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Annonce des contributions des pays pour Paris Climat 2015 : A qui le tour ?

Dans le cadre des négociations internationales sur le changement climatique, tous les pays doivent annoncer leurs plans de transition énergétique pour la période après 2020. Ces engagements sont appelés des "contributions nationales" ; elles sont déterminées par chaque gouvernement et à annoncer bien en en amont de la COP21 à Paris.

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Au 1er juillet 2015, 44 pays avaient publié leurs propositions d’engagements pour Paris Climat 2015. La plupart ont d’importantes marges de manœuvre pour aller plus loin, afin de saisir tous les bénéfices de la transition énergétique. Il est de plus en plus clair que les contributions nationales se seront pas suffisantes pour limiter le réchauffement planétaire en deçà de 2°C.

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Comprendre en quelques minutes

Les « contributions nationales » sont des propositions de plan de transition énergétique déterminés au niveau de chaque pays. Dans le jargon des négociations, on les appelle également « INDC » (Intended Nationally Determined Contributions). Depuis la conférence sur le climat de Varsovie, en 2013, les pays savent qu’ils doivent soumettre ces plans bien en amont de la COP21 (avant le 31 mars 2015 pour les plus riches), afin de se laisser le temps d’évaluer, comparer et rehausser ces engagements.

Au 1er juillet 2015, 44 pays sur 195 ont soumis leur contribution nationale : dont l’Union européenne, les États-Unis, et la Chine qui représentent à eux trois la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Si tous les pays doivent contribuer, tous n’ont pas à prendre les mêmes engagements. Par exemple, le Bénin et la France, les Philippines et les Etats-Unis n’ont évidemment pas les mêmes responsabilités.

Notre analyse

Il paraît essentiel que plus de pays viennent rallonger la liste de ceux qui ont pris des engagements. Le décalage du calendrier de dépôt des engagements de mars à novembre est problématique. Plus les pays prennent du retard, moins ils seront incités à faire de nouvelles annonces plus ambitieuses avant la conférence de Paris. Cela rend également plus complexe le travail d’évaluation et de comparaison de ces engagements par la société civile et l’ONU. Les pays qui pèsent dans la balance des émissions mondiales – comme le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Brésil, l’Inde – doivent annoncer leurs engagements sans plus attendre.

Il est déjà clair que les contributions nationales ne seront pas suffisantes pour rester sous la barre des 2°C de réchauffement. D’après l’Agence internationale de l’énergie, les contributions initiales ne permettront de parcourir qu’un tiers du chemin. Il faut donc voir ces annonces non pas comme des plans figés dans le marbre, mais comme une première étape. Elles doivent impérativement être suivies d’autres engagements pour permettre la transition mondiale des énergies fossiles à 100% d’énergies renouvelables.

La raison initiale d’une publication de ces engagements bien avant la COP21, était que chaque pays soit fortement incité à aller au-delà de son offre initiale. Mais la négociation internationale sur le climat, c’est un peu un jeu de poker menteur : aucun pays n’abat toutes ses cartes dès le premier tour.

Des études menées par l’institut New Climate pour le Réseau Action Climat International comptabilisent les retombées positives supplémentaires qui pourraient être obtenus par la Chine, les États-Unis et l’Europe en allant plus loin que leurs offres initiales. Si les trois grands pollueurs annonçaient des engagements conformes à une transition énergétique vers 100% d’énergies renouvelables d’ici 2050 et le respect du seuil de 2°C de réchauffement, ils créeraient jusqu’à 3 millions d’emplois supplémentaires d’ici à 2030 et épargneraient 2 millions de vies, sauvées des impacts néfastes de la pollution de l’air. Ils économiseraient aussi jusqu’à 520 milliards de dollars d’importations de combustibles fossiles chaque année.

Assessing the missed benefits of countries’ national contributions
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Pour aller plus loin, sur chaque offre nationale déjà présentée :

Les engagements déjà annoncés sont variables en forme et en nature, ce qui rend leur comparaison difficile.

L’Union européenne

L’Europe a soumis sa contribution en mars. Elle est issue du Paquet énergie-climat 2030, décidé en octobre 2014 par les chefs d’Etat des Vingt-Huit. Globalement, elle est insuffisante par rapport à la part de l’effort qui incombe à l’Europe.

Les ministres européens devaient affiner les détails de cette contribution avant de la soumettre à la Convention de l’Onu sur le climat. Mais ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Elle demeure donc floue. Il reste aussi à rendre crédible la mention « au moins » placée par les dirigeants européens devant l’objectif de 40% de baisse d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (par rapport à 1990). L’Europe doit indiquer avant la Conférence de Paris comment elle ira au-delà de cet objectif « plancher ».

La Suisse

La Suisse prévoit de faire -50% d’ici à 2030 (par rapport à 1990), dont au moins 30% sur son territoire et le reste via des mesures de réduction d’émissions à l’étranger. C’est encore insuffisant, car la Suisse présente des capacités économies, technologies et financières élevés. En outre, le pays prévoit un usage laxiste de la comptabilisation des puits de carbone. Notons que cette contribution doit encore être confirmée par vote du parlement national.

La Norvège

La Norvège s’est alignée sur la proposition européenne avec « au moins 40% » de baisse des émissions d’ici 2030. Pourtant la Norvège est un pays pétrolier, donc très polluant. C’est aussi un pays riche, donc avec une forte capacité à agir. Elle aurait donc pu adopter un objectif plus ambitieux. D’autant plus que le pays triche en incluant dans son objectif la comptabilisation de la capture du CO2 par ses forêts, alors que les règles pour comptabilisation du rôle des forêts sont encore très approximatives.

Un point positif néanmoins : la Norvège prévoit déjà de s’engager sur un budget total de pollution à ne pas dépasser sur la période 2021-2030, contrairement à l’Union européenne qui n’a fixé qu’une échéance pour 2030. En outre, le fonds souverain norvégien, le plus riche du monde, a récemment annoncé qu’il allait se désinvestir du charbon, l’énergie la plus émettrice de gaz à effet de serre.

Le Mexique

Le Mexique fut le premier pays en développement à soumettre sa contribution nationale. Il a fait une offre sur l’atténuation et une l’adaptation. Celle sur l’atténuation contient une partie conditionnelle, c’est-à-dire dépendante d’un accord international conclu à Paris et d’apports financiers internationaux. Le gouvernement a précisé qu’il pourrait revoir à la hausse cette offre au fil du temps.

Quoi qu’il arrive, le pays vise une réduction de 25% de ses rejets de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (dont 3% porteront sur le noir de carbone, un polluant atmosphérique). Cette réduction est exprimée non pas par rapport à une année fixe, mais par rapport à un scénario tendanciel, où aucune nouvelle mesure ne serait mise en œuvre pour réduire les gaz à effet de serre. Le Mexique fera aussi culminer ses émissions (pour les baisser ensuite) en 2026. Il propose enfin de réduire l’intensité carbone de son PIB (CO2 émis par unité de PIB produite) de 40% de 2013 à 2030.

En ce qui concerne la partie conditionnelle, il est envisagé qu’avec un appui international, le pays réduise ses gaz à effet de serre de 36% (et de 70% pour les émissions de noir de carbone).

Les ONG mexicaines demandent plus de détails sur comment ces objectifs seront atteints.

Les États-Unis

Les États-Unis ont déposé leur engagement climatique à l’Onu le 31 mars 2015. Ils étaient le 32e pays à annoncer leur « contribution nationale » à l’accord de Paris. Les États-Unis sont le 2e contributeur mondial en termes d’émissions de gaz à effet de serre, et ont longtemps été le premier. Ainsi, leur (in)action pèse lourd dans la balance climatique.

Sans surprise, l’offre américaine est conforme à une annonce faite conjointement avec la Chine en novembre 2014. Les États-Unis s’y sont engagés à réduire leurs rejets de gaz à effet de serre de 26 à 28% d’ici à 2025 (par rapport à 2005). Il est estimé que ce plan permettra de créer environ 470 000 emplois dans le secteur des énergies renouvelables et évitera, chaque année, environ 7 000 décès prématurés liés à la pollution de l’air (d’après le rapport du New Climate Institute).

Cette offre initiale des États-Unis est une première étape. Elle pourra être mise en œuvre sans le vote du Congrès américain, majoritairement républicain. En respectant l’échéance du 31 mars 2015, l’administration Obama montre aussi qu’elle souhaite que les Etats-Unis continuent de s’engager dans les négociations internationales sur le climat.

Mais la contribution américaine pour Paris Climat 2015 est nettement insuffisante au regard de leurs capacités économiques et technologiques, et de leur responsabilité historique vis-à-vis du changement climatique. Il est donc indispensable qu’elle soit augmentée. Cela permettra au pays de tirer pleinement parti de son potentiel en matière d’énergies renouvelables.

Des études montrent qu’une baisse des émissions américaines de 40% d’ici à 2025 (par rapport à 2005) serait possible (scénario Energy (R)evolution de Greenpeace). Si les États-Unis s’engageaient à réorienter leur économie vers 100% d’énergies renouvelables d’ici le milieu du siècle, plus de 650 000 nouveaux emplois seraient créés dans les énergies renouvelables d’ici à 2030 et 27 000 vies humaines seraient épargnées chaque année. Les économies réalisées à travers la baisse des importations de combustibles fossiles seraient aussi de 160 milliards de dollars. Enfin, en tenant leur promesse d’abonder le fonds climat de l’Onu (le « Fonds vert »), les États-Unis permettraient à d’autres pays d’agir face aux changements climatiques. La décision de l’attribution des fonds est actuellement devant le Congrès américain.

La Russie

Le 31 mars 2015, la Russie a annoncé un engagement climatique pour 2030… qui est le même que son engagement précédent, pour 2020 ! Autrement dit, le pays, qui représente près de 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, repousse à 2030 les objectifs qu’il devait atteindre en 2020. Il propose de baisser ses émissions de gaz à effet de serre de -25 à -30% d’ici à 2030 par rapport à 1990. Cela correspondrait au mieux à une baisse infime des émissions du pays entre aujourd’hui et 2030, tandis qu’il faudrait commencer à les baisser rapidement pour avoir une chance de rester sous le seuil de 2°C d’augmentation de la température mondiale.

Pire, Moscou intègre dans son objectif 2030 la séquestration du CO2 dans ses immenses forêts. Plus précisément, le gouvernement russe rend son INDC conditionnelle à l’utilisation des règles les plus optimistes (voire laxistes) pour comptabiliser le CO2 des forêts et ainsi maximiser leurs puits de carbone. En outre, la Russie n’explique pas quelles règles elle a utilisées pour faire ses projections dans ce secteur. Il aurait été bien plus ambitieux de séparer les secteurs énergétiques, industriels, etc. du secteur des forêts, et d’appliquer à ce dernier un objectif à part, visant à valoriser les stocks de CO2 contenus dans les forêts de Russie.

La Russie, qui traverse une situation économique difficile, reste myope face aux opportunités économiques et industrielles (emploi, innovation, économies d’énergie) de la transition énergétique. Rappelons que ce pays a connu une chute rapide de ses rejets de gaz à effet de serre entre 1990 et 2012 (date de la fin des premiers engagements sous le protocole de Kyoto), à cause de deux facteurs. D’abord, l’effondrement en 1990 du bloc soviétique et du tissu industriel qui l’accompagnait (environ -30% de baisse d’émissions), un argument historique que Moscou utilise régulièrement dans les négociations internationales sur le climat. Cette réduction ne s’est pourtant pas traduite par une transformation profonde de l’économie russe pour ne plus dépendre des énergies fossiles et aller vers les énergies renouvelables, bien au contraire. Ensuite, parce que ses forêts sont passées de l’état de de secteur émetteur net (déforestation, feux) à celui de puits de carbone net.

Alors que le GIEC dit que nous devons laisser les 2/3 de nos réserves de combustibles fossiles dans les sols afin de respecter le seuil de réchauffement de +2°C, la Russie aurait tout intérêt à entamer sa transition énergétique. Pour être sur une trajectoire équitable de respect du seuil de 2°C de réchauffement planétaire, la Russie doit impérativement revoir son engagement à la hausse.

La France

Pour la France, la Ministre S. Royal a préparé une contribution « volontaire » de l’Hexagone, sous la forme d’une communication (la contribution formelle à l’ONU étant faite via l’UE avec les 28 autres États membres). Cette contribution, qui s’appuie sur la Loi de transition énergétique, présente de nombreux manques :

  • Absence d’objectif d’économies d’énergie pour 2030, alors que la version initiale de la Loi en contenait un (20% en 2030 par rapport à 2012) ;
  • Absence de date pour la réduction du nucléaire à 50% ;
  • Engagement positif du gouvernement sur la fin des soutiens publics au charbon (en l’absence de technologie opérationnelle de Capture et stockage de carbone) mais nécessité d’apporter des précisions sur le rôle de la France à l’OCDE et au G7 sur la question du charbon ;
  • La France propose de repousser la réforme de la taxation de l’énergie au niveau européen afin d’échapper à la fin des subventions aux énergies fossiles en France. En effet, la révision de la Directive européenne sur la taxation de l’énergie a été repoussée aux calendes grecques. Elle ne fait pas partie du plan de travail de l’actuelle Commission Juncker.

L’Australie

En détaillant, le 11 août 2015, sa contribution nationale pour la COP21, l’Australie de Tony Abbott confirme qu’elle est l’un des pires élèves du climat, aux côtés du Canada, du Japon, de la Russie ou encore de la Nouvelle-Zélande. L’objectif annoncé (une réduction des gaz à effet de serre de 26%, voire 28% d’ici 2030 par rapport à 2005) est totalement incohérent avec l’engagement pris par avec la communauté internationale de contenir le réchauffement planétaire en deçà de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle.

L’Autorité australienne sur le changement climatique, une agence d’expertise indépendante, indiquait pourtant qu’une réduction de 40 à 60% était une contribution à la fois possible et honnête vis-à-vis de la responsabilité du pays dans les émissions de gaz à effet de serre, et ses capacités.

En annonçant, une contribution aussi pathétique pour la COP21, le gouvernement australien porte un sérieux coup à la réputation de son pays au niveau international, et ébranle ses liens avec les pays de la zone Pacifique et avec les États-Unis et l’Europe.

Concrètement, l’Australie est le premier pays émetteur de gaz à effet de serre par habitant. Si tous les pays suivaient le mauvais exemple australien, la grande barrière de corail disparaitrait rapidement.

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