes face aux crises économiques grâce à la diversification des cultures, les avantages concurrentiels des filières de qualité, la création de nouveaux débouchés et la diminution des charges en achats d’intrants.
  • L’adaptation de l’agriculture au dérèglement climatique à laquelle contribuent les légumineuses dans les rotations (amélioration de la structure, de la qualité et de la fertilité du sol).
  • Le développement de l’agroécologie à travers le développement de l’agriculture biologique (dans laquelle l’introduction des légumineuses joue un rôle important) et la diminution de la pression des maladies et parasites procuré par l’allongement des rotations et les cultures en mélange ou encore une moindre pression sur les sols et la ressource en eau.
  • La santé publique des français grâce à la diminution de la consommation de viande préconisée par le programme nationale nutrition santé de 2019 (PNNS) ou encore l’introduction d’un menu végétarien dans les menus des cantines (article 24 de la loi alimentation, 2018).

Le Plan de relance du 3 septembre a bien identifié le renouveau des légumineuses pour relever la France. Une des 149 mesures de la Convention citoyenne pour le Climat (SN2.1.5.) appelle à la structuration de la filière des protéagineux (augmentation de l’autonomie du cheptel animal français, 100% d’autonomie pour l’alimentation humaine en protéines végétales). La feuille de route climat de la France (la SNBC) évoque le déploiement des légumineuses comme une mesure incontournable pour atteindre nos objectifs. Pourtant, l’observatoire climat du Réseau Action Climat nous montre que nous sommes encore loin d’atteindre nos objectifs en terme de surface de légumineuses.

Concrètement, le projet de loi de finance qui devrait être présenté le 28 septembre 2020 devra préciser les montant et les critères d’allocation des aides de la stratégie protéines végétales pour la France. Le Plan stratégique national (PSN, l’application de la PAC en France),  dont les concertations devraient commencer avant la fin de l’année, devra flécher une partie de ses aides au développement durable des légumineuses associé à une transformation de nos modèles d’élevage.

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