Accélération de l’élévation du niveau de la mer : un effondrement de l’Antarctique n’est pas exclu

Alors que l’élévation du niveau de la mer s’accélère depuis 2004, affectant particulièrement les Outre-mers et les petits états insulaires du Pacifique ouest, de récents travaux indiquent qu’elle pourrait devenir beaucoup plus importante à cause de la fonte de l’Antarctique, avec un risque d’effondrement.

Les activités côtières menacées par la hausse du niveau des mers
Les activités côtières sont menacées par la hausse du niveau des mers

Selon la déclaration annuelle de mars 2017 de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) sur l’état du climat mondial en 2016 [a], le niveau moyen de la mer s’est élevé de 20 cm depuis le début du XXème siècle, essentiellement du fait de l’expansion thermique des océans et de la fonte des glaciers et des calottes glaciaires. Il a accusé une très forte hausse lors de l’épisode El Niño 2015/16, environ 15 millimètres entre novembre 2014 et février 2016, soit une nouvelle valeur record nettement supérieure au rythme annuel de 3 mm environ constaté après 1993.

« Depuis 1900, le niveau de la mer a monté d’à peu près 25 cm en moyenne globale avec une accélération nette depuis le début des années 1990 : sur les 25 dernières années, l’élévation a été d’environ 8 cm à l’échelle de la planète, soit en moyenne 3 mm par an. Cette accélération résulte principalement de la fonte accélérée des glaces continentales, en particulier au Groenland et en Antarctique. Mais si l’on regarde dans les régions où le niveau monte le plus, on atteint dans le même temps une élévation de 25 cm, donc pratiquement trois fois supérieure à la moyenne globale ! Les îles basses du Pacifique Tropical Ouest comme Tuvalu, Kiribati, les Philippines et la Nouvelle Guinée sont très affectées par elle. » Anny Cazenave (janvier 2019)

Les scientifiques observent que l’élévation du niveau de la mer varie selon les zones du globe (voir infographie Mean Sea Level rise and Regional Variability), son ampleur étant particulièrement marquée dans le Pacifique. « Sur les 25 dernières années, le niveau de la mer dans l’ouest du Pacifique est monté plus vite qu’ailleurs, d’environ 12 mm/an », explique Benoît Meyssignac, chercheur au Laboratoire d’études en géodésie et océanographie spatiale (LEGOS) du Centre national d’études spatiales (CNES). « Cela est lié à l’influence du phénomène El Nino. Les vents déplacent les masses d’eaux chaudes vers l’ouest durant les épisodes El Nino, ce qui augmente le volume d’eaux chaudes à l’ouest du Pacifique tropical ». [Meyssignac B. et al., 2012] [1], [Meyssignac B. et al., 2012] [2], et [Meyssignac B. et al., 2017] [3] . Alors que les Outre-mer [b] et les petits états insulaires du Pacifique ouest [c] subissent déjà les effets de cette hausse, à l’avenir les océans tropicaux dans leur ensemble seront affectés par cette élévation de plus grande amplitude.

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Source : site Aviso + du CNES

L’élévation marine s’accélère depuis 2004

Selon les dernières études scientifiques, la montée de la mer s’est accélérée. « La mer n’est pas montée régulièrement comme on le croyait. On voit une accélération depuis les années 2000 », remarque Anny Cazenave, chercheuse au LEGOS du CNES. En réalité, suite à la correction d’une erreur instrumentale liée au satellite américain Topex (voir le graphique 1993-2017 issu des données satellites Topex/Poséidon), l’analyse des données a montré que la vitesse de montée des eaux était plus faible entre 1993 et 2004 (2.67 mm/an) et plus importante de 2004 à 2015 (3.49 mm/an), avec une moyenne corrigée de 1993 à 2015 de 3,03 mm par an.

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Elévation du niveau de la mer 1901-2015 (vitesse)

Sources :
(1) Résumé à l’intention des décideurs (p 11), GT1, 5è rapport du GIEC, 2013
(2) Dieng et al., 2017

Il est possible que l’éruption du volcan Pina Tubo en 1991 ait ralenti la hausse de la mer durant les années 1990. « Ce phénomène qui produit de nombreuses quantités d’aérosols dans l’atmosphère réduit l’expansion thermique de l’océan (l’augmentation du volume de l’océan à cause de son réchauffement) au niveau global sur une période de 2 à 5 ans, résume Benoît Meyssignac ». [Fasullo et al., 2016] [4] On observe cependant que l’expansion thermique des océans a peu varié entre les années 1990 et les années 2000.

En revanche, on constate une nette accélération de la fonte du Groenland au cours de la dernière décennie, cause dominante de l’accélération de la hausse de la mer depuis 2004 [Dieng et al., 2017] [5] . « Depuis les années 2000, c’est surtout la fonte plus rapide du Groenland qui a accéléré le changement du niveau marin. Mais l’Antarctique, les glaciers et l’expansion thermique de l’océan contribuent aussi un peu à cette accélération », note Anny Cazenave.

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Elévation du niveau de la mer 1993-2015 (contributions à la vitesse)

Source : : LEGOS, (Dieng et al., 2017)

La fonte de l’Antarctique pourrait amplifier l’élévation des océans de 30 à 100 cm d’ici 2100

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 5è rapport (AR5), Groupe de travail 1 (GT1), « Les éléments scientifiques », 2013) intégrait l’effet du Groenland et de l’Antarctique, mais la fonte de ce dernier était encore sous-estimée.

Catherine Ritz, glaciologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a publié en 2015 un article qui estime que la fonte de l’Antarctique pourrait encore augmenter le niveau marin de 30 cm d’ici 2100, ce qui diffère des 15 cm maximum estimés dans le 5è rapport du GIEC (voir Table 13.5 [d], figures ci-dessous et 13 10 de l’AR5) [Ritz C. et al., 2015] [6].

Le travail de Catherine Ritz prend en compte diverses instabilités jusque-là non intégrées aux modèles. L’Antarctique est entouré de glaciers qui forment des plateformes flottant sur la mer. Dans certaines zones, comme la péninsule d’Amundsen, à l’ouest du continent, plusieurs d’entre-elles ont déjà fondu. Avec l’accélération de la fonte en surface, l’eau, un peu plus chaude, pénètre dans les crevasses. Des fractures apparaissent dans la glace qui fond de plus en plus en profondeur [Alley K.E et al., 2016] [7].

Un autre élément encore peu pris en compte est lié à l’océan, sous ces plateformes glaciaires. « Le changement climatique modifie la circulation marine, précise Catherine Ritz. L’eau du fond de l’océan, relativement chaude, peut remonter et affecter ces plateformes. Jusqu’alors, dans les modèles, on n’intégrait pas ce phénomène. Or cela entraîne leur amincissement. Une fois brisées, elles ne retiennent plus les glaciers qui s’écoulent alors plus vite ». Ces phénomènes provoquent une instabilité des calottes glaciaires marines qui augmente le volume de glace drainé vers l’océan et contribue à l’élévation du niveau des mers. « Nous avons modélisé cette glace qui flotte. Notre équipe s’est basée sur les observations actuelles pour évaluer différents scénarii. Nous estimons ainsi que la fonte de l’Antarctique pourrait rajouter environ 30 cm au niveau des mers d’ici 2100 », soit 15 cm de plus que dans le 5è rapport du GIEC de 2013 (ces données concernant la fonte de l’Antarctique, sans prise en compte de l’enneigement supplémentaire causé par le réchauffement, voir figure ci-dessus).

« L’équipe de DeConto et Pollard, reprend Catherine Ritz, qui a publié un article sur le même sujet en 2016, se base de son côté sur les variations passées du dernier interglaciaire et du pliocène (voir vidéos sur les cycles glaciaires/interglaciaires et les nouveaux scénarios prenant en compte la vulnérabilité des calottes de glace). Elle estime ainsi l’élévation à environ un mètre de plus d’ici 2100 », soit 88 cm de plus que dans le 5è rapport du GIEC (leurs données concernant la contribution totale de l’Antarctique, fonte moins enneigement, voir figure ci-dessus) [DeConto R.M. et Pollard D., 2016] [8]

Effondrement possible de l’Antarctique

En sous-estimant l’effet de la contribution totale de l’Antarctique à la hausse du niveau de la mer à 12 cm maximum en 2100, le GIEC en 2013 concluait à une élévation pouvant atteindre jusqu’à 82 centimètres au cours de la période 2081-2100 et 98 cm en 2100 [f] par rapport à 1986–2005 (voir figures ci-dessus, SPM 09 et page 26 du Résumé à l’intention des décideurs, 5è rapport du GIEC, 2013).

« Dans les projections actuelles, si le rythme de nos émissions ne change pas, cette élévation pourrait atteindre autour d’1 mètre, voire plus, en moyenne globale à l’horizon 2100. En plus d’augmenter les dommages des évènements météorologiques extrêmes comme les tempêtes et les ouragans, la hausse du niveau de la mer aura un impact direct sur le recul du littoral. Par exemple, on sait qu’à 1 m au-dessus du niveau actuel, la moitié de la Camargue va être inondée. Et si on ne limite pas nos émissions, il faut s’attendre à terme à une élévation de plusieurs mètres. » Anny Cazenave

Ces nouvelles données augmentent grandement les estimations de l’élévation supplémentaire du niveau marin, pouvant atteindre donc dans le pire scénario environ 1.13 m (98 + 15 cm) en 2100, en se basant sur les paramètres actuels, voire 1.86 m (98 + 88 cm) en 2100, en se basant sur les variations passées, ceci par rapport à la moyenne 1986–2005 [voir le site Flood Map avec une carte, réalisée à partir des données de la NASA, représentant les territoires qui seraient touchés par une hausse du niveau de la mer supérieure ou égale à 1 m].

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Elévation maximale du niveau de la mer en 2100

Sources :

(1) Figures TS.21 [e], 13 10 et SPM 09 et Table 13.5 du 5è rapport du GIEC, 2013
(2) Catherine Ritz et al., 2015
(3) DeConto R.M. et Pollard D., 2016

Le pire est-il possible ? « La principale incertitude aujourd’hui, c’est l’Antarctique, conclut Catherine Ritz. Même s’il y a un réchauffement minime, on ne peut pas exclure un effondrement ».

« A + 1,5°C, on s’attend à nettement moins de neige, de banquise et de glaciers. Mais à + 2°C, on risque de perdre une partie importante des calottes glaciaires de façon irrémédiable. La fonte de l’ouest de l’Antarctique, celle qui est menacée aujourd’hui, provoquerait une élévation du niveau de la mer de 3 m et celle du Groenland une de 6 ou 7 m ! La perte de tous les glaciers terrestres ajouterait 40 cm à celle-ci mais surtout changerait drastiquement les régimes fluviaux : à la saison chaude, les rivières ne seraient plus alimentées par les glaciers et disparaîtraient, et, avec elles, une ressource en eau essentielle dans de nombreuses régions ! Si on franchit ce point de non-retour qui peut être déclenché à partir de 2°C de réchauffement, on change fondamentalement les conditions de vie de notre planète.  » Gael Durand, chargé de recherche et directeur adjoint de l’Institut des Géosciences de l’Environnement (Grenoble)

On mesure alors la gravité des paroles de Petteri Taalas, le Secrétaire général de l’OMM, à l’occasion de cette déclaration annuelle sur l’état du climat mondial : « L’entrée en vigueur, le 4 novembre 2016, de l’Accord de Paris sur le climat au titre de la CCNUCC fera date dans l’histoire. Il est primordial que cet accord se traduise concrètement dans les faits pour que la communauté internationale puisse faire face au changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, en favorisant la résilience au changement climatique et en intégrant les mesures d’adaptation dans les politiques nationales d’aide au développement ».

Références et notes

Références (revues scientifiques à comité de lecture) :
[1] Meyssignac B. et al., 2012, An Assessment of Two-Dimensional Past Sea Level Reconstructions Over 1950–2009 Based on Tide-Gauge Data and Different Input Sea Level Grids Survey in Geophysics, Vol 33, Issue 5, pp 945-972 DOI : 10.1007/s10712-011-9171-x
[2] Meyssignac B. et al., 2012, Tropical Pacific spatial trend patterns in observed sea level : internal variability and/or anthropogenic signature ? Climate of the Past, 8, 787-802
[3] Meyssignac B. et al., 2017 (à paraitre), Regional Sea Level Changes for the Twentieth and the Twenty-First Centuries Induced by the Regional Variability in Greenland Ice Sheet Surface Mass Loss American Meteorological Society DOI : 10.1175/JCLI-D-16-0337.1
[4] Fasullo J. T. Nerem R. S. and Hamlington B. (2016) Is the detection of accelerated sea level rise imminent ? Nature www.nature.com/scientificreports 6:31245 DOI : 10.1038/srep31245
[5] Dieng H., Cazenave A., Meyssignac B. and Ablain M.,., 2017, New estimate of the current rate of sea level rise from a sea level budget approach, Geophysical Research Letters, DOI : 10.1002/2017GL073308
[6] Ritz C. et al., 2015, Potential sea-level rise from Antarctic ice-sheet instability constrained by observations. Nature 528 115–118 doi:10.1038/nature16147
[7] Alley K.E et al., 2016, Impacts of warm water on Antarctic ice shelf stability through basal channel formation. Nature Geoscience Vol 9 DOI : 10.1038/NGEO2675
[8] DeConto R.M. et Pollard D., 2016, Contribution of Antarctica to past and future sea-level rise. Nature 531 591–597 doi:10.1038/nature17145
Cazenave A., Dieng H., Meyssignac B., von Schuckmann K., Decharme B. and Berthier E., The rate of sea level rise, Nature Climate Change, vol 4, 358-361, doi:10.1038/NCLIMATE2159, 2014.

Notes :
[a] WMO Statement on the State of the Global Climate in 2016
[b] Les outre-mer face au défi du changement climatique, Rapport ONERC, Duvat V., 2012
Rapport d’information sur les conséquences du changement climatique dans les outre-mer, Assemblée nationale, Octobre 2015
– [c] Vulnérabilités au changement climatique des Outre-mer et des petits Etats insulaires Rapport AFD, octobre 2015
[d] Table 13.5 : voir lignes « Antarctic ice sheet » et « Greenland Ice sheet » colonne de droite p 1182 du chapitre 13 du 5è rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, Groupe de travail 1 (GT1), « Les éléments scientifiques », 2013) .
[e] La Figure TS.21 est disponible en français page 99 du résumé technique du 5è rapport du GIEC, GT1
[f] Voir l’élévation maximale du niveau de la mer de 98 cm en 2100 figurant sur la Table 13.5 (dernière ligne colonne de droite) p 1182 du chapitre 13 du 5è rapport du GIEC

Informations complémentaires :
Site du Ministère de la Transition écologique et solidaire
Site Aviso + du CNES
Site du GLACCIOS (Glaces et Continents, Climats et Isotopes Stables) du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE)

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